Avec la pression des examens, les semaines passaient à une vitesse folle. Et Proserpine devait bien l'admettre : Mike l'évitait.
Elle avait essayé de lui parler dès le lendemain de sa discussion avec Romeo mais il l'avait esquivé en prétendant être en retard à un cours. Lors de ceux qu'ils avaient en commun, il osait à peine la regarder. Quand ils se croisaient dans les couloirs, il lui souriait timidement et partait en quatrième vitesse, parfois en oubliant de lui dire au revoir. Le reste du temps, ils ne se voyaient simplement pas. Proserpine ne lui en voulait pas : leur dernière discussion avait été mouvementée. Pourtant, elle savait bien que rien ne s'arrangerait tant qu'ils n'auraient pas mis cartes sur table. Au bout de deux semaines, elle en avait même reparlé à Romeo.
– Il ne veut plus me parler.
– Laisse-lui le temps. Amil m'a dit qu'il avait toujours pas digéré la défaite de Serpentard.
Proserpine se demanda si Amil et Mike, du fait qu'ils étaient dans l'équipe de Quidditch tous les deux, étaient amis. Elle aurait aimé que Mike le lui dît à elle, aussi. Elle ne pourrait pas l'aider tant qu'il refuserait de lui parler, mais elle ne pouvait pas le forcer.
– Laisse-lui le temps, avait répété Romeo.
Et elle avait décidé de l'écouter, se concentrant sur ses révisions et les cours de soutien donnés à Julie.
Le printemps commençait et travailler à l'extérieur devenait tout-à-fait agréable. Ce jour-là, comme tous les samedis, elle aidait Julie. Installées à l'extérieur, elle lui faisait réciter les propriétés du phénix en se basant sur ses propres connaissances pour la corriger.
– Il est carnivore ? hésita-t-elle.
– Herbivore.
– Ah oui, c'est ça. Et il est presque impossible d'en domestiquer un.
– En effet.
Assises au bord du lac noir, Proserpine ramena ses jambes sous elle. Julie, qui venait d'énoncer tout ce qu'elle savait – ou croyait savoir – sur le phénix poussa un profond soupir. Plus de deux heures qu'elle faisait ça mais Proserpine n'avait toujours pas décidé de lui accorder une pause. Compte tenu ses difficultés, ce qui n'avait été au début qu'une heure par ici ou par là s'était transformé en une journée entière consacrée aux révisions. Faire moins serait la condamner à ne jamais réussir ses examens. Si des personnes comme Romeo s'en contentaient parfaitement, bien qu'il fît tout de même figure d'exception à ne même plus intéresser le moindre professeur, ce n'était pas le cas de Julie. Elle était littéralement noyée sous la pression que lui mettait le corps enseignant. Et si elle ne lui parlait pas de ses parents, Proserpine n'aurait pas été surprise d'apprendre qu'ils étaient également une part importante dans le stress qu'elle s'imposait.
– On continue ? proposa Proserpine sans grande conviction.
– On peut faire une pause ? J'en ai marre, c'est bon. J'ai le cerveau qui brûle !
– Si tu veux.
Cela faisait déjà longtemps qu'elles travaillaient, c'était parfaitement raisonnable pour s'arrêter. Julie étendit ses longues jambes bronzées et s'allongea dans l'herbe.
– J'ai un entraînement tout à l'heure avec l'équipe, tu crois qu'on peut reporter les révisions ? demanda-t-elle à Proserpine.
– Je ne préfère pas.
– Pourquoi ? s'étonna Julie en fronçant les sourcils.
– La dernière fois que tu as voulu reporter un cours tu n'es jamais venue. Résultat on a perdu une séance.
– Mais c'était exceptionnel.
Elle soupira.
– Sandy est à fond sur les entraînements en ce moment, il se fout de notre avis. Il m'a fait sécher un cours la dernière fois ! En me disant « mais c'est l'étude des runes, tu t'en fous, c'est une matière inutile ». Résultat ton père m'a facturée mon absence de vingt-cinq points !
