Ce chapitre contient une scène Lemon (explicite).
Pour lire la version Lime (non explicite), c'est par ici.
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Ambre regardait la neige tomber par delà la fenêtre de sa chambre d’hôpital.
Légèrement entrouverte, un vent léger et frais s’engouffrait dans la pièce à l’air étouffant et synthétique. L’infirmière s’était plainte du froid mais la jeune femme avait réussi à la convaincre de laisser la fenêtre ouverte encore un petit peu. Ambre, elle, la tête posée sur ses genoux, appréciait ce froid d’hiver glisser sur ses pieds nus par-dessus les couvertures.
Elle aurait aimé que la neige tienne mais quelque chose lui disait que celle-ci disparaîtrait dans les heures à venir. De quand datait son dernier Noël blanc ? Des souvenirs fugaces d’elle et Nathaniel jouant dans leur jardin jusqu’à ce que leurs mains s’engourdissent de sculpter des bonhommes de neige les uns après les autres lui revenaient en tête. Ils devaient alors avoir dix ou onze ans, pas plus. Depuis, tous les hivers passaient et se ressemblaient. Celui-ci ne ferait probablement pas exception. Les flocons étaient fins, à peine discernables d’une pluie normale. Tout le monde dans l’aile de l’hôpital était surexcité à l’arrivée de la neige, comme s’ils s’attendaient à la voir recouvrir les arbres et les routes de son manteau blanc dans les heures à venir, se préparant déjà à sortir en profiter à l’extérieur.
Ambre n’était pas sortie depuis des semaines.
Les médecins et les infirmiers avaient essayé de la convaincre, voire de la forcer, ne serait-ce qu’à aller se balader dans le parc de l’hôpital, mais Ambre avait toujours refusé. Apathique, l’envie de sortir de cette pièce avait totalement disparu. Les premiers jours, Ambre avait hurlé sur tout le personnel de la laisser partir, les menaçant avec tout ce qui lui passait sous la main, jusqu’à ce que son comportement la conduise à l’isolement. Pourtant, en moins d’une semaine, cette passion s’était évanouie jusqu’à ne plus se réveiller et, au contraire, provoquer la préoccupation de son entourage. Même ses parents s’inquiétaient pour elle. Si du moins, leur inquiétude avait quoi que ce soit de sincère, ce dont elle doutait sincèrement.
Personne ne se souciait réellement d’elle. Les médecins, les infirmiers, c’était leur travail. Son père, c’était par honte d’avoir une fille hospitalisée en établissement spécialisé. Sa mère, c’était par peur que ce hiatus dans sa carrière n’en signe sa fin définitive. Ses amis ? Elle n’en avait pas. Elle n’en avait plus, ou n’en avait jamais eu.
Ambre était seule dans cette chambre. Celle-ci était devenue son univers, son cocon. L’air frais et les rares flocons s’infiltrant dans le léger espace de la fenêtre ouverte lui suffisaient pour la faire mieux respirer. Même si elle se trompait et que la neige finissait réellement par tenir au sol, la jeune femme n’avait aucune raison de sortir pour s’y aventurer.
Elle n’avait personne avec qui construire des bonhommes de neige, cette fois-ci.
Ambre ferma les yeux, enfouissant son visage entre ses genoux. Ce jour-là, elle avait fait l’effort de prendre une douche, sous les encouragements mielleux de son infirmière. Elle portait un pantalon en faux jean élastique et un sweater noir. Néanmoins, elle n’était pas allée jusqu’à laver ses longs cheveux, n’en ayant pas le courage. Attachés en une queue de cheval improvisée, ils tombaient lourdement sur son dos, le crâne huileux. L’épilation n’était pas une question non plus depuis ces dernières semaines, ses sourcils en particulier ayant repris leur forme désordonnée originelle. Lorsque sa mère la verrait de nouveau avec les cheveux sales et le visage dans un tel état, elle ne manquerait pas de s’emporter et de lui rappeler qu’une mannequin se devait d’être présentable en toute circonstance. Ambre savait qu’elle avait raison mais s’en moquait ouvertement.
Plus rien n’avait d’importance pour elle désormais.
Ses bras autour de ses jambes, elle les serra fortement contre sa poitrine, les yeux fermés. Même sans les voir, elle entendait encore les flocons frapper doucement contre la fenêtre, comme une invitation à savourer l’hiver tel qu’il arrivait. À une époque, Ambre aimait l’hiver, car il lui permettait d’exhiber ses plus beaux manteaux. Elle en avait toute une collection. Désormais, tout cela lui semblait totalement stupide. Personne ne l’avait jamais complimentée pour ses manteaux ; ses collègues en avaient toutes des plus beaux ou plus chers et les photographes ne s’intéressaient qu’à ce qu’il y avait en dessous.
Les regretterait-elle si elle décidait de tous les vendre sur un coup de tête ? Et tous ses autres vêtements si serrés qu’ils laissaient sur sa peau des marques brûlantes et douloureuses ? Tous ces vêtements-là, devrait-elle les porter de nouveau une fois sortie ? Serait-elle forcée de reprendre sa carrière là où elle l’avait abandonnée ? À écouter sa mère, ce ne serait pas possible. Passer des semaines sans mettre à jour ses réseaux sociaux et répondre à ses e-mails était une faute professionnelle qu’on ne lui pardonnerait jamais dans ce milieu. Il lui faudrait tout reprendre depuis le début.
Les régimes, les castings, les photos, les soirées, l’alcool, la drogue, le « networking ».
Tout recommencer à partir de zéro. Sa mère préparait déjà le terrain pour cela. Ambre, elle, n’envisageait même pas de quitter cette chambre.
Lentement, elle déplia ses jambes, s’adossant au mur derrière elle. Son regard se perdit sur sa table de chevet où reposait une trousse de maquillage apportée par ses parents, abandonnée telle quelle. Et juste à côté, une boule à neige. Sans réfléchir, sa main alla chercher la décoration et la secoua, comme on se devait de le faire avec une boule à neige. C’était encore une fois ses parents, les seuls à venir la voir, qui la lui avait donnée, expliquant que ça lui rappellerait Noël à la maison puisqu'ils ne pourraient pas le fêter ensemble cette année. Ils n’auraient jamais sacrifié leur réveillon pour le passer avec elle dans une chambre d’hôpital.
La boule, dans les tons blancs et bleus, représentait une petite maison enneigée avec un sapin de Noël et des loups jouant avec des guirlandes.
C’était Nathaniel qui la lui avait offerte mais ça, leur père ne s’en souvenait pas.
Comment aurait-il pu ? Il lui avait confisqué ce cadeau après que Nathaniel soit allé contre leur interdiction de rapporter un souvenir de leurs vacances au ski, l’ayant acheté avec son propre argent pour l’offrir à sa sœur. Ambre l’avait repérée dans une boutique et avait supplié ses parents pendant les deux semaines de leur voyage de la lui acheter, s’écrasant à un refus sans appel. Les souvenirs, c’étaient pour les enfants, et ils étaient déjà collégiens à l’époque.
En comprenant que Nathaniel était allé acheter la boule à neige dans le dos de son père, celui-ci l’avait confisquée et était allé « corriger » le jeune garçon dans une autre pièce, où Ambre n’avait pas accès.
Qu’est-ce que vous ressentiez dans ces moments-là ?
Ambre observa la neige artificielle flotter dans la boule pour se déposer en flocons épais sur la petite maison. Ses yeux étaient comme absorbés par cette vision surréaliste de cette neige éternelle volant sous ses yeux.
Qu’est-ce que cela vous faisait de voir votre frère subir ces sévices ?
Sa main se serra sur l’objet, jusqu’à en blanchir ses jointures. Soudainement, elle aurait voulu que ce cadeau disparaisse de sa vue.
Qu’est-ce que vous ressentiez ?
Qu’est-ce que cela vous faisait ?
Qu’est-ce que ça faisait de ne pas pouvoir l’empêcher ?
— Ah !!
Son cri se perdit dans l’éclat du verre se brisant contre le mur face à elle. La respiration agitée et le bras encore tendu, Ambre eut besoin d’un instant pour comprendre que c’était bien elle qui avait jetée la boule à neige, la faisant se briser en mille morceaux. C’était bien elle qui avait eu cet excès de violence que les médecins essayaient de comprendre et de canaliser depuis des semaines.
Le cœur au bord des lèvres, la jeune femme laissa lentement son bras redescendre, regrettant déjà son geste. Pourquoi était-elle incapable de penser à Nathaniel sans sentir ce vent de colère incontrôlable monter en elle ? Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ? Ambre serra fermement les poings jusqu’à sentir une pointe de douleur dans ses paumes.
