– Mais je comprends pas ! Pourquoi le mien c'est un poussin ?
– Tu n'es pas assez concentrée.
Plusieurs pigeons, deux poussins et une cocotte en papier avaient élu domicile dans la salle commune de Gryffondor. Proserpine avait passé toute la matinée à montrer à Julie McFly comment faire pour métamorphoser des assiettes en oiseaux. Alors qu'elle s'apprêtait de nouveau à en transformer l'une d'elle en pigeon pour lui faire une démonstration, Antoine Kallager, le préfèt, l'en empêcha d'une voix sèche. Ça faisait déjà dix minutes qu'il essayait de débarrasser la salle commune de tous les oiseaux, dérangé par le bruit et les saletés qu'ils laissaient partout.
– Normalement c'est en hiboux que tu es censé métamorphoser cette assiette, ajouta Proserpine en appuyant sur le poussin avec son doigt pour le déplacer.
– Et pourquoi toi tu le fais pas alors ? s'énerva Julie, les nerfs à vif à cause de ses multiples échecs.
– Tu n'es déjà pas capable de la transformer en pigeon.
Proserpine se leva, un peu agacée elle aussi même si elle ne le montrait pas plus que d'habitude, et métamorphosa une boîte de dragées de Bertie Crochue en hiboux empereur d'un coup de baguette magique. Le préfèt lui lança un regarda atterré qu'elle préféra ignorer.
– Si tu ne veux pas travailler, alors je m'en vais. J'ai mieux à faire.
– Mais arrête, j'ai pas dit ça ! Arrête de faire ton show un peu !
Proserpine fronça ostensiblement les sourcils, irritée. Elle ne faisait pas son show, et ce n'était pas son genre d'être théâtrale. Néanmoins, après des semaines à essayer de lui donner des cours, il n'y avait pas la moindre trace de progrès. Elle faisait tout son possible pour aider Julie mais celle-ci ne lui rendait pas la tâche facile : elle était colérique, impulsive et impatiente. Aucune des qualités qui pouvait lui permettre de faire correctement le travail.
– On en a assez fait pour aujourd'hui, dit Proserpine en évitant un pigeon qui fuyait dans sa direction. Pourquoi tu n'utilises pas la magie pour les arrêter ? glissa-t-elle au préfèt.
– Parce que je devrais être capable de les attraper à la main ! J'ai été élevé à la ferme. Si mes parents me voyaient, la honte quoi. Mais arrête de t'envoler, saloperie !
Julie se mit à rire lorsqu'il manqua de s'écraser sur la table. Proserpine soupira.
– Je m'en vais.
– T'es sérieuse Bradbury ? Mais le prochain cours de métamorphose est dans deux jours et le professeur Schoemaker a dit qu'il allait me couper la langue si j'avais fait aucun progrès d'ici là.
– Il t'a menti, répondit-il comme si cela nécessitait réellement d'être précisé.
– Mais fais un effort toi aussi ! Je sais bien que tu me détestes mais t'as accepté de m'aider alors assume maintenant.
– Je ne te déteste pas. C'est toi qui me détestes.
Ce qui était parfaitement vrai. Proserpine était bien trop indifférente aux personnes autour d'elles pour les détester. Elle acceptait leur présence, tout simplement. Celle de Sandy, elle la tolérait plus difficilement mais ne dépensait pas pour autant l'énergie nécessaire à le haïr. La seule personne dont la présence ne la laissait pas indifférente était encore Mike Oliver.
– Tu exagères, je ne te déteste pas. Pas trop. C'est Lindon qui peut pas te supporter. J'ai rien à voir avec vos embrouilles moi.
– Tu tiens sincèrement à ce qu'on continue ? Même si tu n'écoutes rien de ce que je dis et que tu es médiocre ?
– Ouais ! répondit-elle vivement, pas même vexée par sa remarque. Il faut vraiment que tu m'aides parce que... j'arrive à rien sinon.
Proserpine l'observa pendant une longue seconde avant de dire, finalement.
– Bien, on reprend les cours ce soir.
– Pourquoi pas maintenant ?
– J'ai quelque chose à faire. Dans une heure le match de Quidditch commence.
– Ah oui c'est vrai. Hey, Miles ! hurla Julie en se levant à son tour. Ça te dit d'aller voir Serdaigle rétamer Serpentard tout à l'heure ?
Frederica Miles répondit d'un sourire alors qu'elle descendait les escaliers qui menaient au dortoir. Elles cessèrent de prêter attention à Proserpine qui, pourtant, n'hésita pas à leur dire :
– C'est Serpentard qui va gagner.
