samedi 18 juin 2022

“Pourquoi j'ai kidnappé Nathaniel” ♦ Chapitre 8 - Pourquoi j'ai kidnappé Nathaniel



 Nathaniel eut soudainement beaucoup de mal à respirer.
 Il sentit la colère monter jusqu’à ses lèvres, déchirées dans un rictus. Son cœur se mit à battre très vite alors qu’il serrait le téléphone dans ses doigts, les veines sur le dos de sa main prêtes à exploser à tout moment. Il releva la tête si brutalement qu’une violente crampe envahit son cou – il avait entendu la porte d’entrée claquer jusqu’à ce que Su, un peu penaude, rentre à nouveau dans la pièce. Elle avait les yeux rouges.

 — Qu’est-ce que t’as ? demanda-t-elle, retrouvant soudainement son flegme habituel. Encore tes problèmes de constipation ?

 En guise de réponse Nathaniel leva la main, l’appareil dans la main. Il continuait de vibrer sans s’arrêter. Le visage de Su se décomposa, réalisant l’erreur qu’elle avait commise.

 — Rends-le-moi tout de suite, ordonna-t-elle tendant la main vers son téléphone.

 Nathaniel éloigna son bras, ne décrochant pas les yeux de Su, soudainement figée par la peur. Elle avait toujours craint les rares moments où il se rebiffait, quand il la regardait avec une agressivité fugace et pourtant si violente. Elle avait fait une erreur en le détachant, en oubliant son portable. Elle avait fait une erreur en le kidnappant ce jour-là.

 — Tu t’es foutue de moi depuis le début.

 Su eut l’envie très forte de se défenestrer, avant de se rappeler qu’elle était au rez-de-chaussée. Elle détourna la tête pour ne pas affronter son regard, celui-ci empli d’une haine qu’elle n’avait jamais observée chez lui, même au début quand ils ignoraient tout l’un de l’autre.

 — Tu veux peut-être que je te lise tes messages. Tu te souviens de celui-là ? « Pourquoi c’est Nathaniel qui a disparu du site ? Le plan c’était d’enlever CASTIEL, pas l’autre blond », ça te dit quelque chose ?

 Su regardait ses pieds. Elle avait l’impression que son cœur ne battait plus, comme s’il était déjà brisé en mille morceaux.

 — Ou alors tous les autres. Ceux où « tes amies » te menacent d’appeler les flics si tu n’arrêtes pas tes conneries tout de suite. Attends, laisse-moi deviner, le nom de la connerie c’est moi, hein ? Tout ton cinéma concernant tes pseudos regrets pour n’avoir pas enlevé Castiel à ma place, c’était du cinéma ?

 Elle ne répondit rien. Nathaniel, hors de lui, ne supportait plus son mutisme soudain – elle et sa grande gueule d’habitude.

 — RÉPONDS, SU ! RÉPONDS MOI TOUT DE SUITE, hurla-t-il en fracassant le portable comme le mur derrière elle, faisant alors taire les vibrations.

 Aucun son ne sortit de ses lèvres, pas même le bruit de son souffle irrégulier et douloureux, les yeux toujours rivés vers le sol. Elle entendit la main de Nathaniel claquer violemment contre sa cuisse – il fit un pas sur le côté, sans même reprendre sa deuxième béquille. Su eut un frisson violent contre l’épaule, l’estomac noué.

 — Quand je pense que j’étais sur le point de… rah, putain, soupira-t-il, exaspéré.
 — Tu étais sur le point de quoi ?

 Nathaniel se pencha vers elle – pour la première fois depuis son monologue elle le regardait dans les yeux.

 — J’étais sur le point de… de te pardonner !
 — Me pardonner ?
 — Oui ! Pour tout ce que tu m’as fait ! Pour m’avoir enfermé ici, pour m’avoir empêché d’avoir une hygiène correcte, pour n’avoir pas pu boire ou manger à ma faim, pour m’avoir pété la cheville, et j’en passe !

 Su eut un léger mouvement de recul, presque imperceptible, avant de porter son regard vers l’horizon à nouveau.

 — Tout à l’heure, en me rendant compte que j’allais pouvoir partir je… j’ai compris que je ne t’en voulais plus. C’est pour ça que je t’ai pris dans mes bras ! C’est tout, cria-t-il.
 — Alors c’était pour ça… murmura-t-elle à elle-même.

 Nathaniel était meurtri par la colère qui, en une seconde, avait détruit tous les sentiments qu’il avait pu avoir jusqu’à maintenant. Il était d’autant plus exaspéré qu’il ne comprenait pas pourquoi cette simple information avait autant d’importance pour lui. Peut-être parce qu’il réalisait qu’à cause de cette furie, il avait subi des sévices dont il n’était pas la cible à l’origine ? Ou peut-être simplement parce qu’elle lui avait menti.

 — Pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi ? Je ne comprends plus rien !
 — Parce que tu y comprenais quelque chose, avant ? Hein ? répondit-elle, une colère nouvelle sur le visage. Mais tu ne vois jamais rien, tu ne comprends jamais rien !

 Nathaniel fut surpris de la voir soudainement lui répondre avec autant de vigueur. Sa tête lui faisait mal.
 Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il était censé lui dire maintenant, pourtant il ne pouvait s’empêcher de la questionner.

 — C’était ton plan depuis le début ? Tu as profité de la naïveté de ces filles en leur proposant un plan qui n’aurait jamais dû être réalisé, c’est ça ?
 — Non c’est pas vrai ! J’ai jamais voulu les trahir !
 — Mais alors pourquoi, Su ? POURQUOI ? hurla-t-il de nouveau, incapable de reprendre son calme. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?!
 — MAIS TU COMPRENDS RIEN ! sanglota-t-elle, un flot de larmes se déversant sur ses joues.

 Nathaniel fut légèrement surpris, ne pouvant pourtant toujours pas contrôler la fureur en lui – d’autant plus puissante qu’il n’en comprenait pas réellement la cause. La voir ainsi fondre en larmes lui donna le sentiment qu’il n’avait plus rien à dire et qu’il devait l’écouter pour cette fois.
 Elle commença à tourner sur elle-même, frottant ses joues dans un geste frénétique et incontrôlable. Quand elle eut fini d’essuyer les pleurs et la morve qui avaient recouverts son visage, elle se plaça devant Nathaniel.

 — Ce n’est pas ce que j’ai voulu. Le plan a toujours été de kidnapper Castiel, et comme les filles sur le site savaient que j’avais une grande maison vide et une vie sociale complètement dissolue, elles m’ont tout de suite proposée de tenir ce rôle.

 Elle pesait ses mots, n’étant pas certaine de vouloir continuer – pourtant elle savait que ça devait sortir, une bonne fois pour toute.

 — J’étais censée aller le kidnapper à la sortie du studio et le ramener ici. Une fois que le site aurait fermé, je devais leur donner mon adresse discrètement et comme ça… on l’aurait eu pour nous seules.

 Nathaniel ne savait pas s’il devait rire ou soupirer devant tant de connerie.

 — Vous êtes dingues.
 — Tu crois que je le sais pas ? Enfoiré.
 — Et finalement quelle connexion a pété dans ton cerveau pour que ce soit moi qui me retrouve croupir ici ?
 — Mais, ah…

 Elle posa sa main contre son front, se sentant honteuse pour la première fois depuis le début des évènements.

 — Je n’ai jamais aimé Castiel !
 — Quoi ?
 — Je déteste Castiel, sérieusement. Un faux bad boy et pseudo musicien torturé, non merci ! Mais lui, quand je lui parlais franchement, il avait l’air d’aimer ça, va savoir pourquoi ! Du coup j’ai fini par devenir « fan » de lui, en oubliant qu’à l’origine je le détestais, parce qu’il m’accordait un peu d’attention. Pas comme toi ! dit-elle en pointant Nathaniel du doigt, un air de reproche sur le visage.
 — Moi ? répéta-t-il, profondément perplexe.
 — Dès que j’essayais de plaisanter avec toi tu t’énervais ! Puis je comprends pas l’intérêt de te balader avec un bouquin si c’est pas pour parler de la fin !
 — Mais c’est stupide, si une personne a un livre avec elle ça signifie bien qu’elle ne l’a pas fini !
 — Nan mais toi et ta logique approximative, vraiment.

 Nathaniel se posa la main sur le visage, effaré.

 — Ouais ! Tu faisais tout le temps cette tête-là. Trop énervant.
 — Non mais ça suffit ! C’est quoi ton problème ? Tu m’as kidnappé pour me faire payer de jouer un personnage qui ne te plaisait pas ?
 — Mais non ! Moi je… Ah, souffla-t-elle, ayant du mal à réaliser ce qu’elle allait dire. Moi, tu me plaisais.

 Nathaniel se redressa – il eut l’étrange impression que sa colère s’était évanouie d’un coup.

 — Pardon ?
 — Tu me plaisais ! C’était toi que je voulais, depuis le début. Mais tu m’as toujours repoussée. Castiel lui, au moins, il m’a toujours acceptée comme je suis.
 — Mais ce n’est qu’un jeu, ce n’est pas réel, murmura-t-il, une once de pitié dans la voix.
 — MAIS JE SAIS ! Je sais…

 Elle recommença à frotter machinalement ses joues, les yeux humides et une expression sur le visage qu’il n’avait jamais vu chez elle.

 — Mais tu ne comprends jamais rien Nathaniel…

 Il ne répondit rien, la regardant doucement. Comme si la colère n’avait jamais été présente.

