samedi 18 juin 2022

“Pourquoi j'ai kidnappé Nathaniel” ♦ Chapitre 7 - Pourquoi je ne joue plus



 Nathaniel avait eu l’occasion de partir d’ici, une seule fois. Et il n’avait rien fait.
 L’homme de l’autre fois était revenu frapper à la porte de la maison, en pleine journée. Considérant le silence ambiant dans lequel était plongée la demeure où il « vivait » depuis quelques semaines, il devinait que Su avait dû s’absenter. Elle le faisait rarement – et ce fut lors d’une de ces rares occasions que cet individu était revenu se manifester. Il entendait son poing s’abattre sur la porte dans un bruit sourd, éloigné de là où il était. En y réfléchissant un peu, il se doutait que cet homme devait être son frère ou son père. La première et unique fois où Nathaniel l’avait entendu venir, elle avait dû le renvoyer sans sommation, ne l’ayant même pas entendu entrer.
 Il se sentait à la fois intrigué et étrangement indifférent à propos de cet homme. Il représentait la première présence extérieure depuis des jours. L’idée d’un contact avec le dehors lui faisait un drôle d’effet, comme s’il avait soudainement perdu l’habitude, comme si la simple idée de devoir expliquer ce qui s’était passé lui semblait insupportable.
 Quelques minutes s’écoulèrent. Il se dit qu’il devait déjà être reparti.
 Il eut le sentiment étrange d’être soulagé.

 — Su, t’es là ?

 La voix venait de la fenêtre entrouverte, juste au-dessus de sa tête. Son cœur commença à battre la chamade. L’homme d’une trentaine d’année regardait à l’intérieur, poussant légèrement la fenêtre.

 — Alors ? demanda une voix féminine derrière lui.
 — Je sais pas, elle répond pas. Su ? Su, si tu es là réponds s’il te plaît.

 Il suffirait d’un mot, d’un seul mot de Nathaniel. Un appel à l’aide, au secours, un rien suffirait à le faire sortir d’ici. Juste un mot et il sortirait d’ici.
 Mais il ne dit rien.

 — Bon, tant pis.
 — C’est pas grave, on viendra une autre fois, dit la voix féminine en commençant à s’éloigner.
 — Oui. Mais si elle est vraiment absente c’est bizarre qu’elle laisse la fenêtre ouverte comme ça, n’importe qui pourrait rentrer.

 Les pas s’éloignèrent et, quelques instants plus tard, il entendit leur voiture redémarrer.
 Nathaniel relâcha la pression qui lui avait tordu le ventre pendant de longues minutes. Il eut soudainement l’impression qu’il venait de faire une grave erreur. Il regarda les chaînes qui lui provoquaient de hideuses plaques rouges, surtout près de poignet – il lui aurait suffi d’un mot pour être certain de s’en libérer. Il regretta aussitôt sa décision.
 Il s’était habitué à cette situation. Il s’était habitué à elle, et il avait une peur stupide et irrationnelle de devoir sortir d’ici. Il était anxieux en pensant au moment de devoir reprendre le travail, de reprendre sa vie drapée de solitude. Au moment où elle le laisserait s’en aller, au moment où il saurait qu’il ne la reverrait plus jamais.
 L’instant d’après, il se disait que, peut-être, elle lui avait menti et qu’elle ne le laisserait pas partir. Quelles que soient ses options, aucune ne lui convenait.
 Il avait mal au ventre de toute façon.
 Su rentra chez elle quelques heures plus tard. Elle avait l’air de bonne humeur.
 Depuis quelque temps elle avait abandonné les sweats trop grands, les pantalons déchirés et le noir sur les ongles. Elle portait des vêtements plus simples et plus sobres – Nathaniel ne savait pas réellement pourquoi, mais il lui préférait cette allure-là. Il avait l’impression qu’en l’espace de quelques jours elle avait pris cinq années d’un coup. Et quelques fois elle souriait, aussi, c’était étrange. Son sourire aussi avait changé.
 Quand elle revint, deux sacs plastiques dans les mains, il ne la salua pas. Elle lui proposa quelque chose à manger ce qu’il refusa immédiatement. Elle ne s’en inquiéta pas une seconde, preuve que quelque chose avait changé chez elle. Elle se contenta d’enlever ses chaussures et de s’asseoir sur la chaise du bureau, allumant son ordinateur. Elle commença à pianoter ses doigts sur le bureau, le menton posé sur sa paume, hésitant à s’ouvrir un paquet de chips.

