— Et bien, c’est juste une bronchite. Tu t’en remettras rapidement.
Olympe renifla bruyamment. Le médecin l’invita à remettre son pull et s’asseoir à son bureau. La tête lourde et douloureuse, elle lutta contre la fatigue pour sortir la carte vitale de son sac. Son corps était parcouru de courbatures et de sueurs froides. Elle avait passé la dernière semaine au fond de son lit, à rater la reprise des cours et son travail. Clémence avait hurlé au téléphone, pour ne pas changer, mais la jeune femme s’en souvenait à peine. Elle était persuadée de se faire diagnostiquer avec une grippe vue la force de ses symptômes mais, non, il ne s’agissait que d’une bronchite.
— C’est normal, en cette saison, ajouta-t-il.
Tout le monde ne reste pas sous la neige pendant des heures, aurait-elle dû préciser, si elle avait été sincère. Mais l'honnêteté n'était pas son point fort.
— Comment vont tes parents ?
Derrière le brouillard dans lequel était plongé son esprit malade, Olympe réfléchit à la dernière fois où elle avait appelé ses parents. Pour leur souhaiter la bonne année, probablement. Elle ne retournait pas leurs messages ou autres coups de fil. Elle était trop occupée. Par son mémoire, ses études, son boulot. Rayan, Hyun...
Elle répondit du mieux qu’elle put à son médecin de famille. Ça faisait bizarre de retourner chez lui après quatre ans à vivre loin d’ici.
— Et depuis l’accident, alors ? demanda-t-il nonchalamment ensuite. Je me souviens qu'à l'époque les médecins étaient plutôt pessimistes, mais regarde-toi maintenant ! Tu as l’air en pleine forme, si on oublie la bronchite.
Olympe fixa le sol entre ses jambes, comme attiré par lui. Elle aurait préféré s’y faire engloutir plutôt que devoir poursuivre cette conversation. Il parlait de ça comme si ce n'était rien de plus qu’une anecdote dans sa vie, un événement sans importance.
Elle aurait pu parler de ses douleurs fantômes. De ses jambes qui tremblaient parfois sans aucune raison, ou refusaient au contraire de bouger. De son obsession à garder cette histoire cachée, comme si c'était un secret qui gâcherait sa vie. La vie qu’elle souhaitait se reconstruire ici.
Comment elle n’arrivait pas à tourner la page de l’accident, qu’elle rêvait encore de la nuit ou ça s'était passé. Comme chaque détail était inscrit dans son crâne avec plus de précision que l’instant présent. Que courir lui faisait autant de bien que de mal. Qu’elle était accro à la douleur dans ses muscles lorsqu’elle forçait trop, que cette sensation était enivrante.
— Tout va bien, murmura-t-elle d’une voix si faible que le médecin ne sembla pas l’avoir entendue.
Il ne s’en soucia néanmoins pas et poursuivit la consultation, lui expliquant les médicaments prescrits et l’encourageant à rester couchée au moins encore deux ou trois jours, le temps de se remettre sur pied.
Olympe doutait fortement d’y arriver, à retrouver la forme. Elle n’en avait pas particulièrement envie non plus, en vérité. Rester en boule dans son lit était la seule chose qu’elle souhaitait faire depuis que Rayan avait rompu avec elle. Elle aurait pu continuer ainsi pendant des semaines.
L'idée de retourner en cours lui nouait le ventre. Elle avait accepté sa requête et ne s'était pas réinscrite à son cours, malgré son importance pour ses recherches. La demande de changement de directeur, elle, était restée posée sur son bureau, dans l’attente d'être soumise à l'administration.
Il ne répondait pas à ses appels, ses textos ou ses mails. Il ne lui avait pas dit clairement d'arrêter non plus, se contentant de l’ignorer. C'était plus fort qu’elle. La jeune femme ne pouvait s’empêcher de le contacter encore et toujours, le suppliant de changer d’avis, de la reprendre. Jurant que si Ada lui avait parlé d’elle, ce n'était que des mensonges, qu’il ne fallait pas l'écouter.
Ada lui avait aussi enfin révélé sa “surprise” par texto : elle allait travailler dans la même université où Olympe faisait ses études. En tant qu’amie, cela aurait dû la ravir, mais au lieu de ça, son ventre se tordait dès qu’elle y songeait. Son passé la rattrapait et Rayan, qui aurait dû représenter son avenir, la larguait du jour au lendemain. Tout devait être lié.
Si seulement il acceptait de l'écouter, de la laisser s’expliquer...
— Porte-toi bien ! lui lança joyeusement son médecin de famille en la raccompagnant à la porte. Et passe le bonjour à tes parents.
Elle ne répondit pas et quitta la pièce.
Une fois ses médicaments en poche, Olympe retourna sur le campus, le nez enfoncé dans son écharpe et son bonnet baissé jusqu'aux yeux. Le regard fixé sur ses chaussures, elle rentra dans sa chambre en évitant la moindre interaction. Elle ferait de même pour les deux jours suivants.
C'était un samedi. À l’aide du traitement, ses maux de tête et de gorge finirent par disparaitre et, malgré un nez encore bouché, la jeune femme se sentait mieux. Physiquement. Le mot de son médecin ne lui donnait que deux jours de repos, aussi lui faudrait-il retourner en cours dès le lundi si elle ne souhaitait pas voir ses résultats baisser. Avoir manqué les deux premières semaines ne faisait déjà pas bonne impression.
L’esprit plus clair qu’il ne l’avait été depuis des jours, Olympe sortit de son lit. Elle ressentait enfin l'énergie de prendre une douche et sortir des pyjamas qui l’avaient recouverte comme une seconde peau pendant tout ce temps. Après un long passage sous l’eau chaude et réconfortante, l'étudiante observa son reflet dans le miroir. Des jours sans manger de vrais repas ou dormir de véritables nuits avaient laissé des traces sur son corps frêle. Son visage n'était pas en reste. D’imposants cernes violets se dessinaient juste sous ses yeux et ses lèvres comme sa peau étaient cassantes, abîmées. Olympe sortit ses crèmes et soins et se les appliqua doucement, un centimètre de peau après l’autre, se délectant de la sensation. Elle passa ensuite la main dans ses cheveux rêches. Voilà des semaines qu’elle ne se les était pas teint en auburn et des racines brunes ressortaient, très visibles.
Un passage chez le coiffeur lui ferait le plus grand bien. Sans réfléchir plus que ça, elle enfila ses vêtements d’hiver les plus confortables et sortit affronter le froid pour trouver le premier salon prêt à l’accueillir dans la demi-heure. Une fois dans le fauteuil et face à la glace, elle s’entendit dire :
— Je ne veux plus de cette couleur. Enlevez-la-moi. Et je ne veux plus de cette longueur non plus.
Quelques coups de ciseaux et une nouvelle teinture plus tard, la jeune femme ressortit avec un carré brun lisse, comme à l'époque du lycée.
Si Olympe ne pouvait pas refaire sa vie après l’accident, autant qu’elle retourne à celle qu’elle était avant que tout ça n'arrive, plus de quatre ans auparavant.
Elle le savait derrière la porte de l'amphithéâtre, à enseigner, comme tous les lundis. Le même cours qu’elle avait validé le semestre précédent. Elle pouvait ressentir la passion dans sa voix rien qu’à l’entendre. Son cœur se serra. Elle aurait dû passer à autre chose, accepter la situation. Comme pour son accident, au fond. Mais la jeune femme en était incapable.
