Nathaniel eut l’impression que deux jours passèrent sans qu’elle revienne.
Elle n’avait pas fermé les rideaux et n’était jamais venu remplacer le bol de soupe (dont la partie grasse s’était amoncelée dans le fond) ni le pain qui, déjà rassis, était devenu dur comme de la pierre. Affamé, il avait fini par plonger sa tête dans le liquide – c’était passablement immonde, et en être réduit à cela pour pouvoir manger lui donna le sentiment qu’il était tombé au plus bas de l’échelle sociale. La soupe avait un goût immonde mais sentir quelque chose dans son ventre pour la première fois depuis des jours fut d’un immense réconfort. Heureusement que, du moins au début, il lui arrivait de lui donner à boire sinon il serait certainement déjà tombé dans un coma partiel.
Il lui était impossible de trouver une position qui ne devenait pas insoutenable après quelques heures : assis, allongé, sur le dos, sur le côté, replié, la tête posée sur le sol où la caisse derrière lui. Il avait l’impression que le sang ne circulait plus dans ses avant-bras, lui provoquant des crampes insupportables. En plus elle n’avait de toute évidence pas tenu sa promesse puisque sa cheville le faisait toujours effroyablement souffrir. On aurait pu croire que de la laisser constamment au repos aurait fini par la réparer petit à petit, mais il était forcé de constater que l’engourdissement de ses membres à force de ne plus bouger ne faisait qu’empirer les choses.
Quand elle revint le soleil était déjà couché. Il éprouva un immense soulagement d’échapper enfin à la solitude qui le tenaillait – seulement la fatigue l’empêcha d’articuler quoi que ce soit.
Elle s’approcha à pas feutré, si bien qu’il n’avait pas réalisé qu’elle s’était aventurée si près de lui.
— Tu es sale.
Il soupira – sa bouche était complètement déshydratée. Elle parlait peut-être de la soupe caillée qu’il y avait sur les seules zones qu’il n’avait pas réussi à essuyer avec ses épaules. En un clignement d’yeux, elle passa une serviette sur son visage. S’il n’était pas aussi épuisé par la douleur il aurait certainement apprécié ce contact avec le seul bout de tissu propre qu’il sentait depuis des jours.
— J’ai soif, parvint-il à articuler en la suppliant du regard.
Il entendit la porte se claquer l’instant d’après – il se dit, avec lassitude, qu’il n’avait plus du tout la notion du temps. Le noir dans la pièce l’empêchant aussi d’avoir la notion de l’espace.
Quand il sentit le goulot d’une bouteille se poser contre ses lèvres, il la vida presque entièrement.
— Mais ne t’étouffe pas ! dit-elle en enlevant la bouteille, le reste de l’eau se vidant sur son torse alors qu’il était pris d’une quinte de toux.
Elle s’éloigna pour allumer la lumière et revint s’asseoir sur la marche qui la séparait de lui. Elle semblait l’observer dans le détail. Ses cheveux toujours aussi blonds, son corps beaucoup plus grand qu’elle ne l’avait imaginé dans le jeu et son visage qui, avec la fatigue, lui donnait plusieurs années de plus.
Les minutes passèrent ainsi, à s’observer l’un l’autre. Elle se disait de lui qu’elle n’avait pas la moindre idée de quoi en faire. Il se disait d’elle qu’elle était exactement comme il avait imaginé les pires cas d’allumées qui florissaient sur internet. Derrière un bel avatar aux cheveux soyeux déterminés par la niaiserie du personnage de Su’ se cachait une illuminée aux cheveux gras.
Il eut soudainement très envie de vomir. Elle dut s’en apercevoir car elle se recula précipitamment.
Après quelques crachas, il finit par articuler quelques phrases.
— Mais qu’est-ce que tu me veux ?
Sa question la surprit.
— Mais… je ne sais pas, répondit-elle comme une évidence.
— Et votre plan ? Vous avez un plan, non, tes amies et toi ?
— Elles ne m’ont rien dit !
Elle se leva, exaspérée. Il se demanda si, pendant les deux jours où elle ne l’avait pas vue, elle n’était pas allée rendre visite à ses comparses en espérant des réponses au cas « Nathaniel » qui pourrissait dans son garage.
— Mais pourquoi moi ? Hein ? demanda-t-il, les yeux à moitié fermé.
Elle se rassit près de lui pour l’inviter à continuer. Il avait du mal à respirer.
— Vous êtes… folles de Castiel, non ? C’est pour lui que vous faites ça ?
Elle acquiesça.
— Vous n’aviez qu’à le kidnapper, lui. Son absence lui aurait donné un statut de célébrité et en plus vous auriez pu profiter de ne l’avoir rien qu’à vous pendant un temps. Alors que même si je disparais… ils trouveront bientôt quelqu’un pour me remplacer... et vous n’aurez rien gagné, termina-t-il avec difficulté.
Elle se leva et alla frapper sa tête contre l’écran de son ordinateur.