Essuyant une larme à l’orée de ses cils, Ambre descendit de son lit pour récupérer les débris et les jeter avant que quelqu’un n’entre et se blesse. Soupirant, elle coinça ses doigts dans ses longues manches pour les protéger et commença à ramasser les morceaux. Le liquide de la boule à neige s’était renversé jusqu’aux pieds du lit.
— Est-ce que tout va bien ? interrogea une voix derrière la porte.
Celle-ci s’ouvrit sur une infirmière qu’Ambre ne reconnaissait pas. En voyant le bazar par terre, la femme fronça les sourcils, perplexe.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
D’une voix basse, la jeune femme répondit froidement :
— Je l’ai faite tomber.
L’infirmière observa le mur duquel une longue traînée d’eau se répandait jusqu’au sol. Les sourcils froncés, elle soupira, comprenant bien ce qu’il venait réellement de se passer.
— Ne ramassez pas ça avec vos mains, bon sang. Je vais chercher le balai.
Tandis qu’elle quittait la chambre, Ambre baissa la tête et poursuivit son petit ménage, empilant les plus gros morceaux de verre les uns sur les autres. Quelques secondes passèrent avant qu’elle entendit quelqu’un frapper.
— Entrez, répondit-elle sans lever la tête, croyant au retour de l’infirmière.
Concentrée sur sa tâche, Ambre ne comprit qu’elle s’était trompée de personne qu’une fois cette dernière accroupie face à elle.
— Quel dommage, une si jolie boule à neige.
Son cœur manqua un battement en reconnaissant cette voix. Ambre releva les yeux vers Priya qui, les bras croisés sur ses genoux, observait le désastre avec des yeux tristes.
— P-Priya ?
Que faisait-elle ici ? L’avait-elle contactée avant de venir ? Ambre avait pourtant consulté son portable un peu plus tôt dans la journée mais il n’y avait aucun message de sa part. Sentant le rouge envahir ses joues, la jeune femme se releva brusquement pour lui tourner le dos. Elle croisa fermement les bras.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
— J’ai appelé avant et on m’a dit que tu acceptais les visites.
Ambre serra son sweat au niveau de sa poitrine, espérant en calmer les pulsations.
— C’est parce que personne ne vient, répondit-elle sans réfléchir, le regrettant à l’instant où les mots franchirent ses lèvres.
Quelle chose nulle à dire ! Ou comment avouer qu’elle n’avait personne dans sa vie qui s’inquiétait pour elle. Tremblante, elle fit un pas vers la fenêtre, ne se sentant toujours pas prête à faire face à Priya. Du peu qu’elle avait vu, elle était venue joliment habillée, avec une jupe, un manteau blanc et ses cheveux attachés en une longue queue de cheval. À côté, de quoi devait-elle avoir l’air ? Avec ses vieux vêtements et ses cheveux sales. À cet instant, Ambre aurait donné tout ce qu’elle avait pour disparaître dans un trou de souris.
— Excusez-moi Mademoiselle, je dois nettoyer tout ce bazar, dit l’infirmière en entrant dans la chambre.
— Oh oui bien sûr, désolée.
Toujours sans se retourner, Ambre vit dans le reflet de la vitre Priya se pousser poliment pour laisser passer l’infirmière. Dans un silence à peine perturbé par les coups de balais, la jeune femme observait sa visiteuse, essayant toujours vainement de se calmer. Pourquoi Priya devait-elle toujours la voir dans ses pires moments ? D’abord au club, puis face à Nathaniel, et enfin ici. Que devait-elle penser d’elle, après tout ça ?
Son ventre se tordit. Devrait-elle lui demander de partir ? Ce serait plus simple, comme ça.
L’infirmière, une fois sa tâche terminée, s’excusa et quitta la pièce, laissant les deux jeunes femmes seule à seule. En silence, Priya entreprit de balader son regard un peu partout, comme y cherchant la preuve qu’il s’agissait bien du lieu où Ambre avait passé les dernières semaines. Pourtant, à l’exception des quelques objets que ses parents lui ramenaient et que la mannequin s’obstinait à ne pas toucher, rien ne laissait croire qu’il s’agissait bien de sa chambre. Celle-ci était triste et vide, comme son occupante. Rien ne se démarquait.
— Qu’est-ce que tu fais là ? finit-elle par demander, n’y tenant plus.
Ses mains s’accrochèrent fermement au rebord de la fenêtre tandis qu’Ambre regardait la fine neige s’écraser et fondre sur la vitre.
— Nathaniel m’a dit que tu serais d’accord.
Un sentiment de colère incontrôlable grandit dans sa poitrine.
— Parce que vous vous voyez souvent ?
Ignorant le brusque changement de ton de son interlocutrice, Priya répondit calmement, un sourire aux lèvres.
— On s’est croisés au Snake Room. Je lui ai demandé s’il avait de tes nouvelles.
Ambre déglutit, le cœur au bord des lèvres, rendue nauséeuse par l’évocation de son frère.
— Je vois.
— Vous, vous ne vous êtes toujours pas revus, pas vrai ?
La jeune femme se retourna lentement, les mains crispées et la tête baissée.
— On n’a rien à se dire.
— Je vois, répéta Priya, comme imitant Ambre un peu plus tôt.
Un léger silence s’installa. S’il existait un malaise, l’étudiante en droit y semblait totalement hermétique, souriant avec tendresse.
— Comment tu te sens ?
Ambre eut un rire cynique, croisant les bras.
— Très bien. Ça ne se voit pas ?
Idiote ! Qu’est-ce qui te prend de lui parler comme ça ?
Le rouge envahit ses joues de honte. Pourquoi n’arrivait-elle pas à contenir ses émotions ? L’apathie, la tristesse, la rage, la honte, la solitude... tout se mélangeait, tout se ressemblait. Depuis qu’elle était ici, c’était comme s’il lui était impossible de contrôler aussi bien ses paroles que ses actions.
— Si tu ne veux pas que je reste, je peux partir, tu sais, proposa poliment Priya.
Étrangement, le sentiment que son amie ne le lui reprocherait pas si elle lui demandait réellement de s’en aller la fit se sentir encore plus mal. Quel genre de personne odieuse était-elle pour faire ressentir à Priya qu’elle n’était pas la bienvenue ? C’était tout le contraire. Priya était peut-être la seule personne dont la présence l’importait, même si elle l’intimidait en même temps. La seule personne qu’elle aurait souhaité voir passer cette porte sans jamais y croire. Si ses « amies » du travail, du lycée ou de l’université ne passaient même pas la voir, alors qu’elles la prenaient dans leurs bras quelques semaines auparavant en lui jurant d’être toujours là, comment aurait-elle pu croire que Priya viendrait ? Surtout après la façon dont son amie l’avait vue traiter son propre frère. Après la façon dont elle l’avait traitée, elle.
Qui aurait envie de rendre visite à quelqu’un comme ça ?
On ferait mieux de la laisser mourir ici. Ça arrangerait tout le monde.
— Si je suis venue c’est parce que je m’inquiète pour toi, poursuivit Priya.
Elle s’assit sur le lit.
— Et c’est peut-être égoïste mais j’avais peur que tu m’en veuilles.
Surprise, Ambre releva enfin la tête.
— Pourquoi ?
— C’est moi qui ai appelé l’ambulance ce jour-là. C’est à cause de moi si tu es ici.
— À cause de toi ? s’étonna-t-elle.
Un sourire triste apparut sur ses lèvres. La jeune femme posa la main sur son visage.
— Tu ne devrais pas plutôt dire que c’est grâce à toi ? Après tout ce que je vous ai fait endurer à toi et à Nathaniel. Il était pas temps que la toxico de service se fasse enfermer, non ?
Incapable d’affronter son regard, Ambre regardait dans le vide, sa main se serrant sur son front et sa joue de plus en plus fort.
— C’était pas tout ce que vous espériez ? Que je disparaisse. Que j’arrête de vous importuner toi et Nath.
Ses doigts s’enfoncèrent profondément dans sa peau, la douleur acide provoquée par ses ongles dans sa chair étant d’un réconfort étrange. Comme si cette petite douleur physique atténuait celle, gigantesque, qui écrasait son cœur d’un poids insoutenable. Comme si c’était la seule chose qui lui permettait de rester connectée à la réalité.
— Tout le monde gagnerait à être débarrassé de moi.
Alors que sa vue se brouillait, ne laissant qu’une pluie d’étoiles danser devant ses yeux, des mains se refermèrent doucement sur les siennes.