Elle ne pouvait s’imaginer ne plus jamais courir à ses côtés. Aller au terrain d’athlétisme n’avait aucun sens sans lui.
La fin du cours arriva. La porte s’ouvrit sur une horde d’élèves qui quitta l’amphithéâtre sans attendre son reste. Mélody n’était pas avec eux. C’était l’assistante de Rayan, mais elle ne devait pas assister à toutes ses lectures. Aucun visage ne lui disait quoi que ce soit. Parfait.
Olympe se faufila à l’intérieur. Le professeur était occupé à ranger ses affaires sur son bureau en discutant avec un élève. Il portait un pull vert sapin sous une veste brune avec un pantalon assorti. Ses chaussures étaient noires et cirées. Ses cheveux étaient parfaitement coiffés. Il avait bonne mine et les yeux joyeux.
Cette vision lui noua le ventre. Après deux semaines misérables à enterrer sa dignité dans la terre pour le supplier de revenir avec elle, deux semaines à rester enfermée dans sa chambre avec sa misère, lui paraissait parfaitement heureux. Comme si se débarrasser d’elle l’avait apaisé. Cela ne lui avait donc rien fait ? Se moquait-il d’elle depuis le début ?
Son poing se serra. Elle attendit près de la porte qu’il termine sa conversation et la remarque enfin. Lorsque ses yeux se posèrent sur elle, son sourire disparut.
Olympe aurait pu se jeter sur lui, portée par sa seule fureur. La tristesse avait laissé place à une colère sourde, comme elle n’en avait jamais ressenti. Elle se moquait bien de ce que l’université aurait eu à dire sur une relation entre un nouveau professeur et sa jeune élève. Elle aurait pu lui hurler dessus sans aucune hésitation, quitte à ce que tout le monde les entende. Lui faire ressentir un faible pourcentage de la misère qu’elle avait subie pendant ces dernières semaines, à supporter son silence.
Rayan soupira bruyamment.
— Tu n’as rien à faire là, lui lança-t-il alors qu’elle s’approchait. Tu n’es pas inscrite dans ce cours.
— C'est comme ça que tu décides de m’accueillir ? cracha-t-elle.
Il soupira de plus belle, les sourcils froncés. Sans la regarder, il rangeait ses affaires sur le bureau.
— Qu’y a-t-il ? demanda-t-il plus calmement.
— Tu n’as répondu à aucun de mes messages.
Rayan lança un regard par-dessus son épaule, comme pour s’assurer que personne ne les écoutait. On aurait pu sentir l’électricité dans l’air jusqu’en dehors de la pièce. Mais il n’alla pas fermer la porte, certainement pour éviter encore plus de soupçons.
— Désolé, s’excusa-t-il froidement. Je n’en voyais pas l’intérêt.
— Pourquoi ?
— J’ai été assez clair. Je ne suis pas revenu sur le terrain d’athlétisme, je t’ai conseillé un autre directeur de recherches... je préfèrerais qu’on ne se parle plus à partir de maintenant.
— Pourquoi ? questionna-t-elle, une supplique incontrôlable dans la voix.
Des larmes lui montèrent aux yeux. Embarrassée, la jeune femme les détourna, espérant qu’il ne l’ait pas remarqué.
— Tu n’as rien fait de mal, ajouta-t-il.
— “C’est pas toi, c’est moi”, c’est ça ?
Il ferma les yeux, comme épuisé par cette conversation.
— On peut dire ça comme ça.
— Tu te moques de moi ?!
Olympe avait élevé la voix, ne parvenant plus à la retenir davantage. Rayan releva la tête.
— Tu ferais mieux de partir. Je préfèrerais éviter qu’on nous voie ensemble.
— Quelqu’un nous a vu, c’est ça ? Tu fais ça pour nous protéger ?
Un espoir cruel naquit dans sa poitrine. Cette idée qu’il puisse lui briser le cœur pour lui éviter de terribles répercussions sur ses études - et lui, sa carrière - était bien plus plaisante que la réalité, beaucoup plus simple, qu’il ne voulait simplement plus d’elle.
— Tout allait bien et...
— Tout n’allait pas bien, trancha-t-il.
Elle déglutit. Pourquoi ne pouvait-il pas lui donner une raison ? N’importe laquelle. Juste de quoi lui permettre de tourner la page. D’avancer sans lui. De courir toute seule.
— Mais de quoi tu parles ?! s’emporta-t-elle. Tu ne me dis rien et tu t’attends à ce que j’accepte cette situation sans broncher ?
Rayan prit son attaché-caisse, signe qu’il souhaitait mettre fin à cette conversation, et descendit de l’estrade.
— Je te pensais plus mature que ça, dit-il froidement.
Olympe eut un rire sans joie.
— Et bien, peut-être que tu n’aurais pas dû sortir avec quelqu’un de dix ans de moins que toi.
Il ne réagit pas. Où était passé le Rayan qui courait joyeusement à ses côtés sur le terrain de sport ? Qui la soulevait dans les airs pour célébrer les quelques secondes de moins sur le chronomètre ? Qui la soutenait dans ses recherches et ses études ? Qui la regardait avec passion et l’embrassait avec envie ?
Certes, ils ne se connaissaient pas si bien que cela. À bien y réfléchir, ils ne parlaient pas beaucoup non plus. Ni par message ni lorsqu’ils étaient ensemble.
Elle ne savait rien de ce qui se passait dans sa vie.
Il ne savait rien de la sienne non plus.
Peut-être qu’apprendre par le biais d’Ada qu’Olympe avait été handicapée par le passé l’avait décidé ? Après tout, elle ne voyait aucune autre explication. Le retour d’Ada dans sa vie à cet exact moment et le fait qu’ils se connaissaient ne pouvait pas être un hasard.
Rayan se dirigea vers la porte, abandonnant Olympe derrière lui.
— Mais ça ne te fait rien ? demanda la jeune femme, gagné par la panique. Tu me jettes comme si je n’avais jamais rien représenté pour toi !
Son silence et son dos répondirent pour lui.
C’était donc ça. Elle n’était rien pour lui. Elle ne méritait même pas une explication, un au revoir. Un peu de respect. Peut-être n’était-elle qu’une fille de plus sur sa liste. Et s’il avait déjà fait ce numéro à d’autres ? Comment savoir la vérité s’il refusait de la lui donner ? Tous les scénarios possibles et imaginables défilèrent dans sa tête.
— Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? Ada.
Il s’arrêta.
— Elle a forcément dû te dire quelque chose sur moi pour que tu agisses comme tu le fais !
Après un instant, il se retourna enfin. Par chance, personne ne semblait avoir remarqué leur discussion enflammée depuis le grabuge ambiant des couloirs de l’université.
— Ta réaction m’en dit plus sur toi que tout ce qu’elle aurait pu me dire.
Et il sortit de la salle.
Une douleur acide se développa dans sa poitrine, si intenable qu’une larme en roula sur sa joue. Elle l’essuya du revers de la main, sentant les sanglots arriver. Même s’il n’y avait plus personne, elle se retourna pour faire face au mur, comme souhaitant cacher ses pleurs au vide la pièce. Après avoir autant pleuré, elle aurait pu croire que cela ne lui ferait plus rien, mais, à chaque fois, la souffrance ne faisait que s’accentuer.