 — Tu es sûre que tu ne veux rien ? demanda-t-elle innocemment, comme à un bon ami.
 — Non merci.

 Nathaniel avait mal au cœur et les lèvres pâteuses. Il la regardait taper du pied contre sa livebox et tripoter ses cheveux. Il avait remarqué qu’elle avait toujours une épaule étrangement plus haute que l’autre, il avait aussi remarqué cette tension qui marquait son dos à chaque instant, comme perpétuellement soumise à de l’anxiété. Quand elle était joyeuse, sa voix était plus aiguë, et quand elle s’en rendait compte cela l’énervait.
 Il la connaissait trop bien – et pourtant il ne savait strictement rien sur elle. Rien du tout.

 — Su ?
 — Mouais ? répondit-elle, les yeux rivés sur son écran, agacée comme à chaque fois qu’il prononçait son prénom.
 — Tu veux bien enlever ma chaîne ?

 La tension s’accentua dans son dos. Elle fit un geste suggérant qu’elle allait tourner la tête vers lui mais se ravisa. À la façon qu’elle avait de ne plus bouger il devina qu’elle regardait dans le vide.

 — D’accord, répondit-elle simplement.

 Nathaniel ne la croyait pas, mais quand elle se leva pour venir vers lui il lui montra son bras, toujours enclin à lui provoquer d’effroyables crises de claustrophobie. Elle s’assit à côté de lui et sortit une clé de la poche – Nathaniel se demanda bien pourquoi elle gardait cette clé sur elle depuis tout ce temps. Il n’osait pas imaginer qu’elle puisse avoir prévu de le libérer avant.
 Il sentit son cœur se tordre de douleur alors qu’elle prenait sa main et tournait la clé pour enlever la pression. Il eut une violente envie de pleurer en sentant l’air libre se poser son poignet. Il passa les doigts dessus, soulagé comme il ne pensait pas l’avoir jamais été de toute sa vie. Il leva les yeux vers elle, le souffle au bord des lèvres.

 — Merci, murmura-t-il d’une voix qu’il ne reconnut pas, noyée par l’émotion.

 Elle resta là un moment, sans rien dire, ne comprenant pas pourquoi il en faisait autant des caisses pour pas grand-chose. Elle n’avait pas l’intention de libérer sa jambe après tout. Il regardait son poignet comme s’il venait miraculeusement de repousser après une amputation. Elle se mit à sourire, ne pouvant s’empêcher de le trouver ridicule – pourtant il disparut aussitôt quand il releva les yeux vers elle. Son cœur manqua un battement en voyant dans ses iris bleutés quelque chose qu’elle n’avait jamais décelé chez personne d’autre.
 L’impression d’exister auprès de quelqu’un. De l’intérêt.
 Se sentant oppressée, elle claqua ses paumes contre ses cuisses et se releva sans attendre pour reprendre sa place. Nathaniel la regarda partir, il y avait un peu de mal à réfléchir.

 — Bon, où est-ce que j’en étais… ?

 Nathaniel se repositionna, s’asseyant sur la marche pour prendre un peu de hauteur. Face à la fenêtre, il lui tournait le dos. Le soleil était haut dans le ciel – il avait l’impression qu’il n’avait jamais fait aussi beau et chaud.

