— Allez Hyun, passe-moi ton verre.
Le jeune homme ne se fit pas prier, passant son gobelet à son ami à sa droite. Il servait tout le monde pour qu’ils puissent trinquer ensemble à leur réussite au baccalauréat.
Hyun avait dix-huit ans.
— Une mention, ça se fête ! ajouta-t-il à grand renfort de coups de coude dans les côtes.
Le lycéen sourit timidement. Il n’aimait pas être le centre de l’attention et avait fait exprès de cacher sa mention, si seulement Maxence n’avait pas vendu la mèche en début de soirée. Autour de la table, la majorité d’entre eux avait dû passer les rattrapages, son meilleur ami compris. La seule à avoir obtenu une mention en dehors de lui, c’était Suzanne.
Elle était assise par terre en face de lui, de l’autre côté de la table basse. Cette fois-ci, la bouteille qui les séparait n’était pas renversée mais tenait debout, sur la table.
C’était leur dernière soirée avant d’aller à la fac. Hyun avait choisi un parcours en communication, plus par dépit de ne pas savoir vers quoi se tourner que par réel intérêt. Maxence allait en musique et Suzanne en médecine. Leur chemin, à eux, semblait tout tracé. Ils parlaient de l’université depuis des mois déjà. Hyun, lui, avait une boule au ventre rien qu’à s’imaginer y franchir les portes. Passer d’une classe d’une trentaines d’élèves à des amphithéâtres remplis de centaines de personnes inconnues le mortifiait. Comment diable réussirait-il à s’intégrer ? À se faire des amis ? Leurs spécialités à tous les trois étaient dans des bâtiments totalement opposés.
Hyun avait un peu honte de l’admettre mais, depuis le collège, il avait perdu la capacité de sociabiliser sans l’aide de Maxence. Au lycée, alors qu’ils n’étaient pas dans la même classe, Hyun traînait avec ses amis à lui (créés en une seule journée) plutôt qu’avec les personnes de sa classe. Lorsqu’il était invité par celles-ci, il n’arrivait pas à accepter si Maxence n’était pas à ses côtés. L’idée de devoir avancer sans lui l’effrayait plus qu’il ne le lui aurait jamais avoué.
Et puis, il y avait Suzanne.
Son style gothique du collège avait laissé place à des t-shirts trop grands et des pantalons baggys street wear. Ses cheveux naturels coupés courts dansaient joliment autour de sa tête, formant de fines boucles. C’était également la première à avoir osé se faire un tatouage, le jour de ses dix-huit ans : une simple boucle d’éternité au creux de son poignet. Au lycée, tout le monde avait été impressionné. Hyun n’était pas bien sûr d’en comprendre la symbolique mais n’avait pu que l’admirer, se disant que la douleur l’aurait probablement fait abandonner en milieu de séance.
La jeune fille tenait son gobelet avec ses doigts couverts de bagues et observait Hyun en souriant. Le jeune homme, son verre encore plein à la main, sentit une vibration dans la poche arrière de pantalon. Discrètement, le regard insistant de son amie posé sur lui, il se tordit pour récupérer son portable. Il se retint de pouffer en voyant le gif de Carlo dans Bob l’éponge danser de manière psychédélique sur son écran. Suzy et lui avaient découvert cette scène pour la première fois quelques jours auparavant et avaient partagé un fou rire incontrôlable de plusieurs minutes. D’une seule main habile, il ne fallut qu’une seconde au jeune homme pour répondre au tac au tac avec un autre gif de Bob faisant sortir la gelée des méduses pour la manger sur une tartine. Hyun releva les yeux, une once de défi sur le visage et un sourire en coin. Suzanne sortit son téléphone, l’air de rien, et ne put se retenir de rire, une expression légèrement dégoûtée. Hyun l’accompagna et ils s’esclaffèrent ensemble, sans que personne autour d’eux ne comprenne. Tout le monde était habitué à leur petit ménage. C’était la même chose pendant les pauses et les rares cours que leurs classes partageaient.
Toujours collés l’un à l’autre. Toujours à faire des blagues et des références que personne ne comprenait. Toujours à parler de sujets qui n’intéressaient qu’eux. Toujours ensemble. Les meilleurs amis.
Maxence aussi avait fini par devenir l’ami de Suzanne, mais lui était l’ami de tout le monde. C’était le plus populaire. À se demander ce qu’il faisait à traîner avec eux deux. Cela ne se disait pas ouvertement, mais beaucoup se posaient la question. La différence était trop flagrante pour être ignorée. Maxence s’en moquait. Lui, Suzanne et Hyun formaient désormais un groupe inséparable. Du moins, c’était le cas jusqu’à la fin du lycée.
Qu’en serait-il à la rentrée ?
Le ventre de Hyun se serra.
— Bon, rien à faire, la mère d’Hugo refuse de le laisser venir, soupira Maxence en s’essayant en bout de table sur un coussin. On a plus qu’à commencer sans lui.
Il tapa alors du poing sur la table et tendit théâtralement son bras, tel un roi face à sa cour.
— Qu’on m’apporte mon verre !
Tout le monde rit et Hyun s’empressa de lui donner la boisson qui attendait littéralement juste en face de lui.
— Félicitations à nous pour nos trois années de dur labeur, énonça-t-il solennellement.
— Dur labeur ? Ça dépend pour qui, pouffa Suzanne.
Hyun la rejoignit mais ils se turent au regard faussement vexé de Maxence. Celui-ci bomba le torse et poursuivit son discours comme si de rien n’était.
— Que ce soit avec ou sans mention, ou à 0.2 points près comme certains.
La personne visée, assise juste à côté de Hyun, s’enfonça dans le canapé comme pour y disparaître. Le jeune homme lui tapa gentiment l’épaule.
— À nous !!
— À nous ! répétèrent-ils, chacun entamant le verre de champagne que Maxence avait apporté de chez ses parents.
Hyun vida le sien d’une seule traite, sans réfléchir, à la grande surprise de tout le monde.
— Et bah, quelle descente, rit Alexandre, assis à côté de Suzanne.
— J’ai besoin de courage ! se justifia-t-il.
— Pour quoi ?
Merde ! Il n’était pas censé le dire à voix haute. Un seul verre et c’était comme s’il était déjà bourré, à faire n’importe quoi.
— Du courage pour boire plus, répondit-il dans un hoquet qui sentait fort l’alcool.
La table rit et Hyun soupira de soulagement, se resservant au passage.
— Les asiatiques sont tous des alcooliques, plaisanta Maxence.
Le jeune homme lui jeta un regard noir. Il lui avait déjà dit que ce genre de blagues sur ses origines ne le faisaient pas rire, qu’elles le dérangeaient même, mais son meilleur ami n’avait jamais écouté. “Tu ne sais pas prendre une simple blague”, le critiquait-il à chaque fois.
Suzanne se chargea de son cas à la place et lui donna un coup dans les côtes, le faisant taire. Hyun rit alors, sachant qu’au moins il pouvait toujours compter sur elle. L’alcool lui donnait déjà chaud. Jusqu’alors, aux soirées, il ne buvait pas plus qu’une simple bière, mais le champagne était bien plus chargé en alcool. Il n’était pas habitué.
