mercredi 6 mai 2020

“The End of our World” ♦ Chapitre 3


 Proserpine se brossait les cheveux en se regardant dans le miroir de Romeo. Ce jour-là, une sortie à Pré-Au-Lard était organisée et ils avaient prévu de se rendre dans la cour tous les deux. Romeo était assis sur son lit où il avait formé un puits pour y mettre tous les dragées de Bertie Crochue qu'il avait sur lui. Il essayait de les déplacer jusque dans le creux de sa main avec sa baguette et, à chaque fois qu'il réussissait, disait en même temps :

 – Télékinésie !

 Cela semblait le faire rire, mais Proserpine l'écoutait à peine. Elle ne le considérait pas vraiment comme son ami mais, parfois, ils passaient un peu de temps ensemble. Comme aujourd'hui. Ils se sépareraient à la seconde où Romeo rejoindrait Sandy pour se balader avec lui, aussi ils restaient là quelques minutes avant d'y aller. Les garçons de septième année qui passaient par là leur jetaient des regards surpris : des filles dans les dortoirs des garçons, et surtout des filles comme Proserpine, ce n'était pas très courant.

 – C'est peut-être l'heure d'y aller, dit Romeo sans avoir l'air pressé pour autant.
 – Probablement.

 Proserpine se mit les cheveux derrières les oreilles. Ils n'atteignaient même pas ses épaules mais elle les aimait bien : ils étaient jolis, lisses et brillants, comme ceux de sa mère. Elle prenait un soin tout particulier à s'en occuper – et si elle n'aimait pas qu'on la touchât, l'idée qu'on pût lui caresser les cheveux lui était véritablement insupportable. Heureusement, compte tenu son caractère, ce genre de choses ne risquait pas d'arriver. Même Romeo ne le faisait pas.
 Celui-ci se leva d'un bond, lui prit le miroir des mains et le rangea dans ses affaires. Proserpine remit correctement sa cape sur les épaules et Romeo l'imita en faisant un bruit de vent.

 – Tu prends ton masque ? demanda-t-elle, sans être vraiment intéressée par la réponse.
 – Non, pas aujourd'hui, répondit-il en souriant.

 Ils descendirent les marches qui donnaient sur la salle commune avant de se rendre dans la cour. Les couloirs étaient relativement peu remplis et Proserpine ne prononça pas un mot tout le long du chemin. Romeo semblait également plus calme que d'habitude.
 Sandy demanda à son meilleur ami de le rejoindre d'un signe de main et Proserpine oublia de répondre à son « À plus tard ! ». Depuis que Gryffondor avait gagné le match, plus aucun membre de l'équipe ne pouvait passer à côté d'elle sans lui lancer un regard mauvais ou une remarque blessante. Peut-être était-ce une vengeance pour l'année précédente où Gryffondor avait lamentablement perdu en finale, suite à un très mauvais match auquel Proserpine avait évidemment assisté et commenté avec sa franchise habituelle. Elle s'en fichait d'être la cible de leur égo mal placé mais, lorsqu'ils étaient en groupe, il devenait difficile de s'approcher d'eux, même par défaut. D'autant plus que, ne faisant aucun cadeau aux autres équipes, d'autres joueurs lui témoignaient également une certaine affliction avec plus ou moins de subtilité.
 Proserpine se mit à part, s'adossant à un muret en attendant l'arrivée du professeur accompagnateur. Elle n'avait rien de particulier à faire au Pré-Au-Lard mais elle envisageait de s'acheter quelques livres avec l'argent que lui donnait son père – il ne lui donnait jamais directement mais lui faisait parvenir une petite quantité de gallions par le hiboux familial tous les mois. Le temps qu'ils passaient ensemble se réduisait comme peau de chagrin, et ils ne discutaient jamais plus de cinq minutes. Si ça devait durer plus longtemps, cela signifiait que Ruber souhaitait aborder un sujet qui finissait forcément par énerver Proserpine.
 Aujourd'hui le professeur accompagnateur était Carthaigh, le professeur de botanique et directeur de Serdaigle : Proserpine ne l'aimait pas du tout. Elle aurait pu critiquer son manque total d'autorité, sa voix toute faible qui ne portait pas au-delà d'un mètre, sa posture complètement renfermée, ou même tous les passe-droits qu'il accordait à cette élève insupportable de sixième année, Amethyste Rosenbach, et ce sans aucune raison. Elle aurait pu dire qu'il ne méritait pas son poste de directeur car il était loin d'avoir les épaules pour. Mais, si elle était parfaitement honnête avec elle-même, elle admettrait que, par dessus tout, elle détestait le lien qu'il entretenait avec son père, lui qui le considérait comme s'il était le sien.
 Proserpine avait observé la même chose avec l'assistant de Mademoiselle Euphrasie, l'infirmière de l'école. Ils avaient tous les deux cette admiration mêlée d'adoration quand ils parlaient à son père : ils cherchaient toujours sa reconnaissance et vivaient dans la crainte constante de le décevoir. Proserpine détestait le fait qu'il se comportait plus comme un père avec eux – en leur donnant des conseils, en leur montrant quoi faire, en leur disant ce qui était bien ou mal – qu'avec elle. Pourtant elle ne l'avait jamais admis – elle n'aurait jamais accepté d'éprouver une telle jalousie infantile envers des adultes. Elle préférait se dire qu'elle les détestait car ils étaient tous deux des incompétents, ce qui était parfaitement vrai, et que son père n'avait vraiment pas de temps à perdre pour constamment le gâcher avec eux.