Pendant des jours, elle avait imaginé ce qu’elle aurait pu lui dire. Le supplier, l’insulter, discuter calmement. Elle avait été incapable de reproduire aucun des scénarios qu’elle avait imaginés. Elle avait laissé sa frustration, sa colère et sa peine s’exprimer. Rayan avait dû partir en la détestant encore plus qu’auparavant. Il ne lui reparlerait plus jamais. Son obsession pour Ada ne l’avait pas aidée.
Ou plutôt, son obsession pour ce passé qu’elle cherchait par tous les moyens à cacher.
Tout était terminé entre eux. Olympe devait l’admettre, l’accepter. On ne pouvait pas forcer quelqu’un à nous parler, à nous aimer. C’était une leçon qu’elle avait forcée sur Nathaniel, c’était son tour, désormais.
Avait-il ressenti la même chose ? Non. Ça avait certainement été bien pire pour lui. Elle songea à leur discussion dans “leur” café où Olympe avait refusé de lui expliquer la véritable raison de leur rupture.
Sa colère, son impatience, ses supplications...
Tout prenait sens maintenant. Voilà pourquoi il avait réagi avec autant de véhémence. Et il lui avait fallu tout ce temps pour enfin comprendre.
Est-ce qu’il irait mieux si elle lui disait la vérité ? Cette même vérité qu’elle cherchait désespérément auprès de Rayan sans l’obtenir. Est-ce qu’ils réussiraient à tourner la page s’ils se disaient simplement les choses telles qu’elles étaient ? En serait-elle seulement capable ?
Probablement pas. C’était encore trop tôt.
Des restes de pleurs séchés sur ses joues, Olympe inspira profondément. Elle passa la main dans ses cheveux, un instant surprise par leur longueur, ayant oublié qu’elle les avait coupés. Rayan ne lui avait fait aucune remarque. La jeune femme sourit.
Il s’en moquait, évidemment. Ce Rayan là se fichait bien de sa coupe de cheveux.
Il n’était plus celui qu’elle avait connu.
Elle inspira longuement, le temps de reprendre son calme, et s’essuya le visage. Elle vérifia avec un miroir de poche son maquillage et se décida enfin à quitter la salle. Dans les couloirs, les étudiants discutaient joyeusement, indifférents à ses tourments. Quelques jours auparavant, elle aurait été exactement comme eux. Indifférente aux cœurs brisés qu’elle laissait sur son propre chemin.
Désormais, c’était à elle de subir.
Olympe sortit du bâtiment d’art, décidée à sécher ses cours de l’après-midi pour retourner au fond de son lit. Le regard vissé au sol, elle ne réalisa pas qui se tenait à seulement quelques mètres d’elle.
— Olympe ! la héla-t-on gaiement.
L’étudiante releva la tête. Au milieu de la cour, une femme agitait son bras.
— Bah alors, on ignore mes messages comme d’habitude ?!
Une peau laiteuse, un visage barbouillé de taches de rousseur, des cheveux blonds-roux et des yeux verts rieurs. Assise dans le fauteuil dans lequel elle l’avait rencontrée pour la première fois, la jeune femme s’approcha, un sourire immense sur les lèvres. Ada.
Elle était là. Olympe savait pour sa mutation, mais la voir en face d’elle lui fit un choc. C’était comme revoir ces quatre dernières années qu’elle se forçait désespérément à oublier resurgir juste sous ses yeux.
Elle aurait dû couper les ponts. La rayer de sa vie. Lui mentir sur son lieu d’études. L’empêcher de la regarder ainsi, croyant lui faire plaisir avec ces retrouvailles.
Même avec tout ce qu’il s’était passé avec Rayan, Olympe n’avait rien appris.
— Comment tu vas ? Ça fait tellement longtemps ! s’exclama-t-elle une fois arrivée à son niveau. Ta nouvelle coupe te va trop bien.
Ada n’avait pas changé d’un pouce. C’était comme faire un bond dans le passé, plus d'un an en arrière, lorsqu’elles s’étaient dit au revoir devant la gare, se promettant de garder contact. Quelle idiote elle avait été. Ada aurait dû être son passé et Rayan, son avenir. Le fait qu’eux deux se connaissent ne pouvait être qu’un coup tordu du destin.
Rayan. Si elle l’avait perdu, c’était aussi à cause d’elle. Ça ne pouvait être que ça. Après tout, elle n’avait reçu aucune autre explication.
Et à cet instant, tout le monde les regardait, grâce à la voix portante de son “amie”. Tout le monde les regardait, et Rayan était peut-être parmi eux. Ou Hyun. Ou n’importe qui d’autre qu’elle connaissait.
Tout le monde les regardait. Tout le monde les regardait. Tout le monde...
— Alors qu’est-ce q-
— Vous faites erreur.
L’incompréhension dans le regard d’Ada lui transperça le cœur. Même Olympe ne se savait pas si cruelle.
Mais il en était ainsi.
— Hein ?
— Vous vous trompez de personne.
Et Olympe la contourna pour partir. Elle pressa le pas pour ne plus l’entendre l’appeler par son prénom, un prénom suffisamment unique pour qu’il ne s’agisse évidemment pas d’une erreur.
C’était probablement la pire chose qu’elle n’ait jamais faite à quelqu’un. Pire que jeter Nathaniel du jour au lendemain, jouer avec les sentiments de Hyun, ou prendre le risque de ruiner la carrière de Rayan.
Elle avait franchi la ligne.
Elle le savait. Elle le savait, mais ce fut sans un regard en arrière qu’elle retourna à son dortoir.
Plusieurs heures plus tard, Olympe pénétra dans un café sens dessus dessous. Des clients partaient à force d’attendre leur commande qui n’arrivait pas, d’autres faisaient la queue à la caisse dans l’espoir de payer. Toutes les tables étaient occupées. Des tasses renversées étaient encore au sol. Une odeur de brûlé se dégageait des cuisines.
Estomaquée, la jeune femme en resta un instant sur le palier à observer le bazar, ne voyant pas Clémence foncer vers elle.
— Enfin ! Je t’ai appelée il y a une heure déjà ! C’est pas possible, ça ! Qu’est-ce que tu foutais ? beugla-t-elle.
Habituée à la mauvaise humeur de sa patronne, Olympe haussa seulement les épaules.
— Désolée, mais normalement le lundi, c’est Hyun qui travaille ici.
— Oui bah Hyun, il est pas là ! Tu vois bien !
— Pourquoi ?
Visiblement furieuse, Clémence répondit :
— Il a démissionné. Alors dépêche-toi d’enfiler ton tablier et rétablis-moi ce bordel.
♦♦♦
Les heures qui suivirent au café furent les pires qu’Olympe eut jamais vécues. Clémence était déjà sévère et injuste, à la limite du harcèlement, mais son attitude atteignit des sommets ce jour-là. Les insultes fusaient, indifférentes à la présence des clients qui observaient Olympe d’un air désolé. Chaque verre renversé, chaque change qui manquait dans la caisse, chaque croissant brûlé - par Clémence - devenaient de sa faute. Et les questions de l’étudiante quant au départ brusque de son collègue restaient sans réponse.
— Qu’est-ce que ça peut te faire ?! Puisque je te dis qu’il a démissionné !
Mais sa patronne ne savait pas qu’ils s’étaient promis de continuer à travailler ensemble. Même après tout ce qu’il s’était passé entre eux, ils avaient gardé cette promesse et avaient poursuivi leur travail au café. Ce n’était pas facile. Les silences et non-dits étaient forts. L’envie d’en finir avec cette mauvaise ambiance - qui n’était pas aidée par leur démon de patronne - était présente. Mais Olympe n’aurait jamais démissionné sans lui en parler. Elle était restée pour lui au lieu de chercher un meilleur travail ailleurs. Et lui, il avait eu le culot de partir sans l’en informer d’abord. Non pas qu’il avait besoin de son accord, mais ils s'étaient fait une promesse ! Cela ne signifiait donc rien ?