 — Le nouvel épisode pue.
 — De quoi est-ce que tu parles ? interrogea Nathaniel, pas réellement intéressé par le sujet.
 — D’Amour Sucré, qu’est-ce que tu crois ? Cette Ambre fait vraiment chier. Je sais bien que c’est ta sœur mais tu réalises p-
 — Attends.

 Il se retourna – Su avait toujours les yeux rivés sur cette petite page rose et verte qu’il connaissait par cœur.

 — Le site a rouvert ?

 Elle ne répondit pas, et la pression contre son dos fut plus forte que jamais.

 — Et alors ?
 — Mais alors c’est terminé.

 Su refusait de lui faire face, la main figée sur la souris et des tremblements dans son pied qui s’affolait sous le bureau.

 — Votre plan a échoué. S’il a rouvert c’est parce qu’ils ont dû me trouver un remplaçant, pas vrai ?

 Su déglutit avec difficulté.

 — C’est vrai. En fait tu n’as jamais été aussi populaire que depuis ton absence, tout le monde ne parle que de toi.

 Nathaniel ne savait pas comment il était censé réagir. Il avait l’estomac noué et cette nouvelle ne le ravissait pas du tout.
 Quand il posa à nouveau ses yeux sur Su, elle avait la main sur les yeux et des larmes tombaient lourdement sur son bureau, enveloppée dans un épais silence.

 — Ça n’a pas marché, sanglota-t-elle en accentuant la pression sur ses yeux.

 Nathaniel ne savait pas quoi faire – et en vérité l’idée de la réconforter ne lui effleura même pas l’esprit. Il reporta son regard à l’horizon, massant son poignet endolori avec ses doigts. L’instant d’après il entendit la porte claquer.
 Il ne comprenait pas pourquoi cela la mettait dans un tel état – en fait, dès le départ, il s’était demandé comment elle avait pu croire que son plan fonctionnerait. Il l’avait toujours trouvé illogique et insensé, comme elle. Mais il s’y était habitué, à cette situation illogique.
 Elle revint quelque temps plus tard, étrangement calme. Ils discutèrent pendant un moment. Nathaniel, pour lui faire plaisir, réfléchit avec elle aux différentes manières qui auraient pu rendre cette mission fructueuse – la rassurant même sur le fait que ça n’avait pas marché, que ce n’était pas grave. Il ne parvenait même pas à savoir s’il mentait vraiment ou non.
 Après un silence qui dura plusieurs minutes, Su commença à tourner distraitement sur sa chaise.

 — Alors ? demanda Nathaniel, assis par terre devant elle.
 — Je peux te préparer des vêtements propres, et puis quand je t’aurai détaché tu prendras une véritable douche parce que tu sens le fennec.
 — Nan, mais ! commença-t-il, agacé par sa remarque. C’est bon, tu me laisses partir ?

 Su eut un mouvement recul, comme si cela l’avait vexé.

 — Ouais. Je ne vois pas pourquoi je te garderais une seconde de plus ici.