— Respire.
La voix de Priya était lointaine. Ses doigts pressés sur son visage se décontractèrent petit à petit, son amie l’invitant à les écarter. Une gouttelette de sang glissa le long de sa tempe et jusqu’à sa joue. Ambre cligna plusieurs fois des paupières jusqu’à voir se dessiner le visage réconfortant de Priya juste devant elle. Son sourire et ses yeux tendres posés sur elle, comme s’il n'y avait plus besoin de s’inquiéter, parce qu’elle était là. Ambre respira doucement, comme elle lui avait demandé, sentant le calme revenir.
Venait-elle encore de se donner en spectacle devant elle ? Pourquoi ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui n’allait pas chez elle ?
Priya sortit un mouchoir de son sac et l’appuya sur la blessure, tapotant doucement.
— Ce n’est pas profond, heureusement.
— Pourquoi ?
La question lui avait échappé.
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi tu restes aussi sympa avec moi ?
L’étudiante en droit eut un mouvement de recul.
— Tu as bien vu ce que j’ai fait à Nathaniel. Tu m’as vu toucher le fond plus d’une fois. Tu as vu qui j’étais vraiment.
Quelqu’un de mauvais. Quelqu’un qui regardait son frère se faire battre sans jamais essayer de le défendre. Quelqu’un qui n’a pas hésité à lever la main sur celui-ci sans aucune raison après ça. Un monstre.
— Alors pourquoi…
Pourquoi continues-tu à être là pour moi ?
Je ne le mérite pas.
Je ne te mérite pas.
— C’est évident, répondit-elle.
Un silence passa, comme si elle espérait qu’Ambre comprenne d’elle-même.
— Tu es mon amie.
Priya posa la main sur sa joue, caressant doucement là où l’ongle de son pouce avait laissé une empreinte fine comme du papier.
— Je tiens à toi. Probablement plus que tu ne l’imagines.
Le cœur d’Ambre bondit dans sa poitrine. Venait-elle de rêver ce que Priya venait de lui dire ? Ses joues s’embrasèrent mais impossible de les cacher désormais que le visage de Priya n’était plus qu’à quelques centimètres du sien.
— Pourquoi ? demanda-t-elle de nouveau dans un murmure.
L’étudiante rit, sa main quittant sa joue.
— J’ai besoin d’une raison ? On n’est plus au lycée, quand même. On est amies, maintenant.
Toujours rougissante, Ambre baissa les yeux.
— J’aimerais bien continuer à te rendre visite, poursuivit Priya. Si tu es d’accord bien entendu.
— Je...
N’osant affronter son regard, la jeune femme tourna la tête, honteuse.
— J’aimerais... beaucoup.
Priya sourit.
— Merci.
La jeune femme alla se rasseoir sur le lit. Il fallut un moment à Ambre pour comprendre qu’elle l’invitait à prendre place à côté d’elle, sa main tapotant sur les draps.
— Ça fait un moment qu’on ne s’est pas vues, on a pas mal de choses à rattraper.
La jeune mannequin soupira, un sourire en coin, la rejoignant sur le bord du lit.
— De mon côté je n’ai rien à raconter.
— Alors si ça te va, tu peux m’écouter me plaindre du concours d’entrée à l’école d’avocat.
Ambre, les épaules fermées et la tête baissée, regardait l’espace entre ses jambes, ses mains timidement coincées sous ses fesses. Une envie curieuse de fuir le plus loin possible d’ici se mêlait à celle encore plus forte de passer toute cette journée aux côtés de Priya. Celle-ci était la seule et unique à avoir cet effet sur elle, sur son cœur. L’affolant et l’apaisant à la fois.
Priya posa son doigt sous son menton, la poussant à relever la tête vers elle. Ambre rougit mais accueillit ce contact, observant les lèvres de son amie s’étirer en un sourire.
— Je sais que ce n’est pas très intéressant, mais j’espère quand même que tu seras attentive.
La jeune femme répondit timidement à son sourire, ses yeux se plongeant dans les siens pour la première fois depuis qu’elles étaient seules toutes les deux.
— Bien sûr, répondit-elle. Désolée.
Priya rit, la lâchant aussitôt. Elle entreprit de raconter ses derniers déboires avec ses révisions qui étaient bien trop souvent entrecoupées de sorties, culpabilisant sur son manque de sérieux. Curieusement, entendre quelqu’un lui raconter sa vie de tous les jours, sans l’accabler de questions inconfortables sur sa propre situation, la réconforta. Alors, il existait toujours un monde à l’extérieur, loin des déboires, des cris et des larmes... Une vie sous la neige fondue.
Pour la première fois depuis des semaines, des images de rues bondées, de fêtes de Noël, d’étudiants à l’université, de bibliothèque remplie, se formèrent dans son esprit. Retournerait-elle un jour à cette vie-là ? Peut-être, un jour.
Peut-être un autre jour, avec Priya.
♦♦♦
Olympe attacha ses cheveux en une queue de cheval coiffée-décoiffée, s’autorisant un dernier regard dans le miroir pour vérifier son reflet avant de partir. Une robe à fleurs légère qui lui arrivait au niveau du genou, des sandales et des boucles d’oreilles en argent ; elle n’était clairement pas dans le thème pour une fête de Noël improvisée. Néanmoins, il n’était même pas prévu qu’elle quitte le bâtiment, la chambre de Hyun se situant un étage en dessous. Ça ne le dérangerait pas qu’elle n’ait pas joué le jeu, si ? Après tout, ce n’était pas le soir du réveillon non plus. “Pas de tenue formelle exigée”, lui avait précisé son collègue par message.
La jeune femme tenait à être le plus à l’aise possible. Elle ignorait si les choses se passeraient comme elle les avait prévues mais, en tout cas, être confortable était une des conditions. Elle verrait bien comment cette soirée se déroulerait. Olympe abandonna sur son bureau son ordinateur encore ouvert sur une page de son mémoire, ses livres recouverts de marqueurs de toutes les couleurs et n’emporta avec elle que son téléphone et la boîte de chocolats qu’elle avait achetée pour l’occasion. Hyun lui avait fait promettre de venir les mains vides mais la jeune femme n’était pas idiote au point de l’écouter.
“J’ai tout prévu”, lui avait-il dit. Le connaissant, leur petite réunion entre collègues s’annonçait prometteuse. Pouvoir passer un peu de temps avec lui en dehors de ce fichu café et loin de cette saleté de Clémence ne pourrait leur faire que du bien à tous les deux.
Olympe dévala les escaliers jusqu’à la chambre 305, au fond du couloir. En voyant des guirlandes accrochées et un panneau “Merry Christmas !” l’accueillir, la jeune femme eut ses premiers doutes. Lorsque la porte s’ouvrit sur un Hyun dont le pull représentait un cerf au nez rouge, ceux-ci ne firent que se confirmer. Face au visage choqué de son ami, Olympe retint son fou rire du mieux qu’elle le put, une main plaquée sur la bouche.
— Tu... tu avais dit... commença-t-elle, le plus sérieusement possible. Tu avais dit “rien de formel”.
N’y tenant plus, Olympe laissa échapper son rire, sentant son ventre la brûler de s’être retenue si longtemps. Embarrassé, Hyun lui saisit le bras et la força à rentrer, refermant la porte aussitôt après avoir vérifié que personne ne les avait vus. Se tenant les côtes, l’étudiante observa la tête de cerf dont les cornes dépassaient du pull pour retomber mollement sur les côtés.
— Ne me dis pas que c’est toi qui l’as acheté ?
Le rouge qui envahit les joues de son ami répondit pour lui, redoublant son fou rire. Si seulement c’était un cadeau embarrassant que lui avait fait sa famille, ça aurait été différent. Un sourire agacé au visage, Hyun se rapprocha, serrant la mâchoire d’Olympe entre son pouce et son index.
— Dis donc toi t’aurais pu un peu jouer le jeu aussi. T’es habillée comme pour aller à la plage.
— Parce que c’est confortable ! se justifia-t-elle en s’écartant, lui tenant les poignets.
Rien qu’à la vue de la laine grossièrement tricotée, Olympe comprenait que son collègue ne pouvait pas en dire autant. Leur chamaillerie continua encore une minute, entre Hyun qui essayait vainement de faire taire ses rires avec ses propres mains et Olympe qui retenaient celles-ci de toutes ses forces. Exaspéré et amusé à la fois, le jeune homme abandonna, lui demandant au passage d'enlever ses chaussures. Sans attendre, il tira sur le haut de son pull pour l’enlever, révélant le bas de son ventre tandis que son t-shirt se soulevait dans le geste. Il ne dissimula pas son soulagement de ne plus avoir cette horreur sur le dos, laissant échapper un profond soupir. Olympe rit de plus belle, le rouge aux joues de l’avoir observé se déshabiller.