Sous le courroux insupportable de Clémence, Olympe sentit la colère gronder dans sa poitrine. Durant cette journée déjà difficile, devoir supporter sa patronne sans l’aide de son collègue était infernal.
— Mais putain ! C’est pas vrai ! Tu peux pas nettoyer le bar une fois de temps en temps ? C’est dégueulasse par ici !
Olympe avait couru sans s’arrêter une seule seconde pour rectifier le café, servir les clients à temps, les faire payer et nettoyer derrière eux. Grâce à elle, le café avait repris une apparence normale. Tout ça pendant que Clémence brûlait des viennoiseries dans la cuisine. Et elle l’engueulait pour une tasse de café sur le comptoir, près de leur machine à café que les clients ne voyaient même pas.
C’était trop.
Sans réfléchir, Olympe enleva sa casquette et son tablier et les jeta au sol.
— Vous avez qu’à le nettoyer toute seule votre putain de comptoir ! hurla-t-elle. Moi aussi je démissionne !
Elle regretterait peut-être cette décision quand l’argent commencerait à manquer et qu'elle devrait encore demander de l'aide à ses parents mais, sur l’instant, l’idée de continuer à travailler dans ce cauchemar était inenvisageable.
— De quoi ? Tu te fiches de moi ? Remets ton tablier ! Pour qui tu te prends ?
— Je démissionne, j’ai dit ! Allez vous faire foutre !
Et, comme si un poids insoutenable quittait enfin ses épaules, Olympe récupéra ses affaires et quitta le café pour de bon.
Son poing s’abattit sur la porte de la chambre de Hyun à plusieurs reprises, jusqu'à en faire résonner les murs.
— Hyun ! Je sais que t’es là ! Sors !
En vérité, elle n’en avait aucune idée, mais elle comptait bien camper devant cette porte jusqu’à ce que son ex-collègue lui donne une explication. Après un court instant, un son de porte déverrouillé et un visage vaguement familier lui apparut.
— Une seconde, dit joyeusement un garçon au nez retroussé.
Il se retourna vers la pièce sans perdre son sourire.
— Hyun, tu veux bien t’en occuper ? S’il te plaît.
Un soupir lui parvint. Il était là mais faisait répondre son colocataire à sa place ! N’y tenant plus, la jeune femme força son entrée dans la chambre des deux jeunes hommes. Hyun était assis à son bureau. Il fut si surpris de la voir entrer qu’il en fit tomber le livre qu’il avait dans les mains.
— Alors ?!
— Enlève tes chaussures ! lui ordonna-t-il, éberlué par son audace de pénétrer dans sa chambre encore chaussée.
— D’où tu démissionnes sans rien dire alors qu’on s’était jurés de pas le faire ?
Son colocataire, toujours souriant malgré le malaise apparent, prit son sac.
— M’en voulez pas mais je vais aller faire un tour et vous laisser à votre querelle d’amoureux.
— On est pas ensemble ! s’exclamèrent-ils en chœur.
Le jeune homme au visage familier, mais dont le nom lui échappait, quitta la chambre. Une fois la porte claquée derrière lui, Olympe revint à la charge.
— Alors ? J’attends encore ton explication !
— Je te dirai rien tant que t’auras pas enlevé tes chaussures.
L’étudiante pesta, mais finit par obtempérer. Hyun ramassa son livre en soupirant et se leva pour se mettre à sa hauteur.
— C’est ce que Clémence t’a dit ?
— Bah oui.
— J’aurais dû me douter qu’elle te dirait ça.
— Comment ça ? s’étonna Olympe, la colère la quittant brusquement. C’est quoi la vérité ?
— Elle m’a renvoyé.
La mâchoire lui en tomba au sol. Ne sachant comment réagir, Olympe bredouilla des bouts de phrase incompréhensibles. Ses yeux parcoururent la pièce dans tous les sens comme si la raison d’un tel acte se trouvait quelque part.
Clémence, renvoyer Hyun ? Elle ne ferait jamais une telle chose.
— C’est impossible, réussit-elle finalement par dire.
Hyun fronça les sourcils.
— C’est pourtant ce qu’il s’est passé, tu vois ! Elle m’a viré !
— Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Le jeune homme posa le poing sur son front, comme exaspéré d’avoir à se justifier.
— Qu’est-ce que ça peut te faire ?
Olympe déglutit, regrettant amèrement de s’être mise en colère avant d’entendre sa version des faits.
— On... on était une équipe... Je ne peux pas travailler au café sans toi.
Les joues de Hyun rosirent un instant, mais il les recouvrit bien vite avec sa main.
— Ne me dis pas ce genre de choses.
— Hyun...
Vu sa réaction, il était clair qu’il avait encore des sentiments pour elle. Olympe baissa la tête.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda-t-elle de nouveau d’une voix plus douce.
Même si ses actions ne l’avaient pas reflété, Olympe tenait beaucoup à lui. Elle n’était même pas parvenue à travailler une seule journée au café sans lui. C’était son collègue, son ami... même si elle ne l’avait pas traité comme tel.
Hyun s’assit sur son lit. Olympe resta debout, n’osant pas s’asseoir à ses côtés.
— Clémence m’a trouvé ivre au café au petit matin.
La jeune femme ne sut que dire face à cette révélation.
— Tu buvais encore ?
Il eut un rire cynique.
— Je bois quand ça va pas, tu vois. Et cette fois-ci je me suis endormi ! Puis je n’étais pas tout seul. Ça, Clémence, ça lui a pas plu.
Ses yeux s’arrondirent.
— Avec qui t’étais ?
— Peu importe.
— Mais... vous faisiez... quoi ? questionna-t-elle timidement.
Hyun fronça les sourcils.
— Mais rien ! Juste boire. Sérieusement, pour qui tu me prends ? s’emporta-t-il.
Puis, d’une voix basse, il ajouta :
— Plutôt crever que de faire ça dans un endroit pareil.
Olympe se tritura les mains.
— Mais quand bien même... je pensais pas Clémence capable de te renvoyer un jour.
— Bah tu vois, elle l’a fait. Tu veux bien partir maintenant ? soupira-t-il.
Sa simple requête lui transperça le cœur. Et dire que le mois précédent, ils passaient de joyeux moments ensemble dans cette chambre à fêter Noël. Du moins, joyeux pour elle. Ils étaient encore amis à l’époque, avant qu’elle ne gâche tout avec sa proposition stupide. Dorénavant, ils ne pouvaient même plus rester dans la même pièce sans qu’il lui demande de s’en aller. Sa présence n’avait l’air de n'être pour lui plus qu'une nuisance.
Et maintenant qu’ils ne travaillaient plus ensemble, ils ne se reverraient probablement pas. Ils n’avaient aucune raison de garder contact. Leur amitié ne tenait plus debout et leur dernier lien venait d’être brisé.
L’idée de le perdre lui tordait le ventre. Si elle passait cette porte, tout était terminé.
— Tu as changé de coupe, fit-il remarquer.
Olympe eut un sourire timide et enroula une de ses courtes mèches brunes autour de son doigt.
— Oui, je... j’avais envie de changer d’air.
— Ça te va bien.