— MAIS POURQUOI ON A PAS FAIT CA ?
De là où il était Nathaniel entendait quelque chose qui ressemblait à un mélange entre des gloussements et des pleurs. Il aurait pu en rire mais, à la place, un hoquet s’échappa de sa bouche alors qu’il laissait tomber son dos sur la moquette dégueulasse.
— Je suis sûr qu’elles se sont foutues de toi.
De toute évidence la remarque ne lui fit pas du tout plaisir : sautant de son bureau elle fonça vers la porte. Dans un élan il la supplia de s’arrêter :
— Attends, reste un peu.
Il regretterait très vite d’avoir dit cela – mais il en avait marre d’être seul. Il avait mal aux jambes, aux bras, aux articulations, à la tête, dans la nuque et même son visage le faisait souffrir. Sauf qu’il ne supportait plus de rester tout seul.
— S’il te plaît, allez !
Ce n’était pas vraiment un ordre, ni une demande – c’était ce qu’il voulait, simplement. Un peu de compagnie. Elle s’approcha de lui à nouveau, poussant le plateau qui était resté là tout ce temps. Elle se tint là un bon moment en ne sachant pas quoi faire.
Lui qui avait passé tout ce temps à réaliser la bêtise de cette fille, il avait l’impression qu’elle avait changé. C’était peut-être le brouillard dans sa tête ou la fatigue qui le tenaillait qui commençait à voir en elle quelque chose d’autre. En vérité elle aurait pu être n’importe qui, ça n’avait plus d’importance.
— Bon, lève-toi.
Il ne comprit pas le sens de sa phrase, se contentant de la regarder avec passivité. Elle s’énerva et poussa d’un violent coup de pied la bassine qu’il avait derrière la tête. Elle le força à prendre une position assise tandis qu’elle manipulait les cordes qui liaient ses poignets. Par réflexe il tourna la tête pour essayer de regarder. Il sentit, tout doucement, la pression qui se relâchait – le soulagement l’envahit comme une vague de chaleur.
Elle avait eu une légère hésitation à enlever ses liens, mais Nathaniel lui faisait pitié. Quand elle dénoua les cordes, elle eut un pincement au cœur en voyant qu’elles avaient presque entaillé ses poignets. Sans le réaliser, elle caressa doucement avec le pouce les marques rouges vifs qu’elle avait provoquées. Elle finit quand même par lui asséner un violent coup de coude en plein milieu du dos pour le pousser à arrêter de s’affaler sur elle.
Elle se leva et se dirigea vers ses pieds. Nathaniel avait encore du mal à bouger mais, ivre de bonheur, la remercia avec des pleurs dans la voix. Elle enleva aussi les liens à ses chevilles et alors que – naïvement – il osa croire qu’en réalisant l’erreur de cet enlèvement, elle acceptait de le laisser partir, elle enferma sur sa cheville blessée une épaisse plaque en métal. Posé sur un coude, il observa la scène, complètement interloqué.
Non mais c’est pas vrai ! Elle la sortait de sa manche cette chaîne ?
Sa kidnappeuse souriait avec grandeur, visiblement satisfaite de son travail. Elle tapa du point sur le métal comme pour en savourer le son.
— Tu as vu un peu ça ? Deux jours pour trouver cette petite merveille. Chaîne de deux mètres, je l’ai soudée dans le mur pendant que tu dormais.
Mais elle avait vraiment réussi à faire une soudure pendant son sommeil ? Sérieusement ?
— Les cordes ce n’était pas pratique, tu vois, il faut que tu restes vivant quand même. Donc que tu manges et que tu te laves – parce que ça pue jusque dans la cuisine, vraiment – mais sans que tu puisses t’en aller. Elle est pas géniale mon idée ?
Il remarqua qu’elle avait quand même pris le soin de garder sa batte de baseball dans la main, probablement au cas où il aurait un peu trop de mouvements à sa disposition.
D’ailleurs sa fatigue et les douleurs s’étaient évanouies avec l’ahurissement. Il aurait pu lui foncer dessus si seulement sa cheville presque pétée ne l’en avait pas empêché.
— Je te laisse dormir.
— Va te faire foutre, sale garce !
Elle sourit dans toute sa gloire, faisant tourner sa batte dans les mains. Nathaniel n’arrivait même plus à lever suffisamment haut la tête pour ne pas baver sur la moquette en hurlant.
— ATTENDS UN PEU QUE JE RETROUVE DE LA FORCE ET JE T’ÉTRANGLERAI AVEC LA CHAÎNE.
Elle avait déjà claqué la porte.
— T’AURAIS PU AU MOINS L’ACCROCHER À L’AUTRE CHEVILLE !
Il s’endormit peu après.
Quand il se réveilla, il remarqua qu’une nouvelle chaîne enserrait son poignet droit, et aussi qu’elle avait changé de pied pour la chaîne du bas. La porte, baignant dans une forte lumière, avait été mal refermée.
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