Hyun, le pull toujours dans les mains, observa sa collègue un instant, puis un sourire diabolique se dessina sur ses lèvres. Sans attendre, il fonça sur elle, ouvrant le bas du pull pour lui mettre sur la tête.
— Non, non, attends ! Qu’est-ce que tu crois faire là ?
— C’est ta punition pour t’être foutue de ma gueule ! Une heure avec le pull de Noël ! s’exclama Hyun en tentant vainement de le lui faire enfiler.
— Alors là c’est MORT, si tu crois que tu vas me faire porter cette horreur tu me connais mal !
À force de batailler, les hanches d’Olympe rencontrèrent le meuble derrière elle et les quelques babioles qui se trouvaient dessus se renversèrent. La jeune femme eut un moment d’hésitation, souhaitant s’excuser pour le bazar qu’elle avait provoqué, mais Hyun en profita pour lui faire rentrer la tête dans l’ouverture du pull, pressant de son corps contre elle pour l’empêcher de bouger.
— Aah ! Enlève-moi ce truc !
— Fais pas l’enfant ! Allez, c’est l’heure d’enfiler ton pull !
À bout de souffle, Olympe abdiqua, promettant de le mettre correctement si Hyun se décidait à la lâcher. Le visage rouge pivoine, la jeune femme enfila ses bras dans les manches et tira sur le cerf dont la tête lui était désormais présentée à l’envers. Dépitée, elle fit tomber ses mains le long de son corps. Le pull, en plus d’être hideux, étant bien trop grand pour elle.
— Satisfait ? pesta-t-elle, gagnée par l’embarras.
— Tu es superbe, se moqua-t-il.
Olympe avait beau savoir qu’il ne disait cela que pour la ridiculiser, son visage s’empourpra de plus belle.
— Qu’est-ce qui t’as pris d’acheter un truc pareil aussi ?
— Les pulls moches de Noël sont de nouveau à la mode, tu le savais pas ?
La jeune femme croisa les bras, perplexe. Heureusement que la porte de cette chambre était fermée et que personne ne pouvait la voir habillée ainsi. Prenant brusquement conscience qu’elle se trouvait effectivement pour la première fois dans la chambre de Hyun, la curiosité prit le dessus sur son dépit. Elle baissa les yeux vers le carnet noir et le cadre qui étaient tombés au sol un peu plus tôt. Avant qu’elle n’ait le temps de les ramasser, Hyun s’était baissé pour le faire lui-même. Un sourire satisfait aux lèvres, il replaça les objets sur la table de chevet. Olympe se retourna pour observer la photo dans le cadre. Celle-ci représentait le jeune homme avec les membres de sa famille. En dehors de son père, il était le seul garçon au milieu de toutes ses sœurs et de sa mère.
Oubliant le sujet même de leur querelle originelle, la jeune femme se tourna vers lui.
— Tu ne passes pas les fêtes avec ta famille ?
Hyun fut interloqué par sa question mais, après un haussement d’épaules, répondit simplement :
— Je n’ai pas l’argent pour rentrer cette année.
— Oh, je vois…
Olympe hésita.
— Et ta mère va mieux ?
— Ma mère ?
— Oui, elle était tombée dans les escaliers, non ?
Hyun haussa un sourcil, ne semblant pas comprendre.
— Tu te rappelles le jour où tu avais bu en plein service ? C’était ce que tu m’avais dit. Déjà à l’époque tu n’avais pas pu aller la voir.
Une seconde passa avant que les yeux de son collègue s’écarquillent, se rappelant certainement de cet événement embarrassant.
— Oh... oh, oui ! Oui, bien sûr. Non, désolé, je pensais à autre chose, s’excusa-t-il dans un sourire mal-à-l’aise. Elle va bien, merci. Plus de problème de ce côté-là.
Sa réponse lui parut étrange mais Olympe préféra ne pas insister. Peut-être ne souhaitait-il simplement plus évoquer cette journée avec elle. La jeune femme se gratta l’orée du cou distraitement tout en observant le reste de la pièce. À l’exception des décorations sur la porte et d’un petit sapin en plastique posé sur une malle dans un coin de la pièce, Hyun n’avait pas eu la main lourde sur les décorations. La jeune femme reconnut bien vite son lit où reposait son ordinateur et la casquette brune du café. De l’autre côté de la pièce se trouvaient un autre lit et un bureau parfaitement rangé.
— C’est l’espace de Morgan, mon coloc, précisa-t-il. Il est rentré chez lui pour les fêtes.
Olympe se souvint que Morgan était le petit-ami d’Alexy, bien qu’elle ne l’ait rencontré que quelques fois.
— On a toute la chambre pour nous, rit Hyun.
La jeune femme lui lança un regard en biais, se demandait s’il réalisait vraiment ce qu’il venait de dire. Les joues de son collègue s’empourprèrent soudainement, ses mains s’agitant en l’air à renfort de “Non mais, pas dans ce sens-là”, “Ce n’est pas ce que tu crois”, “J’aurais jamais…” ce qui ne fit que l’amuser encore plus. Elle poursuivit son observation des lieux, curieuse de découvrir à quoi l’antre de Hyun pouvait ressembler. Ce n’était pas très différent de ce qu’elle aurait pu imaginer : plutôt bien organisé, propre, et sentant bon une bougie à la vanille qui était encore allumée. Hyun l’invita à se mettre à l'aise et rangea ses sandales dans un petit meuble dédié aux chaussures juste à côté de la porte, dans le dernier espace libre entre ses très nombreuses paires. Son collègue ne croulait pas sous l’argent mais le peu qu’il avait, il semblait l’investir dans ses vêtements et chaussures. Il était toujours correctement habillé, à l’exception de ce pull hideux qu’il avait décidé de porter ce jour-là. Mais même en dessous de celui-ci, Hyun était habillé d’un t-shirt noir sobre et d’un jean clair.
— J’aurais aimé cuisiner moi-même mais j’ai manqué de temps, expliqua-t-il une fois revenu à sa hauteur en lui présentant deux sacs plastiques posés aux pieds de son lit. Je nous ai pris des sushis, ça te va ?
— Des sushis ? Ça fait très Noël ! moqua-t-elle.
— Tu peux parler, Madame-À-La-Robe-À-Fleurs, feignit-il d’être vexé.
Olympe rit avant de se rappeler de ce qu’elle avait elle-même apporté. Bien vite, elle retrouva sa boîte de chocolats qui était tombée un peu plus tôt lors de leur dispute. À moitié sous le lit, la jeune femme se baissa pour la ramasser.
— J’ai failli oublier, moi j’ai ramené ça.
L’emballage tartan et le joli nœud vert qui l’ornait avait au moins le mérite d’honorer la fête qui les avait rassemblés tous les deux ce jour-là. Fièrement, Olympe la lui présenta et Hyun l’accepta dans un sourire.
— J’ai aussi pris des boissons, dit-il. Avec tout ça, on ne manquera de rien !
— Désolée, s’excusa timidement Olympe, réalisant qu’elle n’avait rien amené d’autre que cette simple boîte. Je n’ai presque rien préparé, c’est toi qui as tout fait...
— T’en fais pas, c’est moi qui t’ai invitée après tout. Puis c’est la première fois qu’on mange ensemble en dehors du café, alors on doit fêter ça dignement !
Hyun scella ses paroles en sortant du sac plastique deux canettes de bière. Sans réfléchir, Olympe inspecta la sienne, soupçonneuse, réalisant bien vite qu’elle était sans alcool. Hyun sourit en la voyant faire.
— Tout est sans alcool, tu peux boire l’esprit tranquille ! ajouta-t-il.
La jeune rougit, tenant la canette entre ses mains. Hyun rapprocha la sienne de manière à les entrechoquer, marquant le début de leur soirée ensemble. Tandis qu’Olympe buvait une gorgée, son collègue s’arrêta dans son geste. Il ne l’avait pas quittée des yeux. Sans un mot, il se rapprocha et glissa sa main libre sur sa nuque pour libérer ses cheveux qui étaient restés coincés dans le pull tout ce temps. La jeune femme rougit au contact de ses doigts rendus presque glacés après avoir touché la canette, se sentant frissonner. Instinctivement, elle toucha l’endroit où sa main l’avait effleurée et commença à gratter.
Hyun but enfin une gorgée et dit en riant.
— Ça gratte à mort, hein ?