Seulement, ce soir-là n’était pas comme les autres. Hyun se sentit rougir, heureusement sans que personne ne le remarque, tout le monde étant bien trop occupé à entamer la deuxième bouteille et à commencer à manger.
Il ne pouvait pas quitter le lycée sans dire à Suzanne ce qu’il ressentait. Presque quatre ans qu’il était amoureux d’elle en secret. Trois ans depuis leur baiser dans cette chambre, à la fête de fin d’année du collège. Ce n’était plus comme à l’époque. L’acné avait quitté son visage, ses chemises étaient enfin à la bonne taille et il avait appris à utiliser le gel pour cheveux correctement. Il avait grandi depuis. Il n’était plus cet enfant timide.
Hyun n’était toujours pas bien grand mais, à ce moment-là, il ne s’en rendait pas encore compte.
Le jeune homme avait prévu de se déclarer mais il ne savait pas quand. Il surveillait la terrasse, espérant qu’à un moment ou à un autre, il pourrait naturellement y inviter Suzanne et lui avouer ce qu’il avait sur le cœur. Parfois, il avait cet espoir fou qu’elle l’aimait aussi. Maxence, le seul à être au courant depuis toutes ces années, lui disait ne pas trop espérer, que Suzanne “n’était pas faite pour lui”.
Pourtant, il y avait des signes qui ne trompaient pas. Tout ce temps qu’ils partageaient ensemble, toutes ces soirées qu’ils avaient passé chez l’un ou chez l’autre à regarder des films et jouer aux jeux vidéos, discutant jusqu’aux premières heures du jour. Tous les messages qu’ils s’envoyaient, parfois jusqu’à ce que l’un des deux s’endorme, le portable encore dans la main.
“Tu es la personne la plus importante pour moi.”
“Si je devais sortir avec quelqu’un ce serait sûrement avec quelqu’un comme toi.”
“Personne ne me comprend aussi bien que toi.”
Tous ces messages, il ne les avait pas inventés. Il n’avait rien dit pour la pousser à les lui envoyer. Ils lui serraient encore le ventre rien qu’à y repenser. Hyun se leva du canapé et se dirigea vers la cuisine ouverte, espérant calmer les battements de son cœur. La panique commençait à le saisir tout entier. L’idée qu’elle puisse lui retourner ses sentiments l’effrayait encore plus que si elle se décidait à le rejeter. Si elle disait “Oui”, que se passerait-il après ça ? Hyun n’avait jamais eu de petite amie.
Il n’en aurait pas de vraie non plus après ça.
Maxence, qui avait vu son ami s’écarter, le rejoignit d’un bond, posant brutalement ses deux mains sur ses épaules. Hyun cria de surprise, serrant sa main sur sa poitrine. Ce n’était pas le moment de jouer avec son cœur. Il le sentait prêt à exploser à tout instant !
— Bah alors, qu’est-ce que tu fais là tout seul ?
Sans préavis, Maxence prit son verre pour y verser du soda.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Un petit whisky coca, ça te dit ?
— Euh, je sais pas…
De l’alcool fort ? Hyun n’était pas sûr que ce soit une bonne idée. Il sentait déjà sa tête tourner après deux verres de champagne.
— Mais si, allez ! Fais pas ton timide. On est plus des lycéens maintenant, on est des étudiants.
Une fois l’alcool mélangé, il lui présenta le verre. À la surface du liquide brun, les bulles éclataient comme de petits feux d’artifice.
— Puis si tu crois que j’ai pas compris ce que tu voulais dire tout à l’heure, hein, murmura-t-il en lui donnant un coup de coude.
Hyun rougit de nouveau. Évidemment que Maxence avait deviné, il savait que Hyun souhaitait se déclarer depuis des mois.
Le jeune homme jeta un coup d'œil par-dessus l’épaule de son ami, surveillant que Suzanne ne les écoutait pas.
— Tu... tu crois que c’est le bon moment ? demanda-t-il, le cœur au bord des lèvres.
— Je sais pas, mec... c’est toi qui décides.
Sa réponse lui fut bien inutile. Il soupira, tournant son verre dans ses mains sans le boire. Maxence frappa doucement son dos avant de se retourner et de rejoindre la table.
— Suzy, tu sors fumer avec moi ? proposa-t-il.
À cet instant, il se retourna et lança un regard à Hyun que celui-ci ne sut interpréter. Suzanne accepta et suivit Maxence sur la terrasse, son briquet dans la main. Hyun, qui ne fumait pas, n’avait aucune raison de les suivre.
Maxence serait-il capable de profiter de cette occasion pour révéler à Suzanne tout ce qu’il savait ?
Non, non, il ne ferait jamais une telle chose. Maxence était son ami, après tout. Il n’était peut-être pas le plus parfait des amis mais Hyun aussi avait des défauts. Et Hyun ne ferait jamais une telle chose. Il ne le trahirait jamais. C’était du moins ce qu’il pensait, à l’époque. Mais leur amitié était loin d’être aussi simple.
L’amitié était un concept étrange pour Hyun. Il était ami avec Maxence en le détestant parfois ; il était ami avec Suzanne en l’aimant tout le temps. Était-ce vraiment de quoi l’amitié était censée être faite ?
Ses doigts pianotant furieusement sur son verre, il ne pouvait s’empêcher de penser à eux deux, occupés à fumer et discuter sur la terrasse. De quoi pouvaient-ils bien parler ? Si Maxence vendait la mèche, il n’était pas certain d’être jamais capable de lui pardonner.
Perdu dans ses pensées, il ne vit pas les autres arriver près de la cuisine, excités à l’idée d’entamer des shots de tequila.
— Hyun tu te joins à nous ? proposa l’un de ses camarades.
— Euh je sais pas trop...
Il leva son verre comme pour prouver qu’il était déjà occupé à boire autre chose et éviter la corvée. Certes, il souhaitait gagner un peu de courage avec l’aide de l’alcool, mais pas finir ivre mort. Pour faire preuve de bonne volonté, et souhaitant également se changer les idées un instant, il les aida à tout préparer, de la découpe des citrons et au remplissage des verres.
Lorsque Maxence et Suzanne rentrèrent de leur sortie cigarette, le groupe avait déjà entamé leur deuxième round de shots et s’apprêtaient à en commencer un troisième.
Hyun sentit son cœur s’envoler en voyant Suzanne réapparaître. Était-ce le bon moment ? Profiter de l’agitation pour l’inviter à aller sur la terrasse, avec lui cette fois. Cependant, son air préoccupé l’en dissuada.
— Vous êtes tous debout, ça tombe bien ! s’exclama Maxence en rejoignant la table de la cuisine où ils s’étaient retrouvés. J’ai une annonce à faire.
Hyun leva un sourcil, se demandant bien à quoi son ami jouait encore. C’était bien son genre d’annoncer théâtralement quelque chose de totalement insignifiant juste pour faire rire l’assistance. Le jeune homme, lui, ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’il avait bien pu dire à Suzanne pour qu’elle ait l’air aussi renfrognée là où elle riait encore aux gifs que lui envoyait Hyun quelques minutes auparavant.
— Alors voilà, ça fait un petit moment que j’attendais le moment de vous le dire, mais je préférais attendre que toutes nos épreuves soient terminées pour ne pas vous perturber, parce que je sais à quel point ma vie privée vous intéresse.