Gryffondor était donné favori pour remporter la coupe de Quidditch cette année, donc il n'était pas étonnant que le capitaine de l'équipe mît la pression à tous les joueurs. Même Proserpine, dont la présence de Sandy lui était d'une indifférence absolue, avait constaté un léger changement de comportement chez lui. Il ne fanfaronnait plus auprès de tout le monde que Gryffondor allait gagner la coupe dès qu'il en avait l'occasion, comme s'il avait peur qu'un excès de zèle lui porterait malheur. Romeo lui avait même expliqué, après une beuglante de ses parents qui avait résonné dans toute la salle commune, que ces derniers n'avaient pas supporté d'apprendre que ses résultats avaient baissé à quelques semaines des examens. Première fois que l'équipe arrivait aussi loin dans la compétition depuis qu'il en était le capitaine, aussi il n'était pas étonnant qu'il privilégiât, probablement pour la première fois de sa vie, le Quidditch aux études. Déjà, en première année, Proserpine se souvenait de Sandy qui se plaignait de la pression que ses parents exerçaient sur lui.
Finalement, ce n'était une période agréable pour personne ayant des examens à la fin de l'année. Malgré le temps clément et l'effervescence qui venait naturellement avec l'arrivée du printemps, beaucoup de septièmes années n'avaient pas le cœur à la fête.
– Dis-lui que tu ne pourras pas être là, trancha Proserpine d'une voix posée mais ferme.
– Il va péter un câble.
– Ce n'est pas ton problème.
Julie soupira.
– Ça se voit que c'est pas toi qui traîne avec lui.
Proserpine, qui était encore assise, regarda Julie avec attention. Celle-ci fermait les yeux et semblait quelque peu agacée. Probablement à penser aux réprimandes qui ne manqueraient pas de tomber si elle séchait un entraînement alors que Sandy ne permettait rien de ça. Proserpine se demanda si, en dépit de tout ça, ils étaient vraiment amis.
Elle chassa cette pensée et remit ses cheveux derrière ses oreilles. En levant les yeux, elle vit Douglas Mulder, le gardien de l'équipe, se diriger vers elles au pas de course. Malgré son allure un peu grassouillette et le fait qu'il était le joueur le plus jeune de l'équipe, son allure robuste était loin d'être un avantage négligeable lors des matchs. Il fit comme si Proserpine n'était pas là, celle-ci étant persona non grata auprès des membres de l'équipe depuis qu'elle était devenue commentatrice, et interpella Julie.
– Y'a Lindon qui a avancé l'heure d'l'entraînement, dit-il en mangeant toutes les syllabes. Tu viens ?
– Quoi ? Nan mais je bosse là.
– Tu glandes dans l'herbe tu veux dire.
– Non je travaille vraiment ! protesta-t-elle en se redressant d'un coup. Et avec Proserpine, d'abord. Arrête de faire comme si elle était pas là.
Il lui jeta un regard en biais.
– Avec elle ? cracha-t-il en admettant sa présence. T'as toujours pas compris qu'elle se foutait d'toi ? Juste pour t'prouver à quel point t'es mauvaise par rapport à elle ?
Julie eut une expression étrange.
– Elle se fout pas de moi. C'est la seule qui ait jamais accepté de m'aider.
Proserpine haussa les sourcils. C'était la première fois qu'elle la défendait de cette manière. Pendant des mois, même prise sur le fait, Julie avait nié travailler avec elle. Et quand elle avait fini par l'admettre, elle s'en était défendu en prétextant que c'était Proserpine qui avait insisté, qu'elle avait été obligée d'accepter, etc.
– J'ai beaucoup progressé grâce à son aide.
– Arrête un peu. Les autres nous attendent.
– Je travaille j'ai dit ! Fais pas chier et dégage !
Mulder eut un léger mouvement de recul, avant d'ajouter :
– Qu'est-ce qui t'prend ?
Oui, qu'est-ce qui lui prenait ? Elle qui avait accepté tout ce temps d'être considérée comme la plus bête de toute la bande, de faire comme si ça ne lui posait pas de problème puisque, de toute façon, c'était la plus stricte vérité. Qu'est-ce qui lui prenait, tout à coup, de croire que quelqu'un accepterait de l'aider, là où se amis ne s'en préoccupaient même pas ?
– Tu me pompes l'air ! cria-t-elle de cette colère vive dont elle avait le secret. T'as quatorze ans et tu crois que tu peux me dire quoi faire ?
– Calme-toi. J'fais seulement passer le message, se défendit-il, surpris par son emportement. Y'a entraînement tout de suite c'est Lindon qui l'a dit.
