vendredi 17 juin 2022

“Pourquoi j'ai kidnappé Nathaniel” ♦ Chapitre 1 - Pourquoi je l'ai enfermé dans ma maison



 Nathaniel avait eu le temps de compter tous les motifs qui composaient les rideaux : il y en avait quarante-sept.
 Deux jours qu’il les regardait en se demandant s’ils étaient aussi sombres à cause de la crasse ou s’ils avaient seulement été brûlés par le soleil. Deux jours qu’il se demandait pourquoi ils avaient été si précautionneusement fermés avec une épingle à nourrice si c’était pour laisser passer de la lumière à travers tous les trous du tissu abîmé. Deux jours à se demander pourquoi il y avait exactement quarante-sept motifs en forme de nounours sur ces rideaux, pas un de plus, pas un de moins. Ce nombre n’était ni rond, ni pair ni même un multiple de trois.
 Et puis des fois, quand il avait fini d’analyser la mocheté absolue de ce motif enfantin, il se demandait ce qu’il foutait là. Aussi.

 — Tu es réveillé ?

 Nathaniel ne l’avait pas entendu entrer – plongé dans l’obscurité, il ne voyait rien d’autre que la lumière plaquée sur ces rideaux sales, se faufilant dans les imperfections. Il avait seulement réussi à deviner les quelques formes qui composaient la pièce, en ayant de brefs aperçus lorsque sa kidnappeuse allumait l’écran de son ordinateur, la lumière bleutée illuminant les lieux. Trop fatigué, il était incapable de se concentrer sur autre chose que ces rideaux dégueulasses qui recouvraient la seule fenêtre de la pièce.
 Il ne répondit rien. Elle avait une drôle de voix, très guillerette.
 Sa tête le lançait atrocement. Le manque de nourriture, de lumière, d’eau et l’impossibilité de bouger lui provoquait d’atroces courbatures dans les membres.

 — Tu parles jamais ?

 Qu’elle était con ! Un sourire aux lèvres et de la naïveté dans la voix, en plus. Il se demandait si elle était sérieuse.
 En tout cas elle ne plaisantait pas.

 — Il fait trop sombre ici.

 Sans blague ?

 — Je vais ouvrir les rideaux.

 Nathaniel eut un drôle de pincement au cœur. Il ne voulait pas qu’elle touche au seul lien qu’il gardait avec une certaine forme de lucidité – enfermé depuis deux jours dans un endroit sans n’avoir rien d’autre à faire, ces rideaux étaient la seule chose sur laquelle il avait la main mise.
 D’un pas assuré elle enjamba son corps, enleva l’épingle à nourrice et, d’un coup sec, ouvrit les rideaux. L’arrivée de la lumière brûla la cornée de Nathaniel, ce dernier fermant les paupières aussitôt.

 — Aah !
 — Roh, ça va. Quelle chochotte.

 Il mit quelques secondes avant de les rouvrir sans forcer sur sa rétine – les sourcils froncés, son arcade sourcilière lui faisait mal. Il put alors observer la pièce pour la première fois : ça ressemblait à un placard étrangement spacieux, ou alors un garage aménagé. Il avait été entreposé près du mur du fond, derrière une étrange marche. Sur le sol s’étendait une moquette jaunâtre, détruite par les années et présentant quelques traces de moisissures près des étagères. Il y avait des vélos, des vieux vêtements, des affaires de ski et des peluches. Beaucoup de peluches. Il n’y avait que ça autour de lui, si bien qu’il commença à s’agiter sur sa place.

 — Ne bouge pas, arrête.

 Il soupira, la bouche toute pâteuse.

 — De toute façon je ne vais pas aller bien loin.

 Non, non, Nathaniel. Pas la peine d’espérer.

 — Je me suis foulé la cheville.

 Les messages subliminaux sont trop compliqués pour elle, te dis-je.
 Même les regards insistants ne peuvent pas fonctionner, voyons.
 Il entendrait presque la mouche passer dans son crâne.

 — Tu veux bien me détacher ?
 — Non.

 Il soupira encore. Ça avait le mérite d’être clair.
 Elle avait fait demi-tour pour aller s’asseoir à son bureau positionné à l’autre bout de la pièce, près de la porte. Il prit le temps de regarder cette fille pour la première fois, cachée derrière les poussières qui dansaient dans les rayons du soleil. Elle n’était pas très belle, se dit-il. Vêtements trop grands, cheveux pas coiffés et un peu trop maquillée, il ne voyait pas du tout quel style elle essayait d’avoir.
 Le style émo peut-être.

 — Pourquoi veux-tu que je te détache ?
 — Mais… ! manqua-t-il de s’étouffer. C’est évident !
 — Ah bon ?

 Il se serait bien frappé le crâne contre le mur mais il était trop loin.

 — Ça me fait mal !
 — Ce ne sont que des cordes. Ça ne fait pas mal, les cordes.

 Il était si loin que ça, ce mur ?