Il restait gentil avec elle, malgré tout. Après tout ce qu’elle avait fait, tous les mensonges qu’elle lui avait dits - ou plutôt les vérités qu’elle avait omises -, il la traitait encore avec gentillesse.
Elle avait ruiné son amitié avec lui pour un homme qui ne voulait même pas d’elle. Après avoir rejeté Ada de la pire des façons imaginables, et abandonné ses anciens amis comme Rosalya ou Priya, elle perdait la dernière personne qui comptait pour elle. La dernière qui l’aimait malgré ses défauts.
Sans qu’elle ne s’en aperçoive, des larmes commencèrent à rouler sur ses joues les unes après les autres.
— Je suis désolée.
Pris au dépourvu, Hyun se leva.
Les pleurs dégringolèrent de ses joues pour tomber sur la moquette.
— P-pourquoi tu pleures ?
— Je suis vraiment désolée. Pour tout ce que je t’ai fait, sanglota-t-elle.
La vision floue, la jeune femme ne vit pas l’inquiétude sur le visage de son ancien collègue. Entre deux hoquets, elle poursuivit :
— J’ai jamais voulu te faire du mal. Mais je... je pensais qu’à moi.
Elle s’essuya le visage du dos de la main, reniflant bruyamment, avant de relever la tête vers lui.
— J’ai pas envie de te perdre, Hyun, supplia-t-elle.
Un instant surpris, l’étudiant sourit. Il la prit doucement dans ses bras, posant une main sur son dos et une autre sur sa tête. Olympe enroula ses bras autour de lui, embrassant l’éphémère soulagement de retrouver son ami auprès d’elle. Son odeur, sa douceur, l’étrange froideur pourtant si réconfortante qui émanait de sa peau.
“Je suis désolée, je suis désolée” répétait-elle incessamment contre son torse, comme une incantation.
— J’aurais dû te prévenir que j’avais été viré. Désolé.
Hyun n’avait pas besoin de s’excuser. Malgré leur dispute, Olympe ne lui en voulait pas. Elle ne l’avait jamais fait.
La jeune femme pleura ainsi en silence contre lui pendant de longues minutes. Il lui caressait doucement la tête, la rassurant du mieux qu’il pouvait.
Une fois calmée, elle s’éloigna, restant tout de même contre lui.
— Est-ce qu’on ne pourrait pas redevenir amis ? demanda-t-elle timidement.
Hyun sourit tristement.
— Désolé.
Une partie d’elle mourut à cet instant.
— Je ne veux pas être ton ami.
Elle aurait dû s’y attendre. Elle aurait dû le savoir avant même de poser la question. Hyun ne souhaitait pas être son “ami”. Depuis le début, il voulait autre chose.
Ils avaient fait semblant de ne rien voir pendant des mois.
Rester à ses côtés ne ferait que lui empoisonner l’existence. Continuer à lui faire espérer quelque chose qui n’arriverait pas. L’empêcher de tourner la page et trouver une fille qui serait vraiment faite pour lui, qui ne jouerait pas avec ses sentiments comme elle l’avait fait.
Olympe ne put néanmoins réprimer d’autres sanglots qui s’échappèrent de sa gorge. Hyun passa la main sur ses joues, essuyant ses larmes.
— J’espère que tu comprends.
Elle hocha la tête. Hyun sourit et l’enfouit de nouveau dans ses bras. Il posa son menton sur le haut de son crâne. Ils restèrent ainsi un long moment, sans parler, sans bouger.
C’était la dernière fois qu’elle pouvait l'avoir contre elle. Le dernier échange qu’ils avaient avant qu’ils ne se disent adieu pour de bon. Olympe voulait en profiter. Imprimer chaque détail contre ses paupières, même derrière un barrage de larmes.
Sans savoir combien de temps ils avaient passé, enlacés ainsi, elle se retira. Ses pleurs avaient séché. Son cœur lui faisait mal mais, étrangement, elle était soulagée. Légère.
Hyun la regardait avec tendresse. Il enfouit ses mains dans ses poches arrière, comme amusé.
— J’accepte tes excuses, au fait.
Olympe sourit en retour.
Puis, il ajouta :
— Je t’aime.
Il rit.
— Waouh, ça fait du bien de plus avoir ça sur le cœur, dit-il.
Hyun inspira longuement.
— Pour une fois dans ma vie, j’avais envie de le dire proprement.
La surprise la cloua au sol. Même en le sachant, l’entendre lui dire de vive voix lui coupa le souffle.
Pourquoi quelqu’un comme lui aimait-il une personne comme Olympe ? Pleine de défauts, de secrets. Certains qu’elle n’avait révélé qu’à lui, sans jamais aller jusqu’à la vérité.
— Tu devrais dire ces mots à quelqu’un qui le mérite plus, répondit-elle sans réfléchir.
— L’amour ne se mérite pas. Ça se donne, et ça se reçoit, c’est tout.
Il rit de nouveau.
— Je deviens philosophe, plaisanta-t-il.
— Un peu, sourit-elle à son tour. Mais tu as peut-être raison.
Elle baissa la tête un instant avant de le regarder dans les yeux avec intensité.
— La prochaine, je suis certain qu’elle saura le recevoir comme il se doit.
— J’espère.
Et alors, peut-être qu’un jour, ils pourront redevenir amis. Lorsque le temps aura passé, lorsque les sentiments auront coulé comme l’eau dans la rivière. Lorsqu’ils réussiront à être de nouveau ensemble, sans non-dits, sans malaise.
Ce moment viendrait. Elle devait y croire. Après tout, ils étaient une équipe.
— Et pour le travail ? Comment tu vas faire ? questionna-t-elle, inquiète.
Il soupira.
— Ah ça... je cherche ailleurs. Un magasin de vinyles en dehors de la ville m’a appelé tout à l’heure pour un entretien alors on va croiser les doigts.
— Je vais croiser les doigts pour toi.
— T’as plutôt intérêt ! rit-il.
Olympe se gratta le haut du crâne.
— Moi aussi je vais devoir chercher ailleurs.
— Pourquoi ?
— J’ai... plus ou moins démissionné tout à l’heure.
Son ancien collègue ne put retenir son rire.
— Sans nous, le Cosy Bear doit être en train de brûler à l’heure qu’il est !
— Ça, c’est sûr.
— Je suis content de plus jamais avoir à faire face à Clémence.
— Pourquoi ? Elle t’aimait bien...
— Ouais, elle m’aimait trop, c’était bien ça le problème ! La façon dont elle me regardait, me parlait... c'était dégueux. Je suis content de plus jamais avoir a faire a elle.
L’étudiante n’avait pas considéré que l’attitude trop gentille de Clémence envers son collègue pouvait à ce point le déranger. Il n’en parlait jamais. Elle avait toujours pensé que le harcèlement envers elle était bien pire mais, quelque part, Clémence était horrible avec lui aussi, à la limite de l’indécence.
Encore une fois, elle n’avait pensé qu’à elle.
— J’espère que ça se passera mieux à ton nouveau boulot.
— Oui, pour toi aussi.
Un léger silence s’installa. Après un instant, elle s’exclama :
— Je vais te laisser.
Il était temps de se dire au revoir.
— On se reverra ?
Il sourit.
— Un jour. Si on se croise sur le campus, au moins.
Olympe hocha la tête. C’était le maximum qu’ils pouvaient se promettre.
Hyun ouvrit les bras pour l’enlacer une dernière fois. La jeune femme répondit avec plaisir, enfouissant la tête dans sa poitrine, les bras enroulés autour de lui.