Olympe hésita, ne comprenant pas sur le moment où il venait en venir. Puis, ses yeux se baissèrent sur le pull à la laine épaisse qui recouvrait de démangeaisons tout le haut de son corps.
— Pourquoi t’as acheté un truc pareil ? s’énerva-t-elle en commençant à se gratter furieusement le cou et les bras, comme ayant occulté jusque-là comme le tissu était inconfortable.
— Pour ça, je suppose, plaisanta-t-il en continuant de la dévisager.
— Je peux pas l’enlever ? le supplia-t-elle.
— On a dit une heure.
— Tu as dit une heure, moi j’ai rien accepté du tout !
Hyun rit sans répondre, buvant de nouveau une gorgée de sa bière.
— Allez, je ferai ce que tu veux !
— Vraiment ?
Son collègue leva la tête, réfléchissant réellement à une proposition. Puis, son expression regagna un certain sérieux qui surprit quelque peu la jeune femme.
— Tu peux l’enlever si tu acceptes de répondre à une question.
— Une seule ? l’interrogea-t-elle en haussant un sourcil. C’est tout ? D’accord.
Hyun hésita, observant le fond de sa canette, puis demanda simplement :
— Pourquoi tu détestes autant l’alcool ?
La jeune femme eut un mouvement de recul, sa main cessant aussitôt de gratter l’orée de son cou. On lui avait posé cette question une centaine de fois déjà ; elle avait toujours apporté une centaine de réponses différentes. Dans cette société, ne pas boire était l’exception à la règle, surtout à cet âge où les fêtes et les soirées occupaient la majeure partie du temps libre en dehors des cours.
— Je... je n’ai...
Je n’aime pas ça, c’est tout.
Elle aurait pu répondre ça et enlever ce pull. Elle aurait pu simplement répondre ça et conclure la conversation sans problème. Hyun était quelqu’un de bien, quelqu’un qui avait même hésité avant de poser cette question indiscrète là où beaucoup ne se gênaient pas. Il n’aurait pas insisté s’il voyait que ça la gênait ou qu’elle ne voulait pas répondre. Il aurait probablement même accepté qu’elle enlève le pull malgré tout.
N’importe quelle excuse aurait fait l’affaire. Le goût, les croyances, la santé, le sport... N’importe quoi, sauf la vérité.
— Un jour j’ai...
Le regard perdu dans le vide, Olympe s’entendit répondre.
— Un jour j’ai trop bu et j’ai failli faire quelque chose d’horrible...
Sa main se serra sur sa canette.
— Et j’ai... j’ai eu un accident.
Comme une punition. C’était ce qu’elle s’était dit. Qu’on l’avait punie pour ce qu’elle avait failli faire ce soir-là, avec la mauvaise personne, au mauvais endroit. Une punition, c’était comme ça qu’elle le voyait, alors remarcher aurait dû payer sa dette.
C’était comme ça qu’elle l’avait imaginé. C’était si simple dans sa tête, à ce moment-là. Si elle remarchait, alors ce serait comme si tout ça n’était jamais arrivé. Comme si elle était pardonnée.
Mais rien ne s’était passé comme prévu.
Personne ne l’avait pardonnée, à commencer par elle-même.
— Depuis je ne bois plus, murmura-t-elle, la voix brisée, une larme dévalant silencieusement sa joue.
Reprenant subitement conscience d’où elle se trouvait et de ce qu’elle était en train de dire, Olympe sourit, embarrassée, essuyant ses pleurs avec la manche du pull et s’excusant à demi-mot. Hyun posa sa canette sur le meuble derrière elle et recueillit de lui-même ses larmes avec le dos de son doigt. Sa peau était aussi froide que le métal qui entourait sa boisson, lui arrachant un rire gêné.
— Je suis désolé.
— Non c’est moi, sourit-elle. Ce n’est pas... ce n’est rien...
Ce n’était pas rien mais ça, Hyun l’avait bien compris. Son collègue la prit doucement dans ses bras et Olympe fit de même, la canette pendant toujours dans sa main, sa joue posée contre son torse. Ils restèrent ainsi quelques instants, le temps que son ami lui masse tendrement le dos pour la réconforter. C’était la première fois depuis son retour qu’elle avouait avoir eu un accident à quelqu’un. Et pas à n’importe qui, à Hyun. Probablement la personne en qui elle avait le plus confiance ici. Son collègue, son ami. Elle appréciait le fait qu’il ne demande pas de détails supplémentaires ; c’était encore trop difficile. Ses jambes tremblaient rien qu’à l’évocation de ce souvenir, comme ne s’étant jamais remises, là où les médecins n’y décelaient pourtant plus aucune anomalie.
Une fois son calme repris, Olympe se décala, posant à son tour la bière sur le meuble. Elle s’essuya de nouveau les yeux pour y enlever tous les restants de larmes qui avaient pu tomber contre sa volonté et leva la tête vers Hyun.
— Merci.
Elle ne cessait jamais vraiment de le remercier pour tout et n’importe quoi, avait-elle l’impression. Hyun reprit sa boisson et annonça joyeusement :
— Tu as gagné le droit d’enlever ton pull !
— Ah ! Enfin, bordel !
Sans attendre, la jeune femme l’enleva, se sentant étouffer à l’intérieur. Outre les démangeaisons, elle commençait à furieusement transpirer dans cet accoutrement alors que le chauffage était plus que suffisant. Les bras et le cou rouges de sueur, Olympe laissa échapper un soupir de ravissement, ne remarquant qu’une fois le pull jeté sur le lit que Hyun la dévisageait étrangement. Son sourire avait disparu. Lorsque leurs regards se croisèrent, le visage du jeune homme s’empourpra et il prit bien vite une gorgée de sa bière pour le dissimuler. Il y avait eu quelque chose dans ses yeux, quelque chose d’un peu différent de d’habitude. Quelque chose qu’elle avait peur de mal interpréter, tout en espérant bien que ce soit ce qu’elle pensait. Rougissante elle aussi, Olympe croisa les bras sur sa robe et s’assit sur le siège du bureau. Elle balança ses jambes flageolantes pour faire tournoyer la chaise, s’amusant toute seule de ce geste. Hyun l’arrêta avec son pied, toujours le goulot de la canette à la bouche, et proposa de commencer à manger. L’étudiante accepta bien rapidement.
Ils déballèrent les différents plateaux de sushis et les dévorèrent en seulement quelques minutes. Tout était délicieux et, à en juger par la qualité, Hyun avait dû les acheter dans un bon restaurant. Olympe se sentit un peu coupable compte tenu du fait que son collègue semblait constamment à court d’argent. Elle se promit de lui offrir un cadeau de Noël, même s’ils s’étaient accordés pour ne pas s’en échanger et économiser. Après tout ce qu’il avait acheté pour cette soirée, c’était le minimum.
Entamant ensuite les desserts et les chocolats, ils goûtèrent aux différentes boissons sans alcool que Hyun avait réussi à trouver, s’amusant parfois de leur goût insolite. La discussion alla bon train, passant des cours au café, à leurs projets pour les vacances et autres. Sans qu’aucun n’eut conscience comment, ils commencèrent à parler de leurs anecdotes du collège et lycée.
— J’en reviens pas que tu aies lu tous les Twilight ! s’exclama Olympe.
— Et moi qui t’en ai lu aucun ! C’était hyper à la mode au collège, tout le monde les lisait, se justifia Hyun.
— Alors vas-y, avoue, t’étais team Edward ou team Jacob ? demanda sarcastiquement Olympe en se penchant en avant.
Ils étaient désormais assis tous les deux sur le sol, juste à côté du lit de Hyun. Timidement, celui-ci répondit :
— Team Jacob.
— Oh nan ! Nan ! Pas celui qui tombe amoureux d’un bébé !
— C’était avant ça ! Puis il tombe pas vraiment amoureux d’un bébé c’est dif- roh ça va, hein ! s’agaça-t-il faussement en feignant de lui donner un coup de pied pour la faire arrêter de rire.
Olympe s’écarta pour l’éviter, ses fesses rencontrant les roues de la chaise de bureau derrière elle.
— Pourquoi tu l’aimais bien ? demanda-t-elle plus sérieusement.
— J’en sais rien ! tonna-t-il, légèrement embarrassé. Il devait me faire de la peine, amoureux d’une fille qui ne l’aime pas...
— C’est sûr, répondit Olympe en allant chercher une autre boisson dans le sac plastique. Dans les films en tout cas, c’était vraiment un crétin, pire que l’autre. Je crois même qu'il force l'héroine à l'embrasser à un moment, non ?