Tout le monde rit à l’exception de Hyun et Suzanne. Il avait beau l’observer avec attention, espérant quérir son regard, elle se refusait à relever la tête vers lui, se tenant droite comme un poteau à côté de Maxence.
— Je sais que vous me pensiez célibataire tout ce temps et espériez tous secrètement vous déclarer à moi mais je dois vous avouer aujourd’hui que j’ai déjà quelqu’un dans ma vie.
De quoi ?
Hyun tourna brusquement la tête vers son meilleur ami. Ce dernier lui sourit naturellement en retour, comme si de rien n’était. Avec une lenteur presque irréelle, le jeune homme vit son bras s’enrouler autour de la fille qu’il aimait depuis quatre longues années.
— Oh nan ! s’exclama quelqu’un autour de la table, tapant furieusement sur la table d’excitation. Tous les deux ?! Pour de vrai ? Depuis quand ?
Suzanne resta muette tandis que Maxence répondit fièrement.
— Ça va faire six mois.
Six mois ? Six mois ?
Non, non ce n’était pas possible. Il était en train de rêver et il allait bientôt se réveiller. Il sentit sa vue se brouiller et dut se retenir fermement à la table pour ne pas tanguer.
Six mois...
“Tu es la personne la plus importante pour moi.”
Elle lui avait envoyé ce message à peine quelques semaines auparavant.
Qu’est-ce que ça voulait dire ?
“Si je devais sortir avec quelqu’un ce serait sûrement avec quelqu’un comme toi.”
Lui et Maxence n’avaient rien en commun. Rien.
— Félicitations ! s’exclamèrent tous leurs amis.
— J’aurais jamais deviné !
— Ouais, vous l’avez bien caché !
Ce n’était qu’un cauchemar et il allait se réveiller. Il ne pouvait pas en être autrement. Maxence ne pouvait pas lui avoir fait ça. Maxence qui était le seul au courant de ses sentiments pour Suzanne.
Et Suzanne…
Tout ce qu’ils avaient vécu ensemble, toutes ses allusions, et même ce baiser échangé des années auparavant, ça ne signifiait rien ? Il s’était fait des films pendant tout ce temps ?
Était-il l’idiot de l’histoire ? Même s’ils l’avaient caché aux autres, pourquoi le cacher à lui aussi ? N’étaient-ils pas censés être amis tous les trois ?
Qu’est-ce que l’amitié signifiait seulement dans ce cas-là ?
Sans même s’en apercevoir, Hyun commença à boire le whisky soda qui reposait dans sa main, sentant l’alcool fort lui brûler la gorge. C’était dégoûtant mais, bizarrement, il n’en avait rien à faire.
— Et toi Hyun ?
Ce dernier releva enfin la tête vers Maxence.
— Tu n’as rien à nous dire ? demanda-t-il joyeusement.
Hyun, pris de court, ouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit. Sa tête commença à tourner furieusement.
— Pour...
Il reprit son souffle, prenant sur lui pour formuler les seuls mots qui lui venaient à l’esprit.
— Pourquoi vous ne m’avez rien dit ? supplia-t-il, sa voix se brisant sur le dernier mot.
Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
Tu savais depuis le début.
Tu savais ce que je ressentais.
Et tu ne m’as rien dit.
C’était ce qu’il souhaitait réellement dire mais en était incapable.
Maxence soupira, échangeant un regard avec Suzanne. La même qui refusait de le regarder, lui.
— Nous en veux pas. On avait juste peur de ta réaction, tu comprends ? On voulait pas que tu te sentes de trop avec nous.
Hyun déglutit. Ses mains commencèrent à trembler.
— Je veux dire, on est amis après tout. Je sais que ça doit faire bizarre mais on contrôle pas ce genre de choses, tu comprends ?
Il avait peut-être raison. Les sentiments ne se contrôlaient pas. Ceux qu’il avait pour Suzanne manquaient de le détruire à cet instant-même et il aurait tout donné pour les jeter dans l’évier comme du vin bouchonné.
Mais lui faire croire qu’il était quelqu’un de spécial, de différent des autres, quelqu’un avec qui Suzanne se verrait sortir éventuellement... puis lui faire croire qu’il pouvait se déclarer sans jamais chercher à l’en dissuader, tout en sachant qu’il n’avait en vérité aucune chance puisqu’elle avait déjà quelqu’un...
Cela ne se contrôlait pas non plus ?
— Tu ne vas poser problème, si ? demanda froidement Maxence.
Tout le monde autour de la table se tut, observant Hyun avec un certain malaise.
Comment ne pas comprendre ce qui “posait problème” ? Ils avaient passé les deux voire trois dernières années à rire de Hyun et Suzanne comme quoi ils faisaient un “joli couple”. Si deux personnes avaient dû cacher leur relation, ils auraient certainement pensé que ce serait eux deux.
Mais ce n’était pas le cas.
Hyun ne faisait pas partie de l’équation.
— Je... je...
Le jeune homme se cacha derrière son verre, espérant que l’alcool l’empêcherait de pleurer.
Avait-il le droit de s’opposer à eux ?
Suzanne ne lui appartenait pas. Si elle sortait avec Maxence, ça voulait dire qu’elle ne l’aimait pas. Il n’avait probablement jamais eu une chance avec elle, malgré toutes les fausses idées qu’il s’était faites. Et si Maxence était amoureux d’elle, il ne pouvait pas l’empêcher.
S’ils étaient amis, il aurait dû se réjouir pour eux. “Félicitations”, c’était tout ce qu’il avait besoin de dire.
Alors pourquoi se sentait-il aussi trahi ? Pourquoi une part sombre de lui les détestait autant qu’il se haïssait lui-même pour y avoir cru aussi longtemps ?
Il n’était pas heureux pour eux. Il n’était pas d’accord avec la situation. Il n’était pas d’accord du tout.
Cela faisait-il de lui quelqu’un de mauvais ?
Tout le monde lui disait sans cesse qu’il était gentil. Peut-être même trop gentil.
Mais l’était-il réellement ?
N’était-ce pas juste une façade car, en cet instant, cracher ce qu’il avait réellement sur le cœur était trop difficile ? Parce qu'il avait peur d'etre détesté s'il révélait les aspects les plus monstrueux de sa personnalité ?
Hyun n’était pas gentil. Il n’était pas quelqu’un de bien. Il ne pouvait pas l’être pour avoir en lui des sentiments aussi sombres à l’égard des deux personnes qui étaient censées être les plus importantes pour lui. Il ne pouvait pas l’être s’il était incapable de se réjouir du bonheur des autres car cela signifiait son malheur à lui.
Son verre fini, le jeune homme prit un shot qui avait été rerempli et le leva en direction de Maxence et Suzanne. Dans un sourire forcé, il s’exclama :
— Bien sûr que non je ne poserai pas de problème.
Sa gorge semblait se remplir de couteau au fur et à mesure qu’il parlait. Des larmes dans la voix, il poursuivit :
— Félicitations à tous les deux. Je suis content pour vous, mentit-il.
Et il but le shot d’une traite, sans sel ni citron. Tout le monde fit comme si de rien n'était. Le sourire de Maxence s’élargit. Suzanne ne le regarderait plus de la soirée.
Et Hyun, ce jour-là, boirait à tout en oublier le lendemain pour la première fois de sa vie.