– Comment tu peux en être aussi sûre ? demanda Julie d'une voix dénuée d'ironie.
– Je le sais, c'est tout.
Miles eut un léger rire, perplexe, mais Julie ne réagit pas. Peut-être que depuis qu'elle avait vu ses capacités à l'œuvre, elle lui accordait un certain crédit. D'autant plus que pour cette fois, Proserpine était absolument certaine de ne pas se tromper. Elle avait assisté au dernier entraînement de Serpentard et, non seulement leur attrapeur avait beaucoup progressé en très peu de temps pour éviter les Cognards – ainsi que les autres joueurs – mais en plus tous les autres membres de l'équipe étaient survoltés. Ce match était celui de la dernière chance, après deux malencontreux échecs qui n'auraient jamais dû se produire, et elle était certaine qu'ils allaient gagner celui-là.
Miles et Julie continuèrent à discuter et Proserpine décida de quitter la salle commune. Au passage, elle redonna leur forme d'assiette à tous les oiseaux, ce qui fit souffler le préfèt – autant de soulagement que de dépit de ne pas avoir réussi à les attraper avant.
Proserpine descendit les étages jusqu'au rez-de-chaussée pour atteindre la cour. Elle avait envie de voir Mike avant son match, peut-être pour l'encourager – même si ça ne lui était jamais arrivé d'encourager quelqu'un – ou simplement pour lui parler. Elle se disait que pour des personnes qui avaient décidé de se voir de temps en temps en l'absence des autres, c'était plutôt logique de le faire à cette occasion.
Ils ne se parlaient pas très souvent, en vérité. Seulement ponctuellement. En général, lorsqu'ils se croisaient dans les couloirs, étant toujours entourés d'une foule de monde, ils se contentaient de se dire bonjour. Parfois, dans la grande salle, ils se faisaient un signe. Mike lui souriait de loin, lui donnant le sentiment qu'elle était la seule au monde à le voir. Il lui avait même demandé de l'appeler Mike et, réciproquement, elle l'avait autorisé à l'appeler Proserpine. Bizarrement, commencer à l'appeler par son prénom lui avait fait ressentir une proximité gênante, ce qu'elle n'avait jamais ressenti avec Romeo ou Sandy.
Aujourd'hui elle avait très envie de le voir, parce qu'elle savait que Serpentard allait gagner le match et que Mike devait en être certain lui aussi. Alors qu'elle descendait le dernier escalier, elle croisa son père. Tête baissée, elle passa à côté de lui sans lui adresser un regard. Sa colère n'était pas retombée depuis ce fameux soir où ils s'étaient disputés, où elle lui avait demandé de disparaître définitivement. Après coup, elle n'avait pas voulu sortir de son lit pendant deux jours. Ce qu'elle lui avait dit, elle l'avait gardé au fond de son ventre pendant cinq ans, et tout était sorti sans prévenir. Proserpine s'en était un peu voulu : elle lui avait dit des choses cruelles, même si elle les pensait. Elle n'osait imaginer la réaction de sa mère si elle la voyait rejeter son père de cette façon. Même si elle se souvenait de toutes les disputes qu'il y avait entre eux, la concernant tout particulièrement – son père qui n'était pas assez présent, pas assez proche de sa fille, trop froid, pas assez sociable avec les autres – Proserpine avait toujours aimé son père, comme sa mère, les deux ensemble. C'était encore le cas aujourd'hui, même en étant certaine qu'elle ne reviendrait jamais sur sa décision. Tout ce qu'elle avait dit sur sa lâcheté et le fait qu'il l'avait laissé tomber était vrai.
Il n'avait même pas été capable de s'excuser. Si elle l'évitait, lui ne se forçait pas à faire le premier pas pour autant. Cela prouvait bien qu'elle avait eu raison sur lui. Il ne l'aimait pas assez pour se battre pour elle, il ne l'avait jamais fait, ça n'allait pas changer maintenant.
Proserpine n'en avait parlé à personne. Ni à Romeo ni à Mike. En quittant le couloir après leur dispute elle n'avait croisé personne non plus et en avait été rassurée. Elle ne souhaitait pas que qui que ce soit fût au courant : une seule année passée à entendre les autres échanger sur son malheur en la regardant avec pitié avait été suffisante. Elle se passerait de recommencer.