 – Excusez-moi... Miss Bradbury, hésita le professeur Carthaigh en posant sur elle un regard mal assuré.

 Certainement car elle était la fille de l'homme qu'il admirait tant, il était toujours embarrassé de lui adresser la parole. Il lui fit un signe qui supposait qu'elle devait rejoindre le groupe qui partait mais, avant qu'elle pût se redresser, Ruber vint se placer près d'elle.

 – Attends Caesius, je dois parler à Proserpine.

 Elle ne l'avait pas vu arriver mais ne s'en formalisa pas. Carthaigh s'en excusa plusieurs fois, comme s'il avait fait quelque chose de mal, ce qui fit soupirer le père de Proserpine.

 – Je te l'amènerai après, accompagne les autres.
 – D'accord, pardon. J'ai compris, j'y vais.

 Il partit à moitié à reculons et Proserpine s'adossa de nouveau au mur, les mains dans le dos et regardant ses pieds. Non pas que la présence de son père l'intimidât d'une quelconque façon, mais elle n'était pas très emballée à l'idée de lui parler. Il était très rare qu'il vînt ainsi la chercher pour lui dire quelque chose.

 – Proserpine, tonna-t-il pour qu'elle levât les yeux vers lui.

 Elle obtempéra calmement, impassible. Il fronçait les sourcils, comme souvent, et avait deux imposantes cernes sous les yeux. Même s'il avait l'air fatigué en permanence, ce jour-là, c'était particulièrement visible.
 Un instant passa où ils se regardèrent simplement. Proserpine le devina en train de chercher ses mots. Il finit par prendre quelque chose dans la poche intérieur de sa veste – il s'agissait d'un petit parchemin qu'il lui agita sous le nez, visiblement mécontent.

 – L'Érudit vous a fait écrire vos vœux pendant son cours d'histoire de la magie. Tu as écrit que tu voulais devenir Auror.

 Elle haussa les épaules.

 – Et alors ?
 – Pourquoi tu ne me l'avais pas dit ? Depuis quand tu sais que tu veux devenir Auror ?
 – Depuis un an à peu près.

 Proserpine, qui savait lire sur le visage de son père, y découvrit une certaine surprise accompagnée d'agacement. L'Érudit avait déjà posé cette question l'année précédente, dans la perspective de passer les BUSES en fin d'année, mais elle n'avait rien écrit. Elle savait parfaitement que son père le lirait et n'avait pas souhaité le mettre au courant. À l'époque.

 – Tu aurais dû me le dire.
 – Pourquoi ?
 – J'aurais pu te conseiller pour tes examens.
 – Je n'en ai pas eu besoin, je les ai très bien réussis.