— À bientôt, murmura-t-elle.
Il ne répondit pas.
Ils se séparèrent et, d’un léger signe de la main, se dirent au revoir. Olympe renfila ses chaussures et quitta la pièce sans un regard en arrière. Ses yeux s’embuèrent de larmes une fois sur le pied de sa porte, mais elle les essuya d’un revers de la main.
Cette page était close. Hyun ne faisait plus partie de sa vie. Rayan non plus, ni Nathaniel, ni aucun de ses anciens amis - ceux du lycée ou ceux de son ancienne ville. Personne ne connaissait son secret ; celui qu’elle avait gardé avec tant d’ardeur, au point de tout perdre.
Elle avait gagné.
Elle était seule.
♦♦♦
C’était le soir du gala, des semaines auparavant.
Mélody, le corps plongé dans la baignoire jusqu’aux joues, observait ses larmes disparaître lentement dans l’eau du bain. Après avoir pleuré de tout son soûl sur le chemin du retour, puis dans les bras de Tachi, elle aurait pu croire qu’il ne lui restait plus rien en réserve. Pourtant, c’était sans discontinuer que des larmes coulaient de ses yeux fatigués. Quatre ans après avoir vu son cœur piétiné par Nathaniel et son “amie” devant tous leurs camarades, c’était la même “amie” qui lui prenait l’homme dont elle pensait alors être éperdument éprise.
L’ironie lui faisait plus mal que la douleur d’être rejetée encore une fois. Faire une croix sur Ra... Monsieur Zaidi était curieusement facile. Mais la trahison d’Olympe et l'humiliation du schéma qui se répétait quatre ans après étaient plus durs à avaler.
Elle leva les yeux au ciel, laissant sa poitrine remonter à la surface. Elle clôt les paupières, inspirant et expirant doucement. L’eau était si chaude que la salle de bain était pleine à ras bord de vapeur, lui donnant le sentiment de se reposer dans une tasse de thé. Ses longs cheveux couleur earl grey flottaient autour d’elle. Elle aurait pu rester ainsi pendant des heures. D’ailleurs, c’était peut-être le cas. Elle n’avait aucune idée du temps qu’elle avait passé dans cette pièce étroite, à pleurer toute l’eau de son corps. Elle avait refait couler de l’eau chaude à trois reprises déjà. D’ordinaire, lorsque Mélody utilisait sa salle de bain trop longtemps, Tachi frappait à la porte pour se plaindre et la faire sortir, souvent car il avait besoin d’utiliser les toilettes. Mais il ne faisait rien cette fois. Du salon, elle entendait la télévision, comme son ami la mettait souvent en fond sonore lorsqu’il travaillait.
Elle se sentait bien. Ou mieux, plutôt, après cette dure soirée. Parfois, elle avait envie de vivre avec Tachi, juste pour pouvoir entrer dans sa baignoire tous les jours. Certes, l’idée de cohabiter avec son meilleur ami n’était pas une idée déplaisante non plus, mais elle savait qu’il refuserait. Il lui dirait certainement quelque chose comme “Tu me coûterais une fortune en eau et en chaufferie” pour justifier son refus. Elle sourit en l’imaginant dire ces exacts mots.
Bien que n’ayant aucune envie de sortir de l’eau chaude, Mélody se força à quitter la baignoire. Même s’il ne disait rien, probablement par considération après cette rude soirée, la jeune femme savait qu’il n’était pas bien d’investir ainsi la salle de bain de quelqu’un d’autre. Elle s’essuya les cheveux et le corps avec une de ses serviettes et emprunta le pyjama qu’il avait mis à sa disposition. Comme elle dormait parfois ici, il lui en avait acheté un. Il s’agissait d’un ensemble bleu à points blancs et d’un slip noir. Elle l’imaginait trop embarrassé pour acheter des sous-vêtements de femme et acheter un slip taille S à la place. Le tissu était doux et chaud. Elle laissa ses cheveux mouillés reposer contre son dos. Elle n’aimait pas les sécher, malgré sa mère qui la disputait toujours à cause de cette “mauvaise habitude”.
Lorsqu’elle sortit enfin de la salle de bain, Tachi sauta presque du canapé.
— Ah, enfin ! s’exclama-t-il avant de s’enfermer dans la salle de bain.
Mélody ne put réprimer un sourire malgré la gêne de l’avoir empêché d’accéder à ses propres toilettes pendant aussi longtemps.
— Désolée ! lança-t-elle à travers la porte.
Elle se dirigea ensuite vers la cuisine et activa la bouilloire pour se faire un café chaud. Tachi sortit bien vite et retourna s’asseoir devant la télévision.
— Tu t’es lavé les mains au moins ? le charria-t-elle.
— Tu me prends pour qui ? Tss.
Mélody rit et prépara sa tasse. Une fois l’eau prête, elle la versa à l’intérieur, inhalant l’odeur de café avec plaisir. Lorsqu’elle était chez ses parents, sa mère lui interdisait toujours d’en boire, soi-disant car c’était mauvais pour la peau.
Son mug à la main, Mélody rejoignit le canapé et s’assit sur l'accoudoir. Tachi avait déjà installé son lit avec une couverture et un coussin. Le professeur était assis par terre, penché sur sa table basse, occupé à corriger ses copies. À la télé défilait un documentaire sur la guerre d’Algérie qu’il avait l’air de n’écouter qu’à moitié.
Il se retourna et, un sourcil relevé, avança sa main vers elle. Du bout du doigt, il toucha sa joue, feignant ensuite de s’être brûlé.
— Ah ah, fit-elle semblant de rire.
— Sans déconner, tu vas encore me coûter une fortune en chaufferie. Tu mets la température à combien ?
— J’en sais rien... quarante ?
— T’es folle. Autant te baigner dans du magma.
Il retourna à ses copies. Mélody se pencha pour regarder.
— Les résultats sont bons ? demanda-t-elle, curieuse.
— Pas terrible. C’est des terminales scientifiques, je devrais pas trop leur en demander, mais quand même...
— C’était quoi le sujet ?
— Hum, un texte de Bergson à analyser ou “Le bonheur est-il un rêve inaccessible ?”.
— Ça a l’air difficile... souffla-t-elle.
La philosophie n’avait jamais été son fort au lycée, malgré son parcours littéraire. Tachi se tourna vers elle.
— Je sais pas. Personnellement, ça m’inspire, dit-il dans un sourire.
— Qu’est-ce que tu répondrais à cette question ?
— T’as trois heures devant toi ? plaisanta-t-il.
Mélody hocha négativement la tête, répondant à son sourire.
— C’est ce que je pensais !
— Non mais sérieusement, qu’est-ce que tu en penses ?
— Hum... je suppose que la version de moi d’il y a quinze ans aurait dit oui.
— Et maintenant ?
— Maintenant...
Il croisa les bras, réfléchissant un instant.
— Je dirais que le bonheur n’est pas une constante. Que ce n’est pas quelque chose qui s’attrape et ne se lâche plus. En ce sens, je suppose qu’il est inaccessible. Mais ce n’est pas un rêve non plus. Le bonheur est une réalité, juste éphémère. Qui vient et part. Et c’est seulement en acceptant cette vérité qu’on peut y accéder.
Mélody observa le fond de sa tasse.
— Alors tu te mettrais vingt sur vingt en répondant ça ?
— Tu déconnes ? La philosophie te demande de citer tes sources ! Se citer soi-même ne compte pas. Citer Twitter ou Wikipédia non plus. Mais ça, mes élèves sont pas foutus de le comprendre !