Une fois dans la cour, Proserpine trouva Mike sans difficulté. Occupé à discuter avec Martha Gardner, la capitaine de son équipe, il ne la vit pas arriver. De loin, elle les observa un instant, se demandant s'ils n'étaient pas en train de se disputer. Mais, au grand sourire de Mike lorsqu'il se retourna, elle hésita. Il se dirigea à grandes enjambées vers elle et Proserpine sentit son cœur s'affoler.
– Salut !
– Salut. Tout va bien avec Gardner ?
Mike se massa la nuque. Il avait un pansement sur le nez.
– Elle m'a dit que j'avais pas intérêt à tout faire foirer cette fois. Je crois qu'elle a pas trop supporté mon absence au dernier match, plaisanta-t-il.
– C'est sûr que s'ils ont perdu c'est uniquement à cause de ton absence.
Il baissa les yeux juste un instant, n'abandonnant pas son sourire.
– Ouais, je sais ! Lindon a jamais été interdit de match, lui, tu te rends compte ? Alors que c'est lui qui m'a frappé. Mais c'est le professeur Emerald, il m'a à la mauvaise parce que mes parents sont des moldus. Le directeur de Gryffondor est beaucoup plus juste avec ses élèves, vous avez de la chance.
– Si tu le dis.
– Enfin, depuis le match, tous les Serpentards me détestent. Je me suis fait menacer quatre fois aujourd'hui, dit-il en faisant le chiffre avec ses doigts. Dont deux fois par les membres de mon équipe !
– Je suis sûre que tu exagères.
– J'espère. De toute façon, je m'en fiche des autres, puis ça va changer dès ce soir. Fais-moi confiance.
– Je ne te fais pas confiance.
Le visage de Mike se figea dans une expression de surprise. Proserpine noua son regard au sien.
– Je crois en toi, c'est différent. Tu es un bon attrapeur.
Ses yeux devinrent brillants et il eut une grande respiration.
– Whoua. Merci ! C'est la première fois qu'on me dit ça.
– Tu n'as pas à me remercier, répondit-elle en fronçant les sourcils.
– Ça me donne de l'énergie.
– Tu en avais encore besoin ?
Mike eut un rire tonitruant qui attira l'attention des personnes autour d'eux. Proserpine en fut un peu gênée – non pas parce qu'il lui faisait honte mais parce qu'elle aurait préféré être seule avec lui.
– Je suis remonté à bloc ! enchaîna-t-il en montrant fièrement son poing. Je vais prouver à tout le monde que tu as eu raison de croire en moi !
Puis, il ajouta dans la foulée :
– J'aimerais vraiment te prendre dans mes bras, mais si je le fais, les autres vont nous regarder encore plus bizarrement.
Proserpine sentit des frissons remonter le long de ses bras, jusqu'à ses épaules. Pourtant, impassible, elle répondit :
– En effet, il vaut mieux éviter.
– Je dois y aller, le match va bientôt commencer. On se voit dès qu'il est terminé ?
– Oui.
Il lui fit un signe de main mais, à peine Proserpine s'adossait-elle au mur qu'il faisait machine arrière.
– Attends, avant de partir, je voulais te poser une question.
Elle leva les yeux vers lui sans répondre. Il avait l'air un peu gêné.
– Tu ne... tu ne te serais pas disputé avec ton père ?
Proserpine fronça les sourcils.
– Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
– Oh bah... j'ai l'impression que tu... l'évites un peu.
– Je ne l'évite pas, rectifia-t-elle sans ciller. On ne se parle pas dans les couloirs, c'est tout. Notre vie familiale ne concerne personne.
Mike posa sur elle un regard étrange – elle n'était pas certaine qu'il l'eût cru, mais il ne la remit pas en question pour autant. Proserpine ne baissa pas les yeux un seul instant.
– Très bien. À ce qu'il parait tu dis toujours la vérité, alors je te crois.
– Tu n'as aucune raison d'en douter.
– D'accord.
Il eut un léger rire et, sans se faire attendre, rejoignit les vestiaires à petites foulées, bientôt talonné par les autres membres de son équipe. Une légère bruine commença à tomber mais personne ne s'en préoccupa. Proserpine déglutit.
Elle ne mentait jamais, pourtant le faire à l'instant lui avait semblé comme une évidence. Elle ne pouvait pas en parler, pas à Mike. Pas plus parce que c'était lui et que, sans savoir quoi, il y avait quelque chose chez lui qui l'attirait sincèrement.
Lorsque l'agitation commença à se concentrer sur le match, Proserpine s'y rendit à son tour.
*
– Serpentard récupère le Souafle, dit le professeur Carthaigh d'une voix timide.