♦♦♦
Un bloc-note dans une main et un stylo dans l’autre, Olympe tapait du pied au rythme d’une musique qui ne résonnait que dans sa tête. Le service de la journée se terminait dans vingt minutes et Clémence l’avait chargée de faire l’inventaire de la cuisine pour le lendemain. D’ordinaire, c’était elle qui le faisait, mais ce jour-là, des amis étaient venus lui rendre visite sur son lieu de travail et elle était occupée à leur tenir compagnie. À Olympe, cela lui convenait parfaitement. Non seulement sa patronne ne lui avait pas hurlé dessus de la journée pour faire bonne impression à ses invités, mais les autres clients s’étaient faits plutôt rares et discrets, lui autorisant quelques erreurs et lenteurs. La jeune femme avait beau faire, à chaque instant, son esprit divaguait, se remémorant les souvenirs de ces derniers jours. Sa tête n’était clairement pas dans l’état d’esprit nécessaire pour se concentrer sur le travail.
Cela faisait déjà de longues minutes qu’elle observait les viennoiseries sur les étales avec son stylo à la main sans rien noter, se contentant de grignoter le bouchon en souriant. Depuis sa nuit avec Hyun, elle se sentait pousser des ailes. Impossible d’y repenser sans sentir l’adrénaline courir dans tout son corps. Ça avait été plus qu’agréable ; simple, mais tout ce qu’elle espérait. Hyun était doux, à l’écoute. Ses joues rougirent rien qu’à ce souvenir. Puis avec Rayan, les choses se déroulaient mieux que bien également. Ils allaient jusqu’à s’échanger de discrets baisers sur le terrain d’athlétisme. Peut-être que, bientôt, ils sortiraient officiellement ensemble... Olympe retint de justesse un rire de pure joie, posant son poing sur sa bouche. Ce n’était pas le moment ! Elle devait se concentrer. Utilisant les dernières ressources dont elle disposait en cette fin de journée, elle commença enfin à faire l’inventaire.
Une fois sa tâche terminée, elle sortit des cuisines pour passer ses notes à Clémence. Cette dernière était assise à la table de ses amis, buvant une bière avec eux, les autres clients étant déjà partis.
— Merci, dit-elle froidement en récupérant la note, agacée d’avoir été interrompue dans sa conversation. Tu peux rentrer.
— Mais... et la fermeture ? hésita Olympe.
— C’est moi qui m’en occupe ! Allez, rentre chez toi, ordonna-t-elle.
La jeune femme accepta sans broncher, heureuse de pouvoir partir plus tôt que prévu. Elle rejoignit les cuisines et retira sa casquette, enlevant l’élastique dans ses cheveux d’un geste. Dans ce qui lui servait de vestiaire, Olympe entreprit de se changer.
— Hyun ?! entendit-elle s’exclamer Clémence depuis la salle.
— Excusez-moi, je dois parler à Olympe, lui répondit-il.
Interloquée, l’étudiante passa derrière le rideau pour revenir dans les cuisines, abandonnant ses affaires sur des boîtes de conserve. Elle avait à peine eu le temps d’enlever son tablier.
D’ordinaire, elle aurait été ravie de l’entendre arriver, même si cela signifiait seulement la possibilité de discuter quelques instants avec lui ou de rentrer ensemble sur le campus, mais son instinct lui soufflait que quelque chose n’allait pas. Sa brusque apparition en fin de service alors qu’il ne travaillait pas ce jour-là et le ton froid et tranchant avec lequel il avait répondu à Clémence... il n’était pas comme d’ordinaire.
Il n’était pas le Hyun de la dernière fois qu’ils s’étaient vus.
Déboula alors dans les cuisines un Hyun au visage fermé, essoufflé comme s’il avait couru jusqu’ici, son manteau d’hiver encore sur le dos et son sac à la main. Il posa celui-ci sur le plan de travail, arrachant un rire gêné à Olympe.
— Le pose pas là, c’est là qu’on prépare à manger, c’est dégueux, tenta-t-elle de plaisanter.
Mais son ami ne riait pas. Une expression furieuse sur le visage, il l’observait avec une expression qu’elle n’avait jamais vue chez lui.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? demanda-t-elle, inquiète.
Puis, une forte odeur parvint à ses narines. Elle eut un mouvement de recul, posant la main sur son nez, une expression d’horreur sur le visage.
— Tu pues l’alcool ! s’exclama de la voix la plus basse possible pour que Clémence ne les entende pas. T’es malade de venir ici en étant complètement ivre ?!
Hyun eut un rire cynique. Un rire qu’elle ne lui connaissait pas.
Ce n’était pas son collègue, son ami. Où était passé le Hyun qui était si gentil, qui prenait toujours soin d’elle, qui faisait attention à ne pas boire à ses côtés, qui encore quelques jours auparavant l’embrassait avec tant de tendresse ?
Ce n’était pas lui.
— Je t’ai vue. Sur le terrain d’athlétisme, cracha-t-il.
Olympe hésita, relevant un sourcil.
— De quoi tu parles ?
— Je t’ai vu embrasser ce type sur le terrain d’athlétisme.
La jeune femme rougit d’embarras.
— Tu... tu m’as suivi ?
Hyun soupira, agacé.
— Je n’ai pas eu besoin. Je t’ai juste vue par hasard.
Le genre de hasard que Maxence avait créé de toute pièce mais, ça, Hyun ne le précisa pas.
— Ce terrain d’athlétisme est à quarante-cinq minutes d’ici ! Qu’est-ce que tu faisais là-bas ? s’emporta-t-elle.
— Qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu comptes pas nier ?
— Nier quoi ?
— Que tu embrassais ce type.
L’embarras d’avoir été surprise fut bientôt remplacé par une colère acide d’être ainsi mise en porte-à-faux.
— En quoi ça te regarde ?
— En quoi... ? commença Hyun, un rire acerbe s’échappant de ses lèvres. Tu te fous de moi ?
Olympe bomba le torse, comme pour le défier.
— T’avais l’intention de me dire un jour que t’avais déjà quelqu’un ou tu comptais juste continuer à m’utiliser comme bon te semble jusqu’à la fin des temps ?
— De quoi tu parles ? soupira-t-elle, définitivement agacée par son ton accusateur.
— Depuis quand tu sors avec lui ?
— On...
Olympe hésita. Les mots s’entrechoquèrent dans sa bouche avant de parvenir à répondre proprement.
— On n’est pas officiellement ensemble.
Hyun rit, ne la lâchant pas des yeux.
— Et depuis combien de temps vous n’êtes “pas officiellement ensemble” ?
Le silence d’Olympe suffit à Hyun à comprendre la réponse. Sa main qui, jusqu’alors, était restée fermement accrochée à son sac se relâcha pour agripper ses cheveux noirs sur son crâne. Sa main serrait si fort qu’elle semblait prête à se les arracher de fureur.
— Tu te fous vraiment de ma gueule ! hurla-t-il, son haleine alcoolisée envahissant tout l’espace.
Dans leur dos, la porte des cuisines s’ouvrit sur leur patronne.
— Mais bon sang qu’est-ce qu’il se passe ici ?
— Pas maintenant Clémence ! cria-t-il à son égard sans se retourner, son poing tapant sur la table.
Les deux femmes, pour la première fois, échangèrent le même regard, choquées par l’attitude de Hyun. Celui-ci se calma légèrement et, d’une voix plus basse, ajouta :
— On va baisser le ton alors laissez-nous tranquille.
Leur patronne sembla hésiter un instant, remarquant probablement l’odeur d’alcool. Pourtant, sans rien lui reprocher, elle se contenta de jeter un regard assassin à Olympe, la tenant probablement responsable du comportement du jeune homme. L'étudiante déglutit, sentant bien qu’elle lui ferait payer tôt ou tard pour l’attitude de Hyun.
En silence, elle referma la porte et abandonna ses deux employés à leur querelle.
— Est-ce que tu comptais jamais m’en parler ? demanda-il agressivement, la voix désormais plus basse.
Olympe se massa la nuque, embarrassée.
Elle n’avait jamais voulu que Hyun soit au courant. Elle s’était même persuadée que c’était mieux qu’il ne sache rien. Que ça ne le regardait pas. Que ça ne regardait qu’elle et Rayan.
— Écoute, je comprends que tu sois en colère, mais j’apprécie vraiment pas le ton avec lequel tu me parles.
— Ah, excuse-moi ! dit-il de manière exagérée. Excuse-moi d’être soulé de me rendre compte que la fille que j’aime depuis des mois s’est foutu de ma gueule depuis le début.
Le cœur d’Olympe manqua un battement.
La fille qu’il aimait ? Elle avait beau s’en douter depuis longtemps, l’entendre le lui dire aussi frontalement coupa son souffle. Hyun non plus n’avait probablement pas imaginé qu’il l’avouerait de cette façon, avec tant de colère dans la voix et d’alcool dans le sang. À son regard, c’était évident que cette révélation n’était pas sortie de sa bouche consciemment.
Un silence gêné s’installa quelques instants avant que Hyun ne reprenne, plus calmement :
— Je t’ai demandé si tu avais quelqu’un et tu m’as dit non.
— C’était il y a une éternité ! Les choses ont changé depuis.
Hyun pesta, tapant son poing de nouveau contre son sac, toujours posé sur le plan de travail.
— Tout ce que tu m’as dit ce jour-là sur le fait que ça faisait je-sais-plus-combien d’années que t’avais pas été avec quelqu’un, que tu étais pas sûre de comment t’y remettre... à l’époque t’avais déjà des vues sur ce gars ? Ce gars bien plus vieux que nous ?
Olympe baissa la tête, ne sachant que répondre. De nouveau, ce silence plus qu’éloquent fut suffisant à Hyun pour comprendre de quoi il en retournait.
— Tu t’es servi de moi ? demanda-t-il, des larmes dans la voix.
La jeune femme sentit son cœur se serrer de culpabilité, une part profonde d’elle sachant qu’il avait raison, mais sa tête refusant de l’admettre. Elle se mordit la lèvre, souhaitant démentir mais ne sachant comment formuler sa pensée correctement.
— Tu t’es vraiment moqué de moi.
Alors que des excuses pendaient au bout de sa langue, Olympe s’entendit répondre :
— Tu as dit que tu étais d’accord pour qu’on soit sex friends. Je ne suis pas ta petite-amie.
Hyun eut un rire cynique. Il ne la quittait pas des yeux et son regard si accusateur lui brûlait la peau.
— T’as raison.
Ses yeux s’écarquillèrent sous la surprise de sa réponse.
— J’ai accepté. J’ai dit oui à tes conditions alors que je n’étais pas d’accord.
Olympe se pinça le coude, sentant une goutte de sueur froide couler le long de sa nuque.
— J’ai dit oui alors que je ne voulais pas. Pas comme ça. J’aurais jamais dû accepter alors que j’en avais pas envie. J’aurais jamais dû accepter alors que j’ai jamais voulu être ce genre d'ami pour toi.
Il pointa alors un doigt accusateur vers elle.
— Mais égoïstement, tu vois, même si j’étais prêt à accepter l’idée que tu ne m’aimes pas comme moi... au moins... je me disais que ce moment n’appartiendrait qu’à nous.
Il baissa les yeux, accablé par la colère.
— Peut-être que ça fait de moi un connard possessif mais, même en tant qu’ami, je voulais que tu ne penses qu’à moi à ce moment-là. Parce que moi... moi, je ne pensais qu’à toi !
Olympe déglutit, sentant les larmes lui venir aux yeux. Elle fronça les sourcils et ferma les paupières un instant.
— Je pensais pas que tu le vivrais comme ça, dit-elle sans réfléchir.
Moi aussi je ne pensais qu’à toi à ce moment-là. Même si je ne t’aime pas comme ça. Même si je ne suis pas sûre d’aimer qui que ce soit. Ce moment a vraiment compté pour moi.
C’était ce qu’elle aurait dû dire.
— Tu te fous vraiment de ma gueule. Tu savais très bien ce que je ressentais pour toi, pas vrai ? Tu m’as vu hésiter. Tu savais pourquoi.
— Je vois pas de quoi tu parles. Tu étais d’accord pour qu’on le fasse en tant qu’amis.
— Je veux pas ce genre d’amis.
Il hésita.
— Je veux plus ce genre d’amis.
Reprenant un certain calme, il ajouta froidement :
— Et si toi et moi on était vraiment amis, comme tu dis, alors pourquoi tu ne m’as pas dit la vérité ?
— Je ne t’ai jamais menti, rétorqua-t-elle.
— Oh non, juste par omission. Ça t'arrangeait bien.
Il sourit amèrement.
— Parce que tu savais que j’aurais dit non, sinon.
Hyun avait raison.
Elle n’avait jamais évoqué Rayan parce qu’elle savait qu’il se serait éloigné d’elle s’il le savait. Elle avait prétendu n’avoir personne en vue car laisser cette porte entrouverte était le seul moyen d’obtenir de lui ce qu’elle souhaitait.
Mais cette vérité, Olympe n’arrivait pas à la regarder en face. L’assumer, ce serait s’avouer qu’elle était cette personne égoïste qui ne pensait qu’à elle. L’assumer, ce serait admettre qu’elle était celle qui avait mis Hyun, son si gentil collègue, dans cet état de rage inégalé.
Elle était l’unique responsable, celle qui gâchait toutes ses relations, présentes et passées.
Ses deux mains, fermement accrochées au plan de travail, se mirent à trembler. Olympe retint ses larmes du mieux qu’elle le put. Elle ne pouvait pas pleurer maintenant. Pleurer, ce serait accepter ce qu’il lui disait. Et ça, elle ne le pouvait pas.
Ne laissant que la colère parler, elle s’exclama :
— Ma vie privée ne te regarde pas !
Interloqué, Hyun eut un mouvement de recul.
— Vraiment ? C’est comme ça que tu le prends ? Tu comptes même pas t’excuser ?
— Je n’ai rien à me faire pardonner.
Je suis désolée.
Je suis vraiment désolée.
Hyun, tu comptes réellement pour moi. Plus que tu ne peux l’imaginer.
Je n’aurais jamais dû te faire ça. Je regrette.
C’était ce qu’elle aurait dû dire.
— Je vois. C’est comme ça que tu traites tes “amis”, cracha-t-il en mimant des guillemets. Pas étonnant que tu n’en aies aucun.