– Bah dis à Sandy que j'y serai pas.
– Pourquoi ?
– Parce que ! hurla-t-elle. Maintenant dégage !
Surpris que sa colère se soit retournée contre lui, Douglas repartit en direction du château. Proserpine, qui avait assisté à ça sans rien dire, se tourna simplement vers Julie.
– Je croyais que tu souhaitais y aller ?
– J'ai changé d'avis.
Elle planta ses yeux dans les siens.
– J'ai encore beaucoup de progrès à faire.
– Oui, beaucoup, confirma Proserpine d'une voix neutre.
Julie sourit.
– Bon alors fais-moi mieux travailler.
*
Le dîner dans la grande salle allait commencer mais Proserpine n'avait pas faim. Mike l'avait encore évitée lors de leur cours commun de sortilèges. Pourtant elle l'avait interpellé, cette fois-là, lui demandant simplement de ne pas se laisser abattre, mais il n'avait pas réagi et était seulement parti. Elle ne pouvait pas croire qu'il n'eût pas compris pourquoi elle lui disait cela, mais il ne lui avait même pas lancé un regard.
Peut-être que depuis ce jour-là, il ne voulait plus lui parler en l'absence des autres. Peut-être que Proserpine devrait se faire à cette idée et ne plus l'embêter.
« Laisse-lui le temps. »
Si Romeo ne s'était pas trompé, alors le temps viendrait où il lui parlerait de nouveau. Quand il serait prêt, quand il en aurait l'envie. Néanmoins ce nouvel échec lui avait coupé l'appétit. Se décidant à manquer le repas, elle remonta jusque dans la salle commune. Au septième étage, au détour d'un couloir, elle vit son père qui discutait avec Flavia Mantis, la professeur de potion. Ils ne l'avaient pas remarquée, aussi marcha-t-elle silencieusement à quelques pas d'eux.
– Tu es sûr de l'avoir ? demanda Flavia. Je ne vois pas pourquoi tu garderais ça dans ton bureau.
– Ça pourrait être dangereux, répondit-il simplement. Puis je ne jette rien.
– Encore heureux ! Imagine si tu avais jeté le dernier tue-loup qu'il me reste.
– Tu ne devrais pas laisser traîner ça en salle des profs de toute façon. Tu as de la chance que je l'ai récupéré, soupira son père en ouvrant la porte de son bureau.
Proserpine se cacha derrière une armure, ne souhaitant pas être repérée. Lorsque Flavia entra à la suite de Ruber, elle s'approcha, sans vraiment savoir pourquoi. Avant que la porte se fermât, sous l'impulsion, elle coinça la pointe de sa chaussure dans l'interstice pour continuer à écouter. Malheureusement, pendant que son père fouillait le bazar monstrueux que constituait son bureau, Flavia jeta un coup d'œil dans sa direction. Prise en flagrant délit d'espionnage, elle voulut faire demi-tour.
Puis, Flavia lui sourit et dit en direction de Ruber.
– Toujours pas réconcilié avec ta fille ?
Proserpine se colla contre le mur en pierre et frissonna en entendant son père répondre le plus simplement du monde, sans savoir qu'il écoutait :
– Non.
– Qu'est-ce que tu attends ?
– Peut-être de trouver ton aconit tue-loup ?
Flavia ne répondit pas à la provocation et continua.
– C'est vraiment pathétique, tu t'en rends compte ?
– Je sais. Tu me l'as déjà dit.
– Imagine si Ella te voyait !
Il n'y avait que Flavia pour se permettre de lui dire de telles choses.
– Quoi que ça ne l'étonnerait pas, je suis sûre. Elle a toujours su que tu étais un père en carton, tout comme moi. C'est bien le seul point sur lequel on tombait d'accord d'ailleurs, elle et moi, ajouta-t-elle, une once de mépris dans la voix qui n'aurait échappé à personne.
– Je l'ai toujours su moi aussi.
Proserpine sentit son cœur se serrer en l'entendant répondre ça.
– Mais tu n'as rien fait pour améliorer les choses. Tu as de la chance d'avoir une fille comme Proserpine, quand même.
Flavia s'engouffra plus loin dans le bureau, si bien que Proserpine ne la voyait plus.
– Imagine si elle avait eu mes gênes, en plus ? Elle aurait été parfaite.