Ils continuèrent à discuter des pires livres qu’ils avaient lus et échangèrent ensuite sur leurs préférés. Olympe lisait tant d’ouvrages pour ses recherches qu’elle avait perdu le goût de lire pour le plaisir là où, au contraire, Hyun s’investissait de plus en plus dans les livres de science-fiction depuis ces derniers mois. Ils parlèrent également de leurs films et séries préférées et des prochaines sorties. La soirée se poursuivit sans encombre et dans la bonne humeur générale, ni l’un ni l’autre ne voyant les heures défiler.
Il était plus de deux heures du matin lorsque le sujet du café revint sur le tapis.
— Dis, tu penses qu’on va tenir jusqu’à la fin de l’année, toi ? questionna Olympe.
— J’en sais rien. Il le faut bien, non ? Tu as d’autres opportunités de job, toi ?
— Pas franchement... rien qui soit proche de la fac en tout cas.
— Pareil.
Ils soupirèrent et Olympe se rassit en tailleur de manière à pouvoir poser sa tête sur le matelas à côté d’elle.
— Ça a quand même l’air moins difficile pour toi, poursuivit-elle.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Clémence t’adore, expliqua la jeune femme en levant les yeux au ciel. C’est limite si elle te vénère pas.
Hyun eut une expression dégoûtée et se passa la main dans les cheveux.
— C’est pas mieux, je te jure. Puis t’es pas là quand je dois bosser seul avec elle.
— Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle fait quand je suis pas là ? Elle te gueule dessus peut-être ? s’amusa-t-elle.
Hyun tourna la tête vers elle, interdit. Olympe regretta son sarcasme, décelant sur le visage de son collègue quelque chose qu’il n’avait visiblement pas envie de dire. Mais, avant qu’elle n’ait le temps de s’excuser, Hyun fit tomber sa tête en arrière sur le matelas, laissant échapper un profond soupir, les bras croisés.
— En tout cas, jure-moi de pas démissionner sans m’en parler avant.
— Je t’ai même promis de ne pas démissionner tout court, plaisanta-t-elle, un sourire en coin.
Hyun se pencha comme pour lui donner un coup de coude, sans l’atteindre. Olympe rit, l’évitant de nouveau, et posa son bras sur le lit, sa tête posée contre son poing.
— Peu importe où je dois travailler, ajouta-t-elle. J’ai envie de continuer à bosser avec toi.
Le jeune homme tourna la tête vers elle.
— Tu penses vraiment ce que tu dis ?
— Bien sûr. C’est devenu une condition sine qua non pour moi maintenant ! Hors de question de travailler où que ce soit sans avoir un Hyun à mes côtés.
Ce dernier sourit tendrement, sans répondre. Après un instant, il se redressa, décroisa les bras et se frotta les yeux, comme finalement gagné par la fatigue.
— Tu sais, parfois, moi, j’ai l’impression d’avoir un problème avec l’alcool, dit-il en souriant.
Olympe pouffa, interloquée par le contraste entre le sérieux de son propos et son ton amusé.
— Pourquoi ?
— Parce que j’en ai besoin. Quand ça va mal, pour... aller mieux, et oublier. Même si l’alcool ne fait vraiment ni l’un ni l’autre. Je me sens toujours plus misérable après.
La jeune femme sourit tristement, comprenant très bien où il voulait en venir. Elle aussi avait expérimenté ça, à une époque.
— Mais aussi parce que j’en ai besoin quand ça va bien, comme maintenant. Juste pour me donner du courage.
— Te donner du courage ? l’interrogea-t-elle, curieuse. Pour quoi ?
Hyun tourna la tête vers elle, plongeant ses yeux dans les siens. Son expression devenue brusquement si sérieuse la fit se redresser légèrement, comme si elle avait posé une question qu’elle n’aurait pas dû.
— Pour ça.
Hyun se pencha vers elle et posa ses lèvres sur les siennes.
♦♦♦
Les lèvres de Hyun étaient douces et légères, comme dans son souvenir. Il les avait appuyées fermement mais avec cette légère hésitation qui aurait pu inviter le refus. Malgré la surprise, Olympe avait accueilli ce baiser sans le repousser, les yeux clos. La main de Hyun s’était posée sur le sol près de ses hanches et l’autre avait encerclé son poignet. L’étudiant se recula, son regard percutant le sien. Malgré la rougeur de ses joues et l’incertitude quant à son geste qui planait encore dans l’air, il semblait sûr de lui. C’était ce qu’elle voulait. Qu’il n’ait pas peur d’aller chercher ce qu’il souhaitait, au fond de lui. Ce qu’elle avait toujours cru comprendre sans se l’avouer. Comme répondant à sa place, son silence et son regard tout aussi ardent invitèrent son collègue à se rapprocher et l’embrasser de nouveau, avec plus de force cette fois-ci. Sa main saisit la sienne et l’autre quitta le sol pour remonter le long de son bras. Olympe se sentit frissonner de plaisir tandis que sa bouche s’ouvrait pour l’inviter à aller plus loin. Sa langue avait le goût du chocolat et de la bière qu’ils avaient tous deux dégustés à peine quelques minutes auparavant. Hyun quitta son visage, juste un instant, laissant échapper un rire qui ressemblait à un soupir de soulagement, avant de fondre de nouveau sur elle, capturant ses lèvres avec fièvre. Olympe sourit elle aussi, savourant cet instant qu’elle avait attendu toute la soirée.
Car tout s’était passé comme elle l’avait espéré.
Et les choses ne faisaient que commencer.
La jeune femme pressa son visage de manière à pousser le sien, le forçant à se reculer, et, sans préavis, se mit à califourchon sur lui. Surpris, Hyun se décala, accueillant les jambes d’Olympe de part et d’autre de son corps sans véritablement comprendre. La jeune femme prit le visage de son collègue entre ses mains, le regardant avec défi, de ce même regard qui les avait amenés à s’embrasser pour la première fois au café.
Ce n’était qu’un jeu, alors. Un jeu qui se jouait à deux.
La jeune femme approcha ses lèvres, les refusant à Hyun à peine quelques centimètres des siennes, savourant la torture que cela semblait être pour lui. Elle avait le contrôle ; même si c’était lui qui avait commencé, Olympe comptait bien mener la danse à partir de maintenant. Elle avait attendu trop longtemps pour ça. Ses mains glissant sur son torse, la chaleur transparaissant même au travers de son t-shirt, l’étudiante emprisonna ses lèvres entre les siennes de nouveau, ne lui laissant plus le choix. Hyun glissa ses doigts dans ses cheveux, caressant doucement le haut de sa nuque. Sans même s’accorder le temps de respirer, ils s’embrassèrent comme s’il n’y avait aucun lendemain, comme s’il s’agissait de la dernière fois que cela devait arriver.
Après tout, c’était peut-être le cas. Mais l’un des deux ne le savait pas.
Hyun détacha ses lèvres de celles de sa collègue, malgré ses protestations, gémissant dans son oreille.
— Ah, Olympe.
Son visage était empourpré jusqu’à ses oreilles.
— J’en avais tellement envie.
Joyeuse, Olympe rit, prenant son menton dans ses mains pour le forcer à la regarder.
— Je sais.
Hyun rit face à son insolence, l’embrassant de nouveau. Olympe s’amusait beaucoup, se permettant même de mordre gentiment le coin de sa bouche, ce qui ne sembla pas déplaire à l’intéressé.
Petit à petit, ses mains descendirent le long de son torse, jusqu’à atteindre les boutons de son jean. Dans un mouvement assuré, Olympe défit le premier, faisant sursauter Hyun. Ce dernier lui saisit les poignets en riant, embarrassé.
— Hey, attends... qu’est-ce que tu fais ?
— Ce n’est pas ce que tu veux ? demanda-t-elle dans un murmure sensuel, sûre d’elle.
Hyun rit, mal à l’aise. Le regard fuyant, il n’arrivait visiblement plus à lui faire face.
— C’est pas... enfin c’est pas... j’en sais rien, c’est un peu rapide, non ?
Olympe dégagea sa main et caressa sa joue, espérant le convaincre de l’observer de nouveau, persuadée que ses yeux seuls sauraient le convaincre.
— Moi j’en ai très envie.
Hyun eut un nouveau rire embarrassé, ne s’étant certainement pas attendu à ce qu’elle soit aussi directe, s’étant probablement encore moins attendu à ce qu’un simple baiser l’emmène jusque-là.
— Pas toi ? demanda-t-elle de nouveau, se doutant bien de sa réponse à la grosseur de son pantalon.