La jeune femme rit. Sans demander l’autorisation, Tachi lui prit sa tasse des mains et avala une gorgée de son café. Après avoir accaparé sa salle de bain pendant aussi longtemps, lui laisser boire un peu de sa boisson chaude était le minimum qu’elle pouvait faire.
C’était aussi sa tasse, après tout.
Il la lui rendit et retourna vers la télé. Il s’étira, son stylo rouge encore dans la main.
— Je suis crevé !
— Tu ne vas pas dormir ?
Mélody n’avait pas son portable sous la main pour vérifier l’heure, mais supposa qu’il devait être au moins une ou deux heures du matin.
— Je devrais, soupira-t-il.
— Pour toi aussi, la soirée a dû être longue, dit-elle, honteuse.
Les mains sur le sol, il lui lança un sourire en coin.
— T’en fais pas.
Il finit par se lever, laissant ses copies et son stylo en plan sur la table basse.
— Je vais écouter ton conseil et aller me coucher, énonça-t-il.
— Ah bon, déjà ?
Même si c’était elle qui avait initié l’idée, l’étudiante était un peu déçue. Elle ne se sentait pas du tout fatiguée et aurait bien aimé continuer à discuter.
— Il est deux heures et demi, déjà.
— Ah...
Il éteignit la télé et passa derrière le canapé.
— Je te laisse éteindre la lumière.
— Attends !
Sans réfléchir, Mélody saisit le bas de son t-shirt, renversant un peu de café sur ses doigts.
— Tu veux pas...
Elle se mordit la lèvre.
— On pourrait pas dormir ensemble ?
— Hein ?!
Il s’écarta.
— Non.
— Pourquoi pas ? Ce serait pas la première fois !
— La dernière fois, c’était parce que ni le canapé ni l’autre lit n’étaient dispos et t’avais nulle part ailleurs où dormir !
— Oui mais...
Elle posa sa tasse sur la table basse et se releva.
— S’il te plaît.
— Pourquoi tu veux qu’on dorme ensemble, d’abord ? T’as pas neuf ans, tu peux dormir toute seule, c’est bon.
— J’ai juste... j’ai pas envie...
J’ai envie de rester avec toi.
— J’ai dit non, trancha-t-il en entrant dans sa chambre.
Mélody le suivit, décidée à ne pas en rester là. Elle laissa échapper une expression de surprise en découvrant son lit.
— Ton lit est gigantesque !
Tachi bomba le torse, les poings sur les hanches.
— N’est-ce pas ? Je viens juste de l’acheter.
Sans demander l’autorisation, Mélody sauta dans les draps, les bras et jambes écartés.
— Tu peux dormir à quatre au moins là-dedans !
— Quand je dormais encore dans la rue, je me suis promis que quand j’aurai un vrai salaire, je m’achèterai un lit king size, expliqua-t-il.
L’écoutant à peine, la jeune femme roula sur les couvertures en riant. Le lit était si grand qu’il n’y avait presque aucun espace pour marcher dans la chambre. Il était collé contre le mur d’un côté et l’autre laissait juste de quoi une personne passer.
Tachi croisa les bras, un sourire en coin.
— Ça va, j’ai compris, dit-il.
— De quoi ? demanda-t-elle en s’asseyant sur le bord.
— Si tu voulais dormir dans mon lit t’avais qu’à le dire plus tôt. C’est moi qui vais prendre le canapé.
Mélody se releva.
— Non, attends !
Ce n’était pas ça qu’elle voulait. Ce n’était pas son lit qui l’intéressait. Mais l’avouer l’embarrassait.
— Je vais pas... je vais pas te forcer à dormir sur le canapé. C’est mauvais pour ton dos.
Tachi sembla hésiter, une main sur sa nuque, certainement d’accord avec elle. Elle désigna son lit.
— Regarde, il est énorme ! Il y a largement de la place pour deux ! Je serai dans un coin et toi dans l’autre. Je promets de pas te déranger.
Le professeur n’avait pas l’air décidé, mais Mélody le supplia du regard. Ses joues avaient légèrement rosi.
— Tu me demandes pas ça dans l’espoir de discuter toute la nuit ?
La jeune femme, qui avait totalement prévu de discuter avec lui toute la nuit jusqu’à ce qu’elle s’endorme, détourna les yeux.
— Non, je te promets.
Tachi soupira.
— Très bien...
Il n’avait pas l’air ravi, mais Mélody sauta dans les airs de joie. Sans attendre, elle se jeta de nouveau dans les draps.
— Par contre je te préviens, ajouta-t-il en la pointant furieusement du doigt. Pas un mot ! Pigé ? Je veux rien entendre ! Et de toute façon, j’ai acheté la meilleure literie du magasin pour aller avec, donc je vais m’endormir à la seconde où je poserai la tête sur l’oreiller.
Elle mima de fermer sa bouche avec une fermeture éclair, ce qui sembla le satisfaire. Sans attendre, il éteignit les lumières et s’allongea dans le lit du côté du mur. Il lui tourna le dos. Après quelques instants, ses yeux s’habituèrent à l’obscurité et elle parvint à discerner le haut de sa tête sur le coussin. Mélody était contente d’avoir obtenu ce qu’elle voulait.
Elle se sentait bien à ses côtés, surtout après une soirée comme celle qu’elle venait de passer.
Ce n’était pas qu’elle ne souhaitait pas être seule ; elle voulait rester avec lui. Sans savoir pourquoi, sans y réfléchir. C’était à ça que devait ressembler l’amitié, pensa-t-elle sur le moment. Même si Tachi n’était son ami que pour faire plaisir à son père. Même si cette réalité lui tordait le ventre à chaque fois qu’elle se rappelait à elle.
Il était son ami. Son meilleur ami, qui la laissait dormir dans son énorme lit juste par caprice.
— Tachi ? murmura-t-elle, rompant sa promesse.
Il ne répondit pas. Elle répéta son nom, mais il l’ignora de nouveau. Allait-il s’énerver ? Mélody se redressa dans le lit et se rapprocha de lui.
— Ta...
Il dormait à poings fermés.
La bouche entrouverte et un filet de bave se déversant sur la taie d’oreiller ne laissaient pas de place au doute. Il ne mentait pas lorsqu’il disait qu’il s’endormirait dans la seconde. Mélody eut un léger rire, faisant attention à ne pas le réveiller, et retourna à son coin du lit. Elle était un peu déçue quand même. Elle espérait continuer à parler.
La jeune femme se retourna plusieurs fois, sans trouver le sommeil. La caféine ne devait pas aider. Après un instant, elle se mit de nouveau vers lui. Il lui tournait le dos, l’inspiration lourde. Il devait dormir profondément.
Sans réfléchir, elle dégagea légèrement les couvertures et avança sa main vers lui. Elle s’arrêta à mi-chemin, réalisant ce qu’elle était en train de faire. À quoi pensait-elle ? Elle sentit son visage s’enflammer. Elle resta ainsi, les mains devant son visage, l’observant.
Soudainement, Tachi se retourna. Encore endormi, sa main saisit la sienne et la serra fortement. Surprise, Mélody crut qu’il s’était réveillé, néanmoins, de toute évidence, il dormait encore. Elle hésita à se dégager, mais à la place, lui rendit son geste.
Un sourire naquit sur ses lèvres.
Son visage était si paisible. De qui croyait-il serrer la main, dans ses rêves ? Ça ne devait pas être elle.