 Elle se leva de sa chaise, enleva la chaîne de sa cheville et quitta la pièce. Elle revint seulement lui donner des vêtements propres, sans un mot.
 Nathaniel sentit un soulagement incomparable en prenant une douche, sous l’eau chaude, et ce même s’il ne pouvait toujours pas tenir debout confortablement. Il laissa pendant de longs instants le jet de la douche se déverser contre sa nuque, incapable d’esquisser le moindre geste.
 Il y avait quelque chose qui lui tordait l’estomac, et il ne réalisait toujours pas que d’ici quelques instants il serait rentré chez lui – dans son immense appartement vide, avec pour seule compagnie ce lov’o meter qui le suivait partout. Cette pensé le déprima étrangement.
 Il avait le sentiment que quelque chose n’allait pas, qu’il ne tournait plus rond. Il avait le sentiment que cette histoire s’arrêtait trop vite après avoir duré trop longtemps. La vérité c’était qu’il ne voulait pas partir, pas de cette façon. En ayant l’impression qu’il avait raté quelque chose.
 Ou qu’il passait à côté de quelqu’un.
 Il se rhabilla avec difficulté, ayant toujours mal à la cheville. Il lui avait demandé s’il pouvait emprunter ses béquilles pour rentrer chez lui, ce qu’elle avait accepté avec une curieuse facilité.
 Alors que la nuit commençait à tomber il se retrouva près de ce bureau dont il avait étudié tous les détails un million de fois. Il regardait avec mélancolie tous les coins et recoins de cette pièce qu’il avait appris à connaître par cœur, poussé par l’ennui. Ça lui donnait un drôle d’effet – comme s’il avait encore des regrets qui coulaient au fond de sa gorge, même en sachant pertinemment qu’il n’aurait rien pu faire de plus.
 Son cœur se mit à battre plus vite quand Su revint dans la pièce – il ne savait pas si c’était en raison de la perspective de faire ses adieux à la fille la plus improbable du monde.
 Sans vraiment comprendre pourquoi, sa première pensée en la voyant fut qu’il la trouvait très belle.

 — Tiens, tes affaires. Mais si tu peux rallumer ton portable une fois dans le taxi… je t’en ai appelé un. Puis tu me balanceras pas aux flics, hein, sois cool…

 Il ne répondit rien. Elle avait préparé un petit sac, il constata même qu’elle y avait mis un bout de pain, ne comprenant pas vraiment pourquoi elle avait jugé cela nécessaire.
 Une fois les banalités échangées, un silence pesant s’installa entre eux. Il n’avait pas la moindre idée de quoi lui dire – il ne savait même pas s’il était censé dire quoi que ce soit. Finalement il balança le premier truc qui lui vint à l’esprit.

 — Bon la prochaine fois, vous kidnapperez Castiel, hein.

 Sur le moment elle ne sembla pas comprendre la blague, avant de répondre dans un soupir.

 — Ouais. On fera pas la même erreur deux fois.

 Elle eut un sourire étrange avant de baisser les yeux.

 — J-Je vais voir si ta voiture est arrivée.

 Nathaniel, qui avait précédemment posé une de ses béquilles contre le bureau, appuya son bras libre contre son dos pour la coller contre lui. Il posa son menton sur le haut de la tête, appuyant sur cette étreinte en se disant que peut-être cela lui donnerait une explication. Su ne lui répondit pas, les épaules tremblantes et se sachant plus minuscule qu’elle ne l’avait jamais été. Après quelques secondes elle s’extirpa, les joues rouges, avant de disparaître derrière la porte.
 Nathaniel eut soudainement peur d’avoir commis une erreur. Il réfléchit quelques instants, les hanches appuyées contre le bureau. Il entendit un drôle de bruit qui se répéta plusieurs fois. Baissant les yeux il constata qu’elle avait oublié son portable sur le bureau, celui-ci commençant à vibrer sans discontinuer. Pris d’une curiosité soudaine il prit le téléphone dans sa main et commença à lire les messages qui arrivaient en masse.
 Il s’agissait principalement de menaces provenant d’appellations étrangement écrites dans son répertoire, avec des « xxxBlackAngel24 » ou « Twilightprincesse ». Un numéro en particulier affichait une quantité astronomique de messages, remarquant aussitôt que Su n’y avait jamais répondu. Par curiosité, il remonta la conversation jusqu’à la date de son enlèvement, pour vérifier s’il s’agissait d’une de ses comparses.
 À la date du lendemain de son enlèvement, il tomba sur un message qui lui coupa littéralement le souffle.

 Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? Pourquoi c’est Nathaniel qui a disparu du site ?
 Le plan c’était d’enlever Castiel, pas l’autre blond ! Qu’est-ce que t’as foutu bordel ?
 Pourquoi t’as pas fait ce qui était prévu ?


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