 — Je… soupira-t-il, cherchant une manière élégante de le dire. Je ne compte pas m’enfuir alors détache-moi s’il te plaît. Je ne peux même pas marcher. Alors quitte à ce que je reste ici…
 — J’ai dit non !

 Il se ravisa, cette soudaine autorité venant de sa part lui fit un drôle d’effet. Il avait peut-être oublié l’espace d’un instant qu’il était séquestré chez elle et que, par conséquent, il n’était pas en position d’imposer ses décisions. Seulement, il commençait sérieusement à avoir mal et il avait abandonné l’idée de s’échapper d’ici. Il avait peur de cette fille et de son gros sac avec un dollar imprimé dessus.
 Je n’avais pas de sac propice au kidnapping alors j’ai pris celui-là, lui avait-elle dit lors de son réveil dans ce qui deviendrait sa prison.

 — C’est la première fois qu’on parle aussi longtemps, dit-il dans un souffle.

 La remarque ne sembla pas lui faire plaisir.

 — Tu es ennuyeux.
 — On me le dit souvent.

 Elle n’avait pas l’air de comprendre la blague – pour preuve le regard en biais qu’elle lui lançait.

 — Je suis Nathaniel, tu sais, le délégué coincé que tu kidnappé un beau matin alors qu’il était au travail.
 — Ah oui, c’est vrai.
 — Donc on dit de moi que je suis ennuyeux.
 — Je vois.
 — Parce que je suis toujours sérieux.
 — J’ai compris !

 Elle s’était levée sous l’exaspération.

 — Tu parles trop.

 Nathaniel aurait eu du mal à la contredire – mais depuis qu’il avait remarqué que d’autres motifs décoraient le côté intérieur des rideaux, il avait décidé d’avoir d’autres occupations. Même si cela signifiait avoir des conversations plates et stupides avec une fille au cerveau effroyablement lent.
 Cette dernière faisait les cent pas à présent et lui s’était résigné à se reposer contre les valises dans son dos. La simple présence de la lumière du jour était pour lui d’un réconfort sans égal – il en oubliait le fait qu’il mourrait de faim, ce que son ventre n’oublia pas de lui rappeler.

 — Tu fais trop de bruit aussi.

 La faute à qui, pensa-t-il.

 — Je ne sais pas quoi faire de toi en attendant les autres.
 — Les autres ?

 Elle eut un instant d’hésitation, se mordant l’ongle du pouce. Personne ne lui avait dit ce qu’elle devrait faire de lui en attendant que leur plan fabuleusement fabuleux réussisse.
 Nathaniel avait désespérément essayé de la faire parler durant les premières heures de son enlèvement, abandonnant bien vite suite aux trop nombreuses respirations forcées de chloroforme qui, à force, lui donnaient des vertiges et la nausée. Il en avait conclu que cette fille était folle à lier et que ses amies se servaient de sa bêtise pour lui faire remplir une mission qu’aucune autre personne censée n’aurait acceptée de faire.
 Il était seulement forcé de constater qu’elle prenait ça très à cœur.

 — Peut-être que je dois te laisser mourir et ensuite envoyer ton cadavre morceau par morceau p…
 — HEY ! Non mais ça va pas la tête !

 Elle fit une pause.

 — T’as raison, c’est trop compliqué à organiser toute seule.

 Il allait mourir dans le garage aménagé d’une fan de Castiel ?
 Merde, quelle fin tragique.

 — Tu as faim ?

 La soudaineté de sa question le ramena à la réalité. Il se redressa et osa à peine la regarder dans les yeux.

 — Hum, oui.

 Elle s’avança jusqu’à se positionner en face de lui et le pointa du doigt, allant même jusqu’à l’enfoncer dans sa joue douloureuse.

 — Tu dois tout me dire.
 — Dire quoi ? demanda-t-il en ne pouvant s’empêcher de loucher sur son doigt.
 — Le site, ton travail. Comment ça marche. Pourquoi t’as ce lov’o meter collé aux basques. Je dois tout comprendre pour trouver une solution.
 — Et pourquoi je ferai ça ?
 — Tu as faim, pas vrai ?

 Quel requin.
 Son ventre répondit à sa place.

 — En plus je peux aussi te frapper avec une batte de baseball si tu refuses.

 Il se souvint alors comment il s’était retrouvé avec du sang dans la bouche à son réveil – ça lui revint en mémoire comme ça, boum ! D’un coup de batte dans la gueule.

 — C’est d’accord.

 Elle sourit de toutes ses dents et se releva, fière de sa combine et visiblement contente d’avoir enfin de quoi s’occuper.

 — À une condition, s’exclama-t-il.

 Elle aurait pu lui faire remarquer qu’il n’était pas en état de marchander mais la curiosité tiquait dans son tympan.

 — Je veux que tu me soignes la cheville, un minimum. Elle me fait mal.

 Sans se retourner elle ouvrit la porte et entreprit de sortir, lui jetant tout juste un regard.

 — Ça marche. Pendant un moment j’ai eu peur que tu me demandes de te laisser partir, ça aurait été bête que je sois obligée d’accepter.

 Mais qu’il était con.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire