samedi 18 juin 2022

“Pourquoi j'ai kidnappé Nathaniel” ♦ Épilogue - Pourquoi il n'est jamais revenu



 Un mois était passé depuis.
 Su avait fait semblant de ne pas être surprise en le voyant réapparaître sur le pas de sa porte un beau matin, les cheveux plaqués sur le crâne par une tonne de gel et des vêtements correctement repassés. Il paraissait encore plus propre et coincé que d’habitude. Il n’avait plus de cernes sous les yeux et elle constata qu’il tenait sur ses deux jambes sans difficulté. Et puis l’odeur était enfin partie, bon Dieu.
 Elle n’avait pas eu de ses nouvelles jusque-là. Après son départ elle avait seulement repris son chômage là où il était et avait téléphoné à son frère pour le rassurer – il lui avait annoncé qu’il allait avoir un enfant. Tant mieux. Elle comprenait pourquoi il avait eu un tel acharnement à la contacter et à foutre en l’air son plan qui, de base, allait foirer de toute façon. Elle avait également pu retourner sur Amour Sucré et voir que rien n’avait changé : l’équipe administrative n’avait jamais réellement ébruité l’affaire si bien qu’avec l’hypothétique doublure de Nathaniel, tout le monde avait légitimement cru à son retour – sauf ses anciennes comparses, mais ça c’était une autre histoire. Su ne savait pas s’il avait repris son emploi.
 Su aurait pu lui poser la question, là, maintenant.
 Mais elle avait l’impression de voir un fantôme. Elle se contenta de dire, un mois après l’avoir viré de chez elle :

 — Salut.

 Il répondit :

 — Salut.

 C’était un bon début.
 Elle plissa les yeux.

 — Je peux entrer ?

 Il se mit à sourire.
 Elle avait l’impression qu’il préparait quelque chose – Nathaniel dut le comprendre à son haussement de sourcil puisqu’il leva les mains et ouvrit grand les paumes.

 — Je ne compte rien te faire. Promis juré.

 Elle se mordit la lèvre – elle détestait le sourire qu’il avait depuis qu’elle avait ouvert la porte. Elle détestait le fait qu’il le rendait si beau.
 Elle finit par acquiescer en silence et se décala pour le laisser entrer. Alors qu’il posait un pied à l’intérieur, elle enfonça son doigt dans son bras, le forçant à s’arrêter. Il lui jeta un regard en biais.

 — Mais je te préviens, je compte refuser toutes tes avances sexuelles.

 Il ouvrit la bouche.

 — Merde alors.
 — C’est le deal ! dit-elle en fermant la porte alors qu’il entrait en cachant mal son envie de rire.

 Elle l’invita à le suivre jusque dans la cuisine – il traîna un peu les pieds devant la porte du garage aménagé, celle qui se trouvait juste à gauche dans le couloir. Su siffla et il reprit son chemin. La cuisine était toute petite mais curieusement lumineuse. Une petite table ronde et blanche était posée au milieu, avec une chaise de jardin et un tabouret. Su s’avança et débarrassa l’assiette et le verre de vin vide qui étaient restés dessus.

 — Tu bois souvent toute seule comme ça ? C’est un peu triste, souffla Nathaniel et se posant sur la chaise de jardin qui était un peu trop près du sol.
 — Non ! C’était… du jus de raisin.
 — Dans un verre à pied ?
 — Oh, ça va hein ! Je fais ce que je veux, s’énerva-t-elle en entassant la vaisselle sale dans l’évier.

 Nathaniel regretta un peu d’avoir dit ça, surpris par le ton de sa voix. Elle se passa les mains sous l’eau et commença à laver le verre. Ses cheveux avaient un peu poussé et elle s’était fait un chignon. Vu le temps qu’elle avait mis pour ouvrir la porte, il la soupçonnait d’être allée se coiffer et s’habiller correctement en voyant qui attendait devant chez elle. Elle portait une très longue jupe noire avec un pull sombre. Depuis un mois, la chaleur avait laissé place à un temps très nuageux et pluvieux. Ce jour-là n’échappait pas à la règle, même s’il ne pleuvait pas – Nathaniel l’avait redouté durant tout son trajet dans la voiture, craignant que ça abîme le gel dans ses cheveux.
 Quand il s’était retrouvé dehors, sans béquilles pour le porter et sans taxi pour rentrer, il n’avait pas su quoi faire. Il était resté assis un moment sur le bitume, à attendre – il pensait qu’elle reviendrait le chercher mais elle ne l’avait pas fait.
 Après une heure à ramper sur le sol pour se traîner loin de là, une voiture s’était arrêtée pour l’aider. Il avait finalement pu rentrer chez lui. Il avait appelé sa famille et ses amis proches, inventant une excuse différente à chaque fois. Ils les avaient tous crues, même les plus farfelues comme « j’ai fui au Brésil avec une danseuse rencontrée dans un bar » ou « j’ai fait un stage de claquettes ». Il avait finalement appelé son travail en disant qu’il viendrait dès le lendemain.
 Su revint vers lui et posa deux verres d’eau sur la table.

 — C’est de l’eau du robinet, hein.
 — Ça me convient, dit-il en prenant son verre et en faisant tourner le liquide à l’intérieur.
 — Depuis quand tu es aussi arrangeant ?
 — Je l’ai toujours été.

 Elle lui lança un regard perplexe.

 — Oui, enfin, ça dépend des situations.

 Il reposa le verre sur la table. Su tenait le sien entre ses paumes comme une boisson chaude. Un silence gênant s’installa alors qu’elle faisait des bulles en posant ses lèvres sur l’eau.

 — Pourquoi tu es venu ? finit-elle par demander.

 Il se redressa, les mains sur les tables.

 — Je suis venu te parler du lov’o meter.

 Su baissa la tête.

 — Je vois, murmura-t-elle. Si tu veux le récupérer, c’est mort. Il a été réduit en poussière.
 — Il a été réduit en poussière ?
 — JE l’ai réduit en poussière.

 Il sourit et baissa les yeux.

 — Justement c’est ça dont je voulais te parler. Je crois avoir compris pourquoi tu as réussi à le détruire.
 — Ah. Éclaire-moi donc de ta lanterne, dit-elle sans cacher son ironie.

 À son grand étonnement, Nathaniel ne répondit rien. Quand elle releva la tête, elle vit qu’il la fixait avec intensité. Un peu gênée, elle finit par détourner le regard, les sourcils froncés et les joues rouges.

 — Quoi ? Tu veux dire que je l’ai brisé grâce au pouvoir de l’amour, c’est ça ?
 — Pas du tout.

 Su n’en montra rien mais se sentit un peu vexée.

 — Je pense que le lov’o meter avait fait son temps. Le moment était venu pour moi de m’en débarrasser.
 — Alors comme ça tout ne tourne qu’autour de monsieur.

 Nathaniel croyait l’avoir énervée mais il constata à son sourire que ce n’était pas le cas. Il ne répondit rien et, face à son silence, Su demanda finalement :

 — Tu as été renvoyé ?
 — Non, même si j’ai eu du mal à expliquer ma disparition soudaine, répondit-il en lui jetant un regard noir. En fait, j’ai même réussi à négocier.
 — Hum ?
 — Avec l’appui des autres, j’ai expliqué que nos horaires étaient impossibles à tenir. Ils ont donc accepté de me garder avec ma doublure, ainsi que d’en trouver une pour tous les autres. On a divisé notre temps de travail par deux.

 Su ne comprenait pas vraiment pourquoi il lui disait ça. Un peu plus et elle trouverait ça ennuyeux, elle qui n’avait même pas de travail.

 — J’ai même réussi à obtenir des vacances, ajouta-t-il avec un sourire enfantin.
 — Ce qui explique ta présence ici ?
 — En effet, approuva-t-il en baissant les yeux.

 Su se leva et enleva les verres, même si Nathaniel n’y avait pas touché. Elle les posa sur le comptoir, à côté de sa barquette pré cuisinée entamée.

 — Tu veux bien qu’on recommence depuis le début ?

 La voix de Nathaniel, soudainement si proche, la fit sursauter. Quand elle tourna la tête elle constata qu’il s’était levé et cette nouvelle proximité la fit rougir. Elle fit un pas en arrière et croisa les bras pour en cacher les tremblements.

 — De quoi est-ce tu parles ?
 — Et si on faisait comme si tout ça n’avait jamais eu lieu ? Sans ta déclaration gênante et sans mes révélations honteuses sur mes états gastriques.

 Su ne put s’empêcher de rire mais elle ne parvenait toujours pas le regarder dans les yeux. Elle commença à paniquer quand il fit encore un pas vers elle.

 — Tu as aimé le Nathaniel du jeu, mais moi je suis différent.

 Elle haussa les sourcils.

 — Oui, enfin, un peu différent, poursuivit-il. Le Nathaniel du jeu ne reviendra jamais.

 Son cœur explosa quand il lui prit les mains.

 — Mais moi je suis là, ajouta-t-il.

 Ne pouvant s’en empêcher, elle le força à la lâcher, espérant que ça atténuerait le feu à ses joues.

 — Qu’est-ce que t’es niais, dit-elle en couvrant son visage avec ses mains, ne pouvant alors voir sa réaction.
 — Alors tu veux bien ?

 Elle prit quelques secondes pour réfléchir. Quand elle rouvrit les yeux, les joues toujours aussi rouges, il lui présentait sa main.

 — Enchanté, je m’appelle Nathaniel, dit-il.
 — Moi c’est Su, répondit-elle instinctivement en lui serrant la main.
 — Bien. C’est un bon début.
 — Oui, on a qu’à aller à notre rythme, hein. Rien ne presse, murmura-t-elle avec un sourire gêné.

 Quand elle releva les yeux vers lui, elle sentit sa main se poser contre sa joue et, la seconde d’après, il pressa ses lèvres contre les siennes. Il enroula son bras autour de sa taille alors qu’elle tirait de toutes ses forces sur sa chemise avec ses mains tremblantes. Le baiser ne dura qu’un battement mais elle eut le sentiment, cette fois plus que jamais, que leur deux cœurs avaient battu en même temps.
 Quand il enleva son visage du sien, elle ne put s’empêcher de presser ses lèvres l’une contre l’autre comme pour en sauvegarder la saveur. Elle baissa la tête et, ses mains sur son torse, elle donna une petite tape.

 — Ce rythme-là me convient.
 — En même temps, si tu acceptais mes avances sexuelles tout de suite on irait beaucoup plus vite.

 Et alors que Su entreprenait de frapper Nathaniel jusqu’à ce que mort s’en suive, le soleil se montra pour la première fois depuis un mois. Saluant sans doute le pire couple qui n’eut jamais été formé, celui de Nathaniel et de Su qui écrivaient enfin la seule et véritable histoire d’Amour Sucré.

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