Cette pique lui trancha le cœur. Sa solitude se dessina plus clairement que jamais dans les traits de son collègue, celui auquel elle s’était accrochée si solidement en sentant sortir de sa vie toutes les autres personnes qui avaient jamais compté.
Elle n’avait personne d’autre que lui, et elle allait le perdre aussi.
— Va te faire foutre, lui asséna-t-elle, la voix engluée de larmes.
— Très bien, j’ai compris, conclut-il froidement. Dans ce cas, on n’a plus rien à se dire, je crois.
— Non, effectivement.
Hyun reprit son sac dans sa main et passa l’autre sur son visage. Un instant passa sans qu’aucun des deux ne prennent la parole. Puis, sans l’annoncer, son collègue se dirigea vers la porte.
— Attends, Hyun ! l’interpella-t-elle, paniquée.
Ce dernier s’arrêta, lui lançant un regard en biais, toujours étreint par la colère.
— Tu vas pas démissionner à cause de ça, hein ? On s’est promis de pas démissionner. On est une équipe, tu te rappelles ?
S’il démissionnait, Clémence lui ferait vivre un enfer. Ils le savaient tous les deux. Le jeune homme eut un rire cynique, comprenant certainement pourquoi elle le suppliait ainsi. Ce n’était pas qu’elle tenait tant à lui. Elle ne souhaitait simplement pas que leur patronne rejette toute sa colère sur elle si Hyun partait.
Sans répondre, il quitta les cuisines puis le café, ignorant les appels inquiets de leur patronne sur son chemin.
N’y tenant plus, des larmes dévalèrent les joues d’Olympe. Plaquant ses mains sur son visage, elle se laissa tomber sur les genoux. Pourquoi ne s’était-elle pas excusée ? Pourquoi ne l’avait-elle pas retenu ? Pourquoi lui avait-elle menti tout ce temps ?
Hyun... il était devenu son seul ami. Le seul sur qui elle pouvait compter depuis son retour à Sweet Amoris. Le seul à toujours être là pour elle. À l’apprécier, à l’aimer, à ne pas la juger, à essayer de la comprendre. Le seul à qui même elle avait réussi à évoquer son accident en quatre ans.
Et elle avait tout gâché. Pour une nuit de plaisir égoïste, elle avait ruiné leur relation. Elle finissait encore seule, sur le sol de cette cuisine où ils avaient pourtant ri ensemble tant de fois auparavant.
Plus jamais ils ne riraient de la même façon, pas vrai ?
Je suis désolée.
C’était tout ce qu’elle aurait dû dire. Ces quelques mots, et alors peut-être lui aurait-il pardonné d’être une personne aussi pleine de défauts. Peut-être même aurait-il cherché à la comprendre. Hyun qui était toujours si gentil... qu’avait-elle fait ?
C’était trop tard.
Tout était terminé.
Olympe avait encore blessé un de ses amis. Le dernier, cette fois.
♦♦♦
La rentrée avait fini par arriver avec la même discrétion que l’hiver s’était profondément installé en ce début janvier. Il n’y avait plus que deux semaines de cours avant le début des examens et Olympe s’était plongée dans son mémoire et les révisions pour ne plus avoir à penser à quoi que ce soit d’autre.
Elle n’avait pas revu Hyun depuis leur dispute. Elle n’avait pas recroisé Rayan non plus sur le terrain d’athlétisme. Passer quelque temps sans voir ni l’un ni l’autre avait été d’un certain soulagement. Ça lui permettait de continuer sa vie en oubliant ce qu’il s’était passé, au moins pendant quelques jours. C’était comme courir à en perdre haleine et les yeux fermés, à en ignorer les douleurs dans ses jambes qui lui criaient d’arrêter ; la jeune femme ne savait pas où ses pieds la dirigeaient mais elle n’avait pas d’autre option que de les suivre. Si elle s’arrêtait, ne serait-ce qu’un instant, la peur de ne jamais pouvoir repartir lui nouait le ventre.
Si elle marchait, alors tout allait bien. Après son accident, elle se l’était promis, et elle avait réussi. Alors tout allait bien. C’était ce qu’elle se répétait. Tous les jours, à chaque instant, jusqu’à s’en persuader. Même si elle devait avancer seule sur le chemin désormais. Même si l’une des seules personnes à lui avoir tenu la main n’était plus là pour l’accompagner. Tout allait bien...
Assommée par le froid de ce lundi matin, Olympe n’envisagea pas une seconde d’enlever son manteau, même une fois assise à l’intérieur de l’amphithéâtre. Toujours ses gants aux mains, elle n’enleva que son épaisse écharpe en laine pour se fabriquer un coussin de fortune et y enfouir son nez rouge. Arrivée trente minutes en avance, elle était seule dans la salle. L’étudiante s’était jurée de poursuivre ses révisions en attendant le professeur – Rayan – mais n’en ressentait plus le courage. Ces derniers temps, elle ne vivait que pour étudier, et la fatigue commençait à se faire sentir. Une fois ses examens terminés, peut-être irait-elle voir ses parents... elle ne répondait presque jamais à leurs coups de fil et ne les avait pas revus depuis les vacances d’été. Ils s’étaient proposés de venir lui rendre visite à plus d’une occasion mais elle prétendait que le travail et les études lui prenaient trop de temps, ce qui n’était pas totalement un mensonge.
Néanmoins, le manque commençait à venir tout doucement. La dureté de l’hiver n’aidait pas. Les voir lui ferait certainement le plus grand bien. Elle se promit d’y réfléchir sérieusement et de chercher des trains en rentrant après les cours. En plus, lorsqu’elle retournait chez ses parents, elle pourrait en profiter pour rencontrer Ada si elle était enfin de retour d'Espagne. Elle était encore son amie, même si la distance faisait qu’elles n’étaient plus aussi proches qu’avant. Peut-être qu’elle pourrait lui avouer ce qu’elle avait fait, tout en sachant qu’elle se ferait engueuler copieusement.
Elle entendait déjà lui dire, les joues rouges de colère, telle une grande sœur : “Deux mecs en même temps ? Mais t’es pas bien ?” ou “Prends ton téléphone et vas t’excuser tout de suite !”. Le visage enfoui dans son écharpe, Olympe sourit. Sans Ada pour la pousser à faire ce qu’il fallait, le courage de s’excuser auprès de Hyun ne lui venait pas.
Par message, pourtant, ça ne devrait pas être si difficile.
“Je suis désolée.”
Mais rien qu’à y penser, son ventre se nouait à la tordre de douleur sur sa chaise. Que dirait-elle lorsqu’ils se reverraient inévitablement au travail ? Olympe n’avait pas envie d’y réfléchir.
— Bonjour.
Olympe mit un instant avant de lever les yeux, gardant précieusement son nez encore glacé dans son écharpe. En comprenant qui l’avait interpellée, elle se redressa d’un coup, le rouge envahissant ses joues.
— B-Bonjour.
Rayan sourit. Debout dans la rangée devant la sienne, il déplia un des sièges et s’y assit de manière à pouvoir lui faire face.
— Tu es bien matinale, dit-il joyeusement.