Olympe avait beau le tenter, le jeune homme hésitait encore, le regard fuyant. Avec lui, ce n’était peut-être pas la bonne technique à adopter. L’étudiante se pencha sur son cou, déposant des baisers papillons sur sa peau. Lorsque la place lui manqua, elle tira doucement sur le col de son t-shirt, lui donnant accès au haut de son torse.
— Attends, attends, l’arrêta Hyun de nouveau, lui prenant fermement les épaules pour la repousser franchement cette fois. Pourquoi tu veux le faire avec moi ?
Ses yeux braqués dans les siens, il était particulièrement sérieux, malgré le rouge et la pudeur qui recouvraient encore ses joues.
Olympe haussa les épaules, répondant avec sarcasme.
— Parce que j’ai besoin d’une raison ?
— Oui.
Ses mains serrèrent encore plus fermement ses épaules.
— Moi j’ai besoin d’une raison.
Olympe se mordit la lèvre.
— Alors... disons parce que je me sens bien avec toi.
Sans le quitter des yeux, la jeune femme ajouta d’une voix douce.
— Parce que tu me plais beaucoup.
Profitant du relâchement dans ses bras, l’étudiante rapprocha son visage, comme un prédateur sur sa proie.
— Parce que j’ai très envie de toi maintenant.
Olympe tenta de l’embrasser mais Hyun se recula, l’expression toujours sérieuse. Dans un sourire gêné, il murmura :
— Mais tu ne m’aimes pas, pas vrai ? Je veux dire... c’est trop... c’est tôt...
— T’aimer ?
Prise au dépourvue, la jeune femme se recula, les mains sur son torse. Le visage de Hyun était passé au rouge pivoine. Que répondre à cela ? Embarrassée, Olympe aussi se sentit rougir.
— N-Non, forcément, mais je veux dire...
Évitant son regard, la jeune femme balada ses doigts le long de son bras.
— Je t’aime comme un ami qui m’est très cher, tu vois.
— Je... je crois pas que les amis font ça entre eux.
— Certains le font, tu sais, protesta-t-elle timidement.
Olympe était allée trop loin pour échouer maintenant. Elle en avait bien trop envie pour rentrer bredouille dans sa chambre à cette heure avancée de la nuit. Elle avait besoin de Hyun à cet instant, plus de n’importe qui. Quelqu’un en qui elle avait confiance, avec qui elle se sentait suffisamment à l’aise, qui ne l’intimidait pas, sur qui elle avait un certain ascendant.
Posant ses lèvres contre son oreille, elle murmura :
— Ça te dérangerait tant que ça qu’on soit ce genre d’amis...?
Parce qu’Olympe, c’était exactement ce qu’elle recherchait. Ce type d’ami-là. Même si elle était la première à oublier que l’honnêteté était primordiale à n’importe quelle “amitié”. Dire la vérité, à ce moment-là, était bien trop risqué.
L’amitié était un jeu qui se jouait à deux mais, dans ce cas-là, seule Olympe en connaissait les règles.
Les deux mains posées sur ses épaules, la jeune femme se recula, les lèvres pincées et le cœur tambourinant dans sa poitrine. Est-ce que sa technique allait réellement marcher ? Est-ce qu’il allait accepter dans ces conditions ? Et s’il la repoussait définitivement ? Et si leur amitié n’en ressortait pas intacte après cela ?
Leur amitié, telle qu’elle avait existé jusqu’à maintenant, était déjà brisée de toute façon. Qu’il dise oui ou non.
— Je... commença-t-il. Je sais p...
Leurs regards se croisèrent de nouveau. Olympe lui sourit.
Hyun déglutit, sans la quitter des yeux.
— D’accord.
— D’accord ?! Vraiment ? s’enthousiasma la jeune femme en tapant dans ses mains.
L’étudiant glissa une main dans le bas de son dos et l’autre sous sa robe, tirant sur l’élastique de sa culotte.
— Oui, j’en suis sûr, répondit-il avec un sourire en coin.
Une vague de chaleur percuta ses jambes et son bas ventre, accueillant cette bonne nouvelle avec bonheur. Prenant son visage à deux mains, Olympe embrassa son sourire, savourant ses lèvres comme si elles avaient à lui offrir une toute nouvelle saveur. Hyun répondit avec plaisir, baladant son doigt tout autour de son sous-vêtement, amusé de la faire languir sans l’enlever de suite. Bien vite cependant, il prit les pans de sa robe pour la lui retirer, leurs bouches se séparant juste le temps de la passer au-dessus de sa tête. Olympe fit de même avec son t-shirt, le jetant sans prêter attention à la destination. La jeune femme tira sur ses bracelets, ne souhaitant pas être gênée dans ses mouvements, ne quittant pas Hyun des yeux. Chacun dévorait du regard le corps de l’autre qu’ils voyaient presque nus pour la première fois.
— Tu es belle, lui dit-il simplement.
Se mordant la lèvre, Olympe répondit en riant.
— Je sais.
Dans son regard, elle l’était ; ça, elle l’avait remarqué depuis longtemps. Même si elle en doutait parfois, elle voulait se sentir toujours aussi belle telle qu’elle l’était dans le regard de Hyun. Parce qu’il était peut-être le seul à la regarder ainsi.
L’étudiant, une main dans son dos, fit basculer son bassin pour l’allonger sur le sol, juste sous lui. Il parcourut son corps de baisers, de l’aube de son oreille jusqu’à son nombril. La jeune femme ne put s’empêcher de se tortiller, étant plus amusée qu’excitée par les chatouilles que cela lui provoquait.
— On va sur le lit ? proposa-t-elle.
— Hum... il est super étroit et fait un bruit d’enfer, expliqua Hyun en revenant à sa hauteur, embarrassé.
— Bah... le sol fera l’affaire, rit-elle.
Sincèrement, peu importait. La moquette n’était pas si désagréable, même si elle le regretterait certainement le lendemain lorsque les courbatures viendraient. La jeune femme referma ses bras autour du cou de son collègue, détaillant son visage avec attention. Ses cheveux noirs tombant légèrement sur ses yeux sombres, ses pupilles dilatées, sa peau si blanche.
— Tu es beau, dit-elle, un sourire en coin.
— Je sais.
Hyun se pencha pour l’embrasser sur les lèvres, ses mains occupées à lui enlever son soutien-gorge. La jeune femme l’aida et l’enleva d’elle-même, le refaisant tomber plus loin. Elle frissonna en sentant ses mains se poser sur ses seins, probablement la partie la plus sensible de son corps. Bientôt, sa bouche quitta la sienne pour embrasser sa poitrine, d’un côté puis de l’autre. Olympe gémit, sentant le feu gagner son entrejambe avec plus de fureur qu’auparavant. Le peu de tissu qui les séparait encore lui paraissait si superflu. Peut-être était-ce parce que l’envie s’était faite forte pendant ces quatre dernières années, à souhaiter être intime avec quelqu’un sans oser le faire, mais Olympe souhaitait que ça aille vite. Comme son sein ne faisait qu’un avec ses lèvres, elle le voulait en elle, tout de suite. Le plus rapidement serait le mieux.
N’y tenant plus, les jambes flageolantes de plaisir à ces simples caresses, elle posa ses deux mains sur son torse et le fit basculer sur le côté. Une fois à califourchon sur lui, elle se délecta de sa surprise, posant ses deux mains sur son pantalon.
— J’ai envie d’être en haut, annonça-t-elle.
Passé l’étonnement, Hyun accepta sans mal, rougissant en la sentant enlever son caleçon avec son bas. Olympe ne souhaitait plus attendre une seconde de plus. Cela faisait déjà des semaines depuis qu’elle connaissait Hyun et le voyait comme le parfait candidat avec qui faire repartir la machine.
Parce que c’était cela qu’elle recherchait depuis le début. C’était ce qu’elle attendait de lui.
Mais ça, elle ne le dirait pas.
Après tout, pour Hyun aussi cela faisait longtemps. Environ deux ans, c’était lui qui le lui avait dit. Lui aussi devait en avoir envie. Cela se sentait à la façon dont son corps embrassait le sien, aussi bien avec ses lèvres qu’avec ses mains, et bientôt avec autre chose. La dernière chose qu’il ne lui avait pas encore exposée.
Hyun en avait autant envie qu’elle, mais pas pour les mêmes raisons. L’ignorer était seulement plus facile pour tous les deux.
Le jeune homme désormais à découvert ne souhaita pas rester le seul dans cette situation bien longtemps, saisissant fermement la culotte d’Olympe pour la lui enlever à son tour. L’étudiante arrêta ses mains au niveau de ses cuisses, ne voulant pas qu’il les touche.