Peu importait. Sa peau était chaude. Et elle était contre la sienne, à cet instant. Elle n’était pas toute seule.
Plus important, elle était avec lui. Son ami, son meilleur ami.
Elle était probablement déjà amoureuse de Tachi à l’époque.
Mais il lui faudrait beaucoup plus de temps pour s’en apercevoir.
— À quoi tu penses ?
La question de son père la tira hors de ses pensées. Des livres dans les mains, elle observait le vide depuis une longue minute, sans bouger.
— Euh... rien, rien. Pardon.
Elle secoua la tête et entreposa les ouvrages sur l’étalage.
Mélody ne savait pas pourquoi cette soirée lui était subitement revenue en mémoire, tandis qu’elle travaillait à la librairie avec son père. Elle avait failli l’oublier mais, depuis son baiser avec Tachi, des années et des années passées ensemble lui revenaient en mémoire. Depuis le soir du bal de promo jusqu’au jour où Tachi lui avait avoué ses sentiments, en passant par des soirées comme celle du gala.
Elle se croyait alors amoureuse de Monsieur Zaidi. Désormais, le voir ne lui faisait ni chaud ni froid. Alors que son cœur bondissait dans sa poitrine dès qu’elle ne faisait que songer à Tachi. Visualiser son visage au teint bronzé, sa cicatrice blanche sous l’oreille, ses yeux sombres mais joyeux, ses cheveux aux couleurs changeantes, son sourire. Elle avait passé des années à ses côtés sans jamais le voir de cette façon. Tout avait changé du jour au lendemain.
Elle ne pouvait pas croire qu’ils se soient vraiment embrassés. Son premier baiser. Jamais elle n’aurait cru l’échanger avec quelqu’un comme lui. Au lycée, son type idéal était plutôt une personne comme Nathaniel.
Tachi n’avait rien de ce qu’elle avait toujours cru rechercher chez quelqu’un. Pourtant, elle n’avait pas hésité une seconde.
C’était lui et personne d’autre.
Ce samedi-là, elle avait promis d’aller le voir rapper au bar. Elle lui donnerait sa réponse. Cette simple idée la faisait rougir jusqu’aux oreilles.
— Ah, on a un client, dit son père.
Mélody l’entendit à peine. De dos, elle ne vit pas l’homme qui était entré dans la librairie se diriger directement vers elle.
— Mademoiselle Martin.
Son cœur tomba jusqu’au fond de son ventre.
Elle connaissait cette voix.
Les yeux écarquillés, elle se retourna.
Un costumé rayé violet en noir. Des lunettes exubérantes sur une paire d’yeux bleus. Des cheveux blonds platine.
— Paul Avenon.
— C’est bien moi ! répondit-il joyeusement.
Le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine, Mélody ne sut que dire, les mots se perdant dans sa bouche.
— Co... co...
Comment vous m’avez retrouvée ?
— Vous connaissez ma fille ? demanda son père.
— Bien sûr ! Je lui ai proposé un stage dans ma galerie.
Le visage de Philippe s’illumina.
— Vraiment ? Mélody ! Pourquoi tu ne nous as rien dit ?
— Je ne... je...
Reprenant difficilement ses esprits, la jeune femme parvint à demander :
— Pourquoi êtes-vous ici ?
— Vous m’aviez parlé de la librairie de votre père lors du gala ! Je suis désolé, ajouta-t-il dans la direction de celui-ci. Je n’ai pas pu venir plus tôt. C’est un charmant magasin que vous avez là ! Une librairie spécialisée dans les ouvrages de non-fiction, ce n’est pas courant !
Ce n’est pas courant.
Il avait dit cela en la regardant dans les yeux.
Mélody ne lui avait donné ni nom ni adresse. Il avait cherché le magasin. Il avait fait exprès, juste pour la retrouver.
— Merci ! Vous avez dû venir de loin. Vous voulez un café ou un thé ?
— Non ça ira, répondit froidement Mélody à sa place.
Cela n’entacha en rien la bonne humeur du galeriste qui ne la lâchait pas des yeux. Son père ne l’écouta pas et alla préparer des boissons chaudes dans l’arrière-boutique. Avenon attendit qu’il ne soit plus là pour parler :
— Je me suis beaucoup inquiété, dit-il d’un ton accusateur, une certaine aigreur derrière son sourire, de ne pas vous revoir revenir des toilettes. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Mélody déglutit.
— Je me... je me sentais pas bien. Je suis rentrée.
— Je vois.
Son père revint avec un café chaud dans un gobelet. Avenon le remercia.
— Bien, et si nous parlions de ce stage ?
— Je... je préfère pas, dit la jeune femme.
— Pourquoi pas ? s’étonna son père.
Elle n’avait rien avoué à ses parents. Ils pensaient encore qu’elle désirait ce stage alors qu’elle avait fait une croix dessus depuis sa discussion avec Olympe.
— C’est juste... je... je trouverai ailleurs.
— Vous êtes sûre ? demanda Avenon. Je me doute que vous devez avoir beaucoup de propositions, mais j’aimerais vraiment que vous reconsidériez la mienne. Je suis convaincu que vous plairez dans ma galerie.
Son père hocha vivement la tête. Il avait dû reconnaître Paul Avenon des réseaux sociaux qu’il avait cherchés avant que Mélody n’aille à cette maudite soirée.
— Que diriez-vous d’en discuter autour d’un dîner ? Ce samedi.
Non. Hors de questions.
Elle ouvrit la bouche pour refuser, mais son père s’exclama :
— Quelle bonne idée !
Avenon sourit et serra la main de Philippe, comme si, à eux deux, ils pouvaient décider d’une telle chose pour elle.
Horrifiée, Mélody donna ce qu’elle crut être la meilleure excuse :
— Samedi j’ai promis à Tachi d’aller voir son spectacle.
— Qui est ce Tachi ? demanda Avenon, une pointe de jalousie non dissimulée dans la voix.
— Un ami de la famille, expliqua son père.
Puis il se tourna vers elle.
— Dis-lui que tu iras une prochaine fois !
— Non... non, j’ai promis. J’ai dit que j’irai ce samedi.
— C’est de ton avenir dont il est question ! rétorqua Philippe. Il comprendra, enfin !
Mélody déglutit, cherchant désespérément une échappatoire à cette situation.
— Elle viendra, conclut son père pour elle.
Son ventre se serra.
— Parfait ! s’enthousiasma Avenon. On se retrouve à 20h au restaurant Le Blanc, juste devant ma galerie. Leur filet mignon est délicieux.
— Je... je sais pas... je...
— Elle sera là.
Philippe lui lança un regard éloquent.
Il est hors de question que tu refuses.
Sa décision était sans appel.
— J’ai hâte de vous revoir, mademoiselle Martin.
Son regard à lui aussi était éloquent. D’une autre façon.
Mélody aurait pu fondre en larmes. À la place, elle se mura dans le silence. Avenon les salua tous les deux et quitta la librairie. Son père appela tout de suite sa mère à l’étage pour lui annoncer la “bonne nouvelle”.
Mélody s’excusa un instant pour aller aux toilettes.
Son corps tout entier se mit à trembler, gagné par l'angoisse. À vingt-deux ans, elle était encore incapable de s’imposer, laissant ses parents prendre des décisions pour elle.
L’étudiante se haïssait pour ça. Encore plus qu’elle haïssait Avenon pour l’avoir mise dans cette position.
Et samedi, elle serait forcée de le voir de nouveau.
♦♦♦
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