 — Tous les jours, commença-t-elle, la voix brisée. Tous les soirs je rentrais dans cette… immense maison vide. Avec ma mère qui se barre aux quatre coins du monde et mon frère qui ne revient que tous les six mois pour se donner bonne conscience. J’ai été virée de l’école d’infirmière après à peine deux mois de cours.
 — Pourquoi ?
 — Pour une histoire de trafic d- non mais ça te regarde pas ! Ça faisait des années que je voulais rentrer dans cette école et j’ai dû y renoncer. J’ai pas de travail à cause de mon casier judiciaire et tous mes amis du lycée m’ont déjà oubliée. Je passais mes journées à me demander si ma vie avait un sens ou un but quelconque, et j’ai dû admettre qu’elle n’en avait aucun.

 Nathaniel ne répondit rien, l’estomac noué par un sentiment de gêne. Su retenait difficilement ses larmes, se mordant la lèvre jusqu’au sang.

 — Alors quand j’ai découvert ce site, en me faisant des amis, je crois que je me suis sentie un peu mieux. Je savais que ça n’avait pas d’importance, que ça n’en avait pour personne d’autre que moi, je savais que je n’étais pas la seule à interagir avec les personnages et à « plaire » à Castiel, mais je me sentais mieux. Tu ne peux pas comprendre ce que ça a représenté pour moi.

 Su avait du mal à respirer.

 — Mais ça n’a pas suffi ! Ça n’aurait jamais pu suffire, parce que je voulais être l’unique.
 — L’unique ? répéta-t-il doucement, levant les yeux.
 — Je ne voulais pas que tu me rejettes seulement parce que ton scénario était écrit à l’avance, je n’ai jamais accepté que tu me rejettes parce que je n’étais pas calibrée pour te plaire sur le site. Alors quand je t’ai vu, ce jour-là, en rentrant chez toi, je me suis souvenue de ça. Je me suis souvenue que je voulais être la seule à tes yeux.

 Nathaniel se sentit gêné, partagé entre la folie de Su et son indéniable et très touchante honnêteté.

 — Même si je ne savais pas quoi faire, et même si j’ai très vite compris que j’avais fait une connerie. Même si je savais que je perdais un peu la raison, au moins j’étais heureuse de te retrouver en rentrant. J’étais heureuse de savoir qu’il y avait quelqu’un pour moi, qui m’attendait. Même si tu devais me détester à cause de ce plan loufoque, je voulais que tu me regardes vraiment, comme j’étais.

 Ils se regardèrent un long moment, en silence.

 — Je voulais enfin vivre ma propre histoire. Je voulais être l’héroïne pour une fois. C’est pour ça que je t’ai kidnappé Nathaniel.
 — Su, je…
 — Mais toi. Mais toi tu ne vois jamais rien. À la seconde où tu as compris que tu pouvais partir et ne plus jamais me revoir, tu n’as pas hésité. Tout ce que j’ai obtenu de toi c’est ton pardon.

 Son visage était flamboyant, noyé par la peine et la fureur qui déformait ses traits en une passion violente.

 — TU NE COMPRENDS JAMAIS RIEN !

 Soudainement elle fit quelques pas et saisit la batte de baseball, la montant au-dessus de son épaule.

 — Tout ce que je voulais…

 Un air menaçant sur le visage, elle s’approcha de Nathaniel qui fut saisi d’une peur panique, s’emparant de ses articulations.

 — Tout ce que je veux, Nathaniel… tout ce que j'ai toujours voulu…

 Alors qu’elle leva la batte pour l’abattre sur lui, il se recula in extremis.

 — C’EST QUE TU M’AIMES !

 Le coup explosa en un million de morceaux le lov’o meter qui attendait toujours, collé contre l’épaule de Nathaniel. Le verre se répandit sur le bureau et l’ordinateur, tombant en poussière jusqu’à disparaître totalement.
 Nathaniel, complètement ahuri et les yeux écarquillés, tenait difficilement sur sa seule béquille, une émotion étrange lui nouait le cœur.

 — Su, comment as-tu fait ça ?

 C’était impossible.
 Elle ne répondit rien, serrant toujours la batte dans sa main et ne parvenant pas à reprendre une respiration au rythme normal.

 — Vas-t-en, ordonna-t-elle sans le regarder.

 Il leva les yeux vers elle – le souvenir de ses larmes marquaient encore ses joues et, soudainement, cette vision lui provoqua un malaise.

 — Su je suis désolé mais je…
 — Vas-t-en ! Vas-t-en ! DÉGAGE TOUT DE SUITE !

 Il ne parvint pas à bouger – il savait que passer cette porte serait une erreur qu’il ne réparerait jamais.

 — Su je t’en supplie.
 — CASSE-TOI !

 Ne sachant pas quoi faire d’autre, il tituba en direction de la porte qu’elle referma aussitôt après son passage. Elle se retourna et se laissa glisser par terre, pleurant jusqu’à ses yeux n’en puissent plus.
 Nathaniel, lui, retrouva la sortie et fut légèrement déçu en constatant que, de toute évidence, le taxi ne l’avait pas attendu.

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