Le voir d’aussi bonne humeur réchauffa son corps tout entier. Même si elle adorait s’entraîner à ses côtés sur le terrain, elle se délectait de la vue de son partenaire de sport dans un costume et non des survêtements. Son manteau brun délicatement posé sur la table, il portait une veste noire sur une chemise blanche et une cravate pourpre serrait son col.
— Et toi tu es bien habillé, fit-elle remarquer.
La jeune femme se toucha inconsciemment le visage, de peur que son écharpe y ait laissé des traces.
— J’étais jury d’une soutenance de thèse à huit heures trente.
— Les profs aussi doivent bien s’habiller dans ce cas-là ?
— Ça fait plus pro, expliqua-t-il avant de sourire doucement.
Ses yeux brillaient d’une telle intensité qu’elle peinait à maintenir son regard, de peur de sentir ses joues prendre feu.
— Quand ce sera ton tour de soutenir ta thèse, je m’habillerai encore mieux, ajouta-t-il.
Olympe se gratta la tempe.
— Ça... je ne sais pas si ça arrivera jamais.
— Pourquoi pas ? Tu as toutes les qualités pour devenir une grande chercheuse.
Il se pencha légèrement en avant, le même sourire sur le visage.
— Je suis ton directeur, je suis bien placé pour le savoir.
Olympe ne put s’empêcher de reculer, le sentant bien trop près. Son cœur battait déjà à tout rompre dans sa poitrine et si ça continuait, il n’allait plus tenir. L’effet qu’il avait sur elle, à seulement se tenir en face d’elle et lui sourire, était de plus en plus fort à chaque fois qu’ils se voyaient. Et dire qu’ils s’embrassaient encore sur le terrain plusieurs jours auparavant. Les lèvres de Rayan n’étaient pas si loin. Si Olympe se penchait aussi, elles auraient peut-être pu se rejoindre.
Néanmoins, avant qu’elle n’ait pu le faire, et alors que n’importe qui aurait pu rentrer dans la salle à cet instant, Rayan se recula.
— Enfin, il faudra qu’on discute pour me remplacer.
— Hein ? Mais pourquoi ?
Rayan jeta un regard derrière lui, vers la porte, pour s’assurer que personne n’était là.
— Vu la situation, je ne peux pas juger ton travail objectivement.
Il se retourna vers elle, un sourire en coin.
— Même s’il est objectivement très bon.
Olympe rougit, évitant de nouveau son regard.
— Vu la situation...? répéta-t-elle.
— Toi et moi.
La jeune femme peina grandement à déglutir alors qu’elle n’osait imaginer où il voulait en venir.
— Parce qu’il y a un “toi et moi” ? demanda-t-elle de nouveau, toujours sans le regarder, le corps entier en feu.
Olympe entendit la chaise sur laquelle il était assis se refermer tandis que Rayan posa un doigt sous son menton, invitant son visage à se tourner vers le sien. Se moquant de l’endroit où ils se trouvaient, de la possibilité d’être surpris par n’importe qui, de tous les risques qu’ils prenaient, il posa ses lèvres sur les siennes. Cela ne dura qu’un bref instant, comme un battement d’ailes de papillon, si bien qu’Olympe en eut oublié de fermer les paupières. Elle l’observait toujours alors qu’il se reculait, sa main restant sur son visage encore un court instant avant de saisir son manteau sur la table devant lui. Il quitta la rangée et descendit les quelques marches jusqu’à son bureau, laissant la jeune femme pantoise derrière lui.
Lorsque les portes s’ouvrirent sur Mélody, Olympe dissimula son visage derrière son écharpe, l’y enfouissant comme si elle y dormait toujours. Sa camarade avait beau être au courant pour eux deux, imaginer être surprise de nouveau faisait tambouriner son cœur d’effroi jusque dans ses tempes. À quoi avait-il bien pu penser ?! Il était inconscient !
Pourtant, un sentiment de bonheur presque étouffant lui serrait la gorge. Si seulement ils avaient pu poursuivre ce baiser, sans se préoccuper du reste du monde, sans avoir besoin de se cacher.
“Toi et moi”.
Ça voulait bien dire ce qu’elle croyait ?
Du rouge jusqu’aux oreilles, l’étudiante enfonça son visage encore plus profondément dans son écharpe, devinant que Rayan devait bien s’amuser de la voir aussi embarrassée. Il l’avait fait exprès, c’était sûr !
Ses sentiments pour lui commençaient à être difficiles à cacher.
Était-elle amoureuse de lui ? Serait-ce possible ? Peut-être. Pourtant il y avait quelqu’un encore qui l’empêchait d’en être certaine, sans parvenir à mettre le doigt dessus.
Avait-elle seulement le droit de tomber amoureuse après tout ce qu’elle avait fait pour en arriver là ?
Olympe releva la tête en entendant la chaise devant elle se déplier. Son regard croisa celui de Mélody tandis qu’elle déposait ses affaires sur le siège à côté d’elle pour s’asseoir. Rougissante, l’étudiante dévia les yeux et s’installa sans rien dire. Olympe hésita à la saluer pour lui témoigner de sa bonne foi dans leur ambition commune d’enterrer la hache de guerre mais les mots restèrent coincés dans sa bouche. Mélody avait visiblement tenu sa promesse en ne disant rien à personne et, vue sa gêne palpable, elle ne semblait pas vouloir utiliser ce qu’elle savait contre Olympe. Pourtant, cette dernière peinait toujours à lui faire confiance. Depuis la soirée du bal de promo où les insultes avaient fusé dans tous les sens à son encontre pour avoir caché sa relation avec Nathaniel, leurs rapports étaient électriques. Et malgré ce qu’elle avait prétendu, la situation répétée avec Rayan n’avait pas dû aider.
Olympe leva les yeux vers son professeur, occupé à connecter son ordinateur au projecteur. Lui ne semblait pas aussi inquiet. Elle aurait aimé avoir un peu de sa confiance. C’était lui-même qui avait pourtant hésité au début, prétendant que dans une université privée des ragots concernant une relation prof-élève, même légale, pouvait poser problème. Pourquoi semblait-il si insouciant à présent ?
Les minutes passèrent sans que la jeune femme ne retire son manteau ou n’ait le courage d’enlever la tête de son écharpe. Seule la voix de Rayan, invitant tous les élèves désormais arrivés à débuter le cours, la fit sortir de sa léthargie. Toujours sans stylo ou ordinateur pour prendre des notes comme il l’exigeait d’eux, Olympe se redressa et suivit le cours avec le plus de neutralité possible.
L’heure et demi passa en un instant, Rayan faisant toujours défiler les minutes à une vitesse inégalée par aucun de ses autres professeurs. L’idée de ne plus l’avoir pour directeur dans le futur l’attristait même si elle savait qu’il avait raison. Alors qu’elle remettait son manteau sur les épaules et son écharpe autour du cou, elle se sentit rougir en se remémorant les quelques mots qu’il lui avait murmurés.
“Toi et moi.”
— Mademoiselle Clairance ? Mademoiselle Martin ? Vous auriez un instant s’il-vous-plaît ? interpella Rayan depuis son bureau.
Les deux femmes, déjà debout et prêtes à partir, échangèrent un regard interloqué. Olympe remarqua alors l’homme qui se tenait debout à côté de Rayan. Grand, blond, un costume bleu marine sur le dos et des lunettes zébrées, il les observait avec intérêt. Il lui fallut un instant pour reconnaître le propriétaire de la galerie où avait eu lieu le fameux gala qui avait tout changé.