Sa mère lui avait toujours raconté que Flavia était jalouse d'elle car elle n'avait pas d'enfants, encore moins avec son père. Pendant longtemps, elle avait pris cela pour un mensonge, un moyen de se venger de cette femme qui ne l'avait jamais bien traitée et qui passait plus de temps avec Ruber qu'elles deux n'en passaient jamais. Elle se demanda si, finalement, sa mère ne lui avait pas dit toujours la vérité.
– Enfin ce n'est pas le sujet, ajouta Flavia. Tu vas te décider à faire quelque chose ?
– Non, répondit froidement Ruber. Elle ne veut plus de moi, je dois me faire à cette idée.
– Ella non plus ne voulait plus de toi et pourtant tu ne t'en es jamais séparé.
Le son des objets qu'on déplace s'arrêta brusquement, signe que Ruber s'était arrêté dans son élan.
– Ella, tu étais prêt à te battre pour la garder, mais pas ta fille ? C'est quoi la différence ? Il y en a une que tu aimes et pas l'autre ?
– À quoi tu joues, Flavia ? demanda Ruber d'une voix acide. Tu sais très bien que c'est faux.
Bien sûr qu'elle le savait. Mieux que quiconque. Mieux que Proserpine.
Le son des objets qu'on déplace revint.
– Ella était malheureuse avec moi mais on était incapable de se séparer. Alors si Proserpine veut partir, je ne peux pas la retenir contre son gré. Elle sera certainement mieux sans moi.
– C'est vraiment la chose la plus stupide que tu n'aies jamais dite !
Ruber soupira bruyamment et Flavia revint dans son champ de vision.
– Et si tu assumais un peu de ne pas avoir été à la hauteur ?
– Je ne l'ai jamais nié. Ella me le disait tout le temps.
– Tu comptes te reposer sur tes échecs toute ta vie ?
Il s'arrêta un instant de bouger, et pendant une longue minute il n'y eut plus un bruit.
– Je ne sais pas comment faire, admit-il d'une voix que Proserpine ne lui avait jamais connu. Je ne peux pas lui en vouloir de me détester.
– Elle en a même tout les droits.
– Et ? Qu'est-ce que je fais maintenant ?
– Je ne vais pas te mâcher tout le travail, dit Flavia en remettant ses longs cheveux derrière son épaule. Mais rappelle-toi qu'elle n'a personne d'autre au monde que toi. Tu as choisi de fonder ta propre famille. Elle, elle n'a pas eu le choix.
– Elle est tout ce que j'ai aussi, dit-il plus pour lui-même que pour Flavia. Mais si me détester est le seul moyen qu'elle ait trouvé de supporter l'absence de sa mère, alors je dois l'accepter.
– Tu joues les bons psychologues avec tout le monde, mais tu ne comprends rien à ta propre fille, c'est affligeant.
Probablement loin d'être vexé, Ruber soupira simplement.
– Elle croit que te détester est la solution, mais ce n'est qu'une enfant, dit Flavia en jetant un coup d'œil à la concernée. Elle a seulement besoin que tu sois là pour elle et ne sait pas comment l'exprimer autrement. Elle a joué l'adulte pendant trop longtemps, et ça n'a jamais été son rôle.
– Je ne peux pas rattraper le temps perdu.
– Ah non, ce temps-là est perdu à jamais.
Flavia prit le petit sachet qu'il lui tendait et l'agita sous son nez.
– Mais heureusement que vous avez encore de belles années devant vous. Enfin... si encore tu es capable de renouer avec Proserpine avant qu'elle s'en aille loin de toi pour toujours.
Comme Ella était partie pour toujours. Même avant sa mort, son cœur était parti, et il n'avait pas su le retenir.
– Merci pour l'aconit, dit-elle en lui faisait un clin d'œil.
Puis elle passa la porte. Proserpine, qui n'arrivait pas à détacher son regard du sol, ne vit pas le sourire qu'elle lui lança. Ruber ne la suivit pas et Proserpine ne se soucia même plus qu'il la vît ici. Il resta dans son bureau, sans savoir qu'elle avait tout entendu. Elle attendit de réussir à digérer ce qu'elle avait entendu.
Elle finit par rejoindre son dortoir et s'endormit, le cœur lourd.
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Chapitre 8 ←
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