– On avait remarqué, pas la peine de le préciser.
– Brabury ! Mais arrête ça sérieusement !
Proserpine soupira. Probablement à cause de sa dispute avec son père, elle ne laissait plus le directeur de Serdaifle ouvrir la bouche sans lui lancer une pique ou une remarque acerbe. Même s'il essayait de temps en temps de dire quelque chose pour faire acte de présence, elle ne lui laissait plus aucune marge de manœuvre.
– Serpentard domine Serdaigle de dix points seulement, c'est tout-à-fait possible pour eux de rattraper leur retard, commenta Neptune. Merill a le Souafle ! Vas-y Merill bouge-toi et rapporte-nous des points !
– Miss McFly je ne suis pas sûr que ce soit rais-
– Merill est indéniablement le point fort de l'équipe, dit Proserpine pour couvrir la voix de son professeur sans s'en cacher. Mais leur gardien est mauvais aujourd'hui. En vingt-cinq minutes il a déjà laissé passé cinq buts, c'est pitoyable.
– Oui mais Colins en a aussi laissé passer quatre ! Alors arrête de la ramener ! s'énerva Neptune tandis que Carthaigh essayait tant bien que mal de la calmer.
– Je n'ai pas dit que Colins était bon.
Poussant un profond soupir, Proserpine croisa les bras. La pluie ne tombait pas très fortement mais l'humidité de l'air la mettait de mauvaise humeur.
Le match était serré, plus qu'elle ne l'aurait pensé. Les deux équipes avaient de bons, voire de très bons éléments, et d'autres qui gâchaient leurs efforts. Merlin Colins et Josh Potter, les deux mauvais gardiens du jour, tandis que Camilla Merill avait quasiment marqué tous les buts chez les Serdaigle, de même que Martha Gardner pour Serpentard. Parfois Proserpine regardait Mike voler autour du terrain, sans trouver le Vif d'Or, oubliant presque qu'il n'était pas le seul à le chercher. Elle en oubliait de commenter – en même temps, Neptune s'amusait suffisamment dans l'exercice pour le faire toute seule, d'autant plus lorsque Serdaigle rattrapait son retard en marquant dix points supplémentaires. Elle avait cette impression que le match était loin d'être terminé – sauf que Proserpine, elle ne pouvait pas tout deviner.
Alors qu'elle levait les yeux en direction de Mike, la voix de Carthaigh lui parvint de façon si lointaine qu'elle ne l'entendit pas tout de suite.
– Mesdemoiselles, il semblerait que Roberts ait attrapé le Vif d'Or.
– De quoi ? s'étonna Neptune alors qu'elle s'était levée pour applaudir le dernier but marqué par Keller pour Serdaigle.
Proserpine réagit à son tour et suivit, en même temps que toute la tribune, le regard du professeur qui se dirigeait vers la pelouse. Avec une rapidité qui avait été telle qu'absolument personne ne l'avait remarqué, l'attrapeur des Serdaigle avait récupéré le Vif d'Or. Presque surpris lui aussi, il regardait son poing avec un sourire timide. Il n'y avait pourtant pas la moindre doute, c'était bien lui qui l'avait eu, sans même que l'attrapeur de l'autre équipe s'en rendît compte.
– Ah, j'y crois pas ! Serdaigle a gagné ! Roberts a attrapé le Vif d'Or !
Proserpine en eut un le souffle coupé, juste un instant. Elle regarda autour d'elle et sentit une profonde complainte de dépit gagner la tribune juste sous elle, puis une effervescence folle gagner celle des Serdaigle, de l'autre côté du terrain. Elle secoua la tête sans même s'en rendre compte. Pourquoi Serpentard n'avait pas gagné ? Ça aurait dû être le cas, ils étaient meilleurs. Même si Proserpine s'était trompée sur ses pronostics, elle aurait dû s'en moquer. Pourquoi était-elle si perturbée ? Quelle différence entre ce match et n'importe quel autre ? La victoire de Serdaigle l'indifférait, comme celle de Serpentard.
Puis elle le vit, Mike, resté haut dans le ciel sur son balais, très loin du Vif d'Or qu'il n'avait même pas vu. Il se frottait les yeux avec fureur et tout sourire sur son visage avait disparu. Elle le vit et elle comprit : la défaite de Serpentard ne l'indifférait pas, lui. Et là était toute la différence.
– Serpentard a perdu, dit Carthaigh avec une neutralité qui fut pour Proserpine absolument insupportable. Ils sont éliminés du tournoi.
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Chapitre 6 ←
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