— Tout sauf mes jambes, précisa-t-elle.
Hyun hocha la tête pour signifier qu’il avait compris. Il la laissa finir de se déshabiller, rougissant en observant l’intimité de la jeune femme juste au dessus de la sienne. Ce n’était plus possible de faire machine arrière désormais. Leur relation ne reviendrait plus à la normale après ça.
C’était terminé.
— Tu as de quoi nous protéger ? demanda Hyun.
Olympe, prise dans le feu de l’instant, avait failli oublier le plus important. Elle avait acheté des préservatifs dans la semaine mais les avait bêtement laissés dans sa chambre. Voyant l’expression ennuyée de la jeune femme, Hyun se redressa.
— Morgan a ce qu’il faut.
Il se dirigea vers le bureau de celui-ci et fouilla à l’intérieur à la recherche de ce dont ils avaient désespérément besoin tous les deux. Assise sur les fesses en l’attendant, Olympe ne put retenir son rire en voyant Hyun déambuler nu au milieu de la chambre. Toutes les lumières étaient encore allumées, lui permettant de détailler l’anatomie de son collègue sous toutes les coutures. Lorsque la jeune femme était encore lycéenne, l’idée de faire l’amour avec les lumières allumées était invraisemblable ; c’était dans le noir complet et la discrétion d’une couette confortable ou rien du tout. Sa première fois avec Nathaniel avait été chaotique, mais n’était-ce pas ce pour quoi les premières fois étaient faites pour ? Ça restait un bon souvenir.
Cette première fois avec Hyun était loin d’être déplaisante non plus.
Ce dernier revint avec le Graal entre ses doigts, le montrant fièrement, comme s’il avait accompli là quoi que ce soit d’exceptionnel.
— Morgan ne va rien te dire ? demanda Olympe, amusée.
— Il en a plein, il verra aucune différence, répondit Hyun en haussant les épaules.
Comme brusquement ramené à la réalité, le jeune homme rougit jusqu’aux oreilles. Olympe sourit, se penchant sensuellement vers lui, drapée dans toute sa confiance en elle, et murmura dans son oreille.
— Tu me laisses te la mettre ?
Olympe lui avait déjà pris le préservatif des mains, une des siennes occupée à découvrir ce membre qui se dressait devant elle. Elle le poussa de nouveau doucement, de manière à coucher Hyun sur le dos. Elle déchira le plastique, sentant bien vite le lubrifiant du préservatif recouvrir ses doigts. Souhaitant en faire bon usage, avant de l’habiller avec la capote, Olympe saisit son entrejambe. Hyun gémit presque instantanément, ses râles augmentant tandis qu’elle commençait un mouvement de va-et-vient.
— Ah...
La jeune femme se mordit la lèvre, la poitrine embrasée rien qu’au plaisir de voir celui qu’elle procurait chez lui. Sans même s’en rendre compte, sa main libre commença à toucher son clitoris dans un même rythme.
— Ah... gémit Hyun, les deux mains sur son visage. Attends, attends. Ça va trop vite, je vais jouir si tu continues.
Olympe rit légèrement, se sentant également partir bien trop rapidement. Après toutes ces années, son corps était en feu, se délectant du moindre contact, du moindre gémissement, du moindre regard. Un rien allait la faire jouir si elle continuait, mais ce n’était pas ce qu’elle voulait tout de suite. Pas avant d’avoir fait le plus important, ce que son entrejambe lui réclamait depuis le début.
Se rappelant de sa mission, Olympe pinça le bout du préservatif et le déroula sur le sexe toujours dressé de Hyun.
— Je peux y aller ? demanda-t-elle, plus prête que jamais.
— Vas-y, répondit-il, les mains dissimulant toujours son visage rougissant.
La jeune femme ne se fit pas prier, à quatre pattes au-dessus lui, s’empala sur son membre doucement, de manière à ne pas se faire mal. Son entrejambe était si mouillée d’avoir autant attendu qu’elle ne ressentit presque aucune douleur. Au contraire, un gémissement de plaisir lui échappa tandis qu’elle le sentait s’enfoncer au plus profond d’elle. Bientôt les râles de Hyun s’ajoutèrent au sien. La jeune femme saisit ses mains, le forçant à cesser de dissimuler son visage. Olympe l’embrassa, presque inconsciemment, ne sentant plus que ce feu dans son entrejambe. Partagée entre un soulagement d’avoir enfin ce qu’elle souhaitait et l’envie d’en tirer encore plus de plaisir, l’étudiante commença doucement son va-et-vient, rejointe par les mouvements de Hyun sous elle.
Leurs lèvres, leurs mains, leur poitrine, leur intimité, plus un seul espace entre eux n’était pas partagé en cet instant. C’était cette osmose-là qu’elle souhaitait revivre plus que tout ; le plaisir était présent et important, mais ce partage lui avait tant manqué pendant toutes ces années. Cette sensation de ne faire qu’un avec quelqu’un. Quelqu’un avec qui elle se sentait bien. Avec qui elle se sentait aimée.
Parce que Hyun l’aimait. Il l’aimait, vraiment.
Les corps ne mentaient pas. Pas dans ces conditions. Pas alors qu’ils se mettaient littéralement à nu l’un face à l’autre.
Olympe aurait pu aimer Hyun aussi. Ça aurait été tellement plus simple si c’était le cas. Si son esprit n’était pas occupé par quelqu’un d’autre.
La jeune femme sentit une vague puissante de plaisir l’envahir alors qu’elle jouissait, accélérant le mouvement, n’ayant même pas pris la peine de prévenir Hyun avant. Ce dernier l’avertit et la rejoignit peu après, leurs mouvements se calmant petit à petit. Dans un soupir partagé, ils s’enlacèrent. Olympe se délogea et finit par rouler sur le côté, épuisée. À bout de souffle, Hyun s’excusa.
— J’ai dû tenir à peine cinq minutes... désolé.
Olympe sourit, elle aussi peinant à reprendre sa respiration, et lui donna une tape sur le torse.
— Pareil, t’inquiète. J’en avais trop envie pour que ça prenne trois heures. Franchement, la flemme.
— Vite et bien fait.
Ils rirent tous deux, allongés sur la moquette l’un à côté de l’autre. Olympe avait tant angoissé à l’idée de le refaire avec quelqu’un après ces longues années d’abstinence alors que tout avait été si facile ! Comme s’il n’y avait rien de plus évident, ici et maintenant, que leurs deux corps se tordant de plaisir à l’unisson. Un tel bonheur simple à atteindre, ça ne s’oubliait pas, ça restait ancré dans la peau. Que deux, quatre ou dix ans passent, c’était la même chose. La jeune femme s’était torturée pour rien. Une confiance en elle retrouvée, elle soupira de soulagement, heureuse.
Plusieurs minutes passèrent sans qu’ils ne se disent rien. Puis, Hyun se redressa lentement, arrachant un rire à la jeune femme lorsqu’elle remarqua que les motifs de la moquette avaient marqué tout son dos. L’étudiant jeta le préservatif et décida dans un même temps de se rhabiller, poussant la jeune femme à en faire de même. Elle cessa néanmoins de rire en voyant les marques rouges sur ses genoux d’avoir frotté la moquette. Ça mettrait sûrement des semaines à partir en plus de faire un mal de chien...
— Ah... je suis crevé. Tu veux boire quelque chose ? proposa Hyun en se dirigeant vers son mini-frigo.
Olympe, encore assise sur le sol, était occupée à remettre soigneusement ses bracelets.
— Oh, non, ça va aller. Je vais plutôt rentrer !
Surpris, Hyun se retourna.
— Quoi ? Tu veux pas plutôt rester ? Je veux dire... il est genre trois heures du matin. Tu peux dormir ici tu sais.
— Ma chambre est littéralement un étage au-dessus ! se moqua-t-elle. Autant rentrer et dormir dans mon lit.
Le jeune homme, visiblement interloqué, resta pantois.
— Je comprends mais... enfin je sais pas... je pensais pas que la soirée était terminée.
— M’en veux pas mais je suis crevée !
L’étudiante bailla ostensiblement comme pour prouver ce qu’elle disait. Elle se releva, vérifia que sa tenue n’avait aucun problème, et récupéra ses chaussures dans le meuble de l’entrée. Elle se dirigea vers la porte et déposa un baiser rapide sur la joue de son collègue au passage.
— On se revoit au café !
Et, sans lui laisser le temps de répondre, quitta joyeusement la chambre, satisfaite de sa soirée.
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