Bien que toutes deux hésitantes, Olympe et Mélody descendirent ensemble les marches pour rejoindre le bureau de Rayan. Celui-ci se leva et le contourna pour se positionner à côté de son invité.
— Voici Paul Avenon, vous avez déjà dû le rencontrer à la galerie, le présenta-t-il en posant une main sur son épaule.
— Mesdemoiselles, c’est un plaisir de vous revoir.
D’une légère exubérance, le dénommé Paul fit une révérence avant de prendre les mains des deux jeunes femmes dans les siennes comme s’il s'apprêtait à les embrasser. Au coin de l'œil, elle vit Mélody rougir jusqu’au cou.
— M-Monsieur, répondit-elle timidement.
— Bonjour, salua Olympe, bien moins impressionnée.
Rayan, le sourire jusqu’aux oreilles, expliqua joyeusement :
— Paul est venu car il souhaitait vous voir. Je lui ai dit de passer à la fin du cours.
Olympe et Mélody se regardèrent.
— Nous ? hésita Mélody, son sac serré contre sa poitrine avec tant de force qu’on aurait pu en déterminer ses muscles se tendre sous son pull. Pourquoi ?
Paul sourit, enlevant ses lunettes un instant.
— Comme vous devez le savoir, si du moins mon collègue ici présent a correctement fait son travail, je prends un stagiaire tous les ans dans ma galerie et votre profil m’intéresse beaucoup.
Les yeux de Mélody s’illuminèrent. Olympe, encore en première année et loin de penser déjà à trouver un stage, fut plus hésitante.
— Vraiment ? s’enthousiasma sa camarade. Ce serait un rêve de pouvoir travailler avec vous Monsieur Avenon !
Olympe, elle, se contenta de hocher la tête, légèrement perplexe.
— Quel plaisir de voir autant d’enthousiasme !
— Je t’avais dit que tu ne serais pas déçu. Elles sont parmi mes plus prometteuses étudiantes.
La jeune femme rougit, baissant légèrement la tête.
— Ça, je l’avais déjà senti le jour du gala ! Et je ne suis pas du genre à me tromper, ajouta-t-il en leur faisant un clin d'œil.
Olympe eut un léger mouvement de recul. Sans savoir pourquoi, cet homme ne lui inspirait pas particulièrement confiance. Mélody, elle, buvait ses paroles sans la moindre retenue.
— Si ça vous va, nous pourrions en discuter.
— Oui, bien sûr ! répondit Mélody sans hésiter.
Paul posa alors explicitement son regard sur Olympe, attendant visiblement sa réponse.
— Et vous ?
— Oh... oh oui, bien sûr, moi aussi ça m’intéresse.
— Parfait ! Et surtout ne vous sentez pas en compétition. Certes, j’ai plutôt tendance à ne prendre qu’un seul stagiaire, mais qui sait ? Cette année sera peut-être la première exception !
Mélody serra ses mains l’une contre l’autre, visiblement surexcitée par cette opportunité. Olympe n’était pas mécontente d’apprendre qu’elle n’aurait pas à être en concurrence avec elle et ajouter de l’huile sur le feu qui n’avait cessé de brûler entre elles que depuis récemment.
Paul claqua dans ses mains, comme pour marquer leur accord, puis sortit de sa poche deux cartes de visite noires.
— Samedi prochain je serai au club Starlyte. J’y ai toujours un espace réservé alors nous serons à l’aise pour discuter. Je vais vous inscrire sur la liste VIP donc vous n’aurez aucun mal à entrer.
Les deux jeunes femmes reçurent les cartes qui présentaient les horaires et l’adresse du club. Au dessus des informations, un aigle blanc était dessiné.
— C’est... une boîte de nuit ? questionna Mélody, visiblement peu à l’aise.
— Oui. Ça pose problème ?
— N-Non ! Non, bien sûr que non. Je viendrai ! Évidemment !
Paul sourit.
— Mais j’espère bien. Et vous Mademoiselle Clairance ?
— Euh... oui, je viendrai aussi.
— Formidable ! Je vous attendrai aux alentours de vingt-et-une heures, comme ça on aura tout le temps d’apprendre à mieux se connaître.
Olympe haussa un sourcil. “Apprendre à mieux se connaître” ? Il y avait quelque chose dans cette formulation qui ne lui plaisait pas du tout.
— Surtout vous, Mademoiselle Martin.
— De quoi ? s’étonna Mélody.
Le directeur de galerie sourit de plus belle, effleurant doucement son visage des doigts.
— J’ai très envie que vous veniez. Je sens qu’on a encore beaucoup de choses à se raconter.
Olympe vit sa camarade rougir jusqu’aux oreilles, n’osant rien répondre. La jeune femme chercha à quérir le regard de Rayan mais celui-ci se contentait d’observer son ami silencieusement. Paul enleva sa main et les salua, prétextant un rendez-vous important pour déjà devoir partir. Leur professeur le salua chaleureusement puis attendit que la porte se referme sur son dos pour se tourner vers ses élèves.
— Alors ? Qu’est-ce que vous en pensez ? C’est une bonne opportunité, non ? s’enthousiasma-t-il, comme oubliant un instant la situation absurde dans laquelle ils se trouvaient à discuter tous les trois.
Mélody se gratta la joue, à l’endroit exact où Paul l’avait touché.
— O-Oui... merci Monsieur.
Olympe hocha la tête en silence, toujours aussi perplexe.
— C’est une des meilleures galeries de la ville. Ce serait vraiment une chance de pouvoir faire mon stage là-bas, ajouta-t-elle.
— Très bien. Alors je compte sur vous !
L’étudiante ne sut que répondre, cette entière discussion lui ayant laissé un goût étrange et amer dans la bouche. Elle se décida néanmoins à l’ignorer pour l’instant, suivant Mélody à l’extérieur. Elle se retourna et fit un discret signe de main à Rayan pour lui dire au revoir. Sa camarade, perdue dans ses pensées, ne sembla même pas remarquer sa présence et abandonna Olympe pour rejoindre les dortoirs sans un mot.
L’étudiante soupira, anxieuse à l’idée de cette sortie en boîte de nuit, surtout pour discuter d’un éventuel stage dont elle n’était même pas certaine de vouloir. Tandis qu’elle sortait du bâtiment d’art, accueillie par un grand soleil ainsi qu’un vent glacial, son regard se perdit sur la foule d’étudiants. Au loin, une chevelure rousse attrapa son attention.
Des cheveux d’un roux aussi profond, elle n’en avait jamais vu qu’une seule fois dans sa vie. C’était difficile à oublier.
Croyant d’abord un hasard, son pied descendit la première marche des escaliers instinctivement. Puis elle la vit, la personne à qui appartenait ces cheveux courts et lisses. Ce visage d’un blanc vitreux et couvert de tâches de rousseur. Ces yeux bruns et joyeux. Ce sourire étincelant. Et, enfin, cette chaise roulante sur laquelle elle était assise.
Non, c’était impossible.
Et pourtant, ça ne pouvait être qu’elle. Personne, d’aussi loin, n’aurait pu dégager la même aura.
Ada.
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