 Il eut un mouvement de recul, signe qu'il comprenait enfin que si elle travaillait autant c'était bien pour atteindre cet objectif ambitieux. Il l'avait à peine félicitée pour ses résultats – elle ne s'était pas attendu à ce qu'il le fît, mais elle l'avait espéré, quelque part. Même en sachant qu'il ne faisait pas parce qu'il était pudique.

 – Si tu tenais tant à le savoir, tu aurais dû me poser la question.
 – Je te laissais le temps de te décider. Je ne voulais pas te mettre de pression.
 – Et bien, tu as réussi.

 Elle était tellement en colère contre lui, au fond. Aucune bonne intention de sa part n'était jamais véritablement louable.

 – Je dois rejoindre les autres.
 – Tu iras plus tard, on doit encore discuter.
 – Et pour dire quoi ? s'agaça-t-elle en fronçant les sourcils. Je ne voulais pas te le dire, mais maintenant tu le sais. Fin de la discussion.
 – Proserpine parle-moi correctement.
 – Laisse-moi tranquille, siffla-t-elle en passant dans son dos.
 – Proserpine reviens ! Je ne t'ai pas autorisée à partir !

 Elle le fit malgré tout –parce qu'elle savait très bien qu'il ne la suivrait pas. Il la laissait partir car, depuis le début, il ne l'avait jamais retenue.
 Cette fois encore elle s'en alla, et au pas de course, pour rattraper les autres. Cette fois encore il la regarda partir sans rien faire.
 Il était trop tard. Proserpine était grande, maintenant. Elle avait bien grandi depuis cette journée d'été.

*

 L'après-midi fut un peu longue. Proserpine ne pouvait s'empêcher de ruminer, repassant en boucle sa courte dispute avec son père – elles n'étaient jamais bien longues, tant le dialogue était mort entre eux. Elle voyait bien qu'il faisait des efforts pour se rapprocher d'elle, même s'ils étaient infimes, ils étaient là quelque part ; mais pour elle, ça ne signifiait rien. Il n'avait pas été là au moment où elle en avait eu le plus besoin, il n'avait pas été là pour la soutenir. C'était elle qui avait dû s'occuper de lui pendant les mois où il ne se levait plus et ne mangeait presque pas. Comment continuer à être son père après ça ? Il ne s'était pas comporté comme tel au moment où ça importait le plus.
 Il avait fait de Proserpine quelqu'un d'autonome : une personne mature qui pouvait régler ses problèmes toute seule et qui se débrouillait parfaitement bien au quotidien, y compris pour les examens ou le choix de carrière. Il ne pouvait pas espérer contrôler sa vie à nouveau, comme si de rien n'était.
 Perdue dans les allées de Fleury & Bott, Proserpine ne savait même pas ce qu'elle cherchait exactement. Tous les livres dont elle pourrait avoir besoin se trouvaient à la bibliothèque, et il était peut-être idiot de dépenser de l'argent pour des livres. Elle pourrait toujours acheter des romans mais Proserpine n'aimait pas les romances niaises qui sortaient à foison en ce moment et qui occupaient le plus les étagères.
 Au fond d'une allée, elle trouva une rangée de livres sur le sport. Le Quidditch principalement mais également des livres d'explication sur les sports moldus en grand nombre. Proserpine voulut en prendre un sur les jeux de raquette mais fit tomber un autre ouvrage sans faire exprès. Elle le ramassa, curieuse : le livre était carré et plutôt fin, comme un album. La couverture beige et rouge était jolie, représentant un terrain de Quidditch, et dans des lettres bien calligraphiées le titre était inscrit en relief : Quidditch – Exercices et entraînement. Proserpine le feuilleta avec nonchalance, lisant sans réellement lire ce qui était écrit. Il y avait surtout des images pour expliquer des exercices à faire pour s'échauffer, sur le sol et dans les airs. Puis, selon les postes, il y avait des conseils spécifiques.

 – Tu t'intéresses au Quidditch, toi ? Enfin, depuis le temps 'faut dire. Tu comptes enfin apprendre les règles ?

 Proserpine se tourna vers Julie McFly, indifférente à sa remarque, puis remit le nez dans le livre qu'elle lisait. Elle ne comptait pas perdre son temps à lui dire quoi que ce soit.

 – Trop prétentieuse pour répondre, c'est ça ? J'ai compris.

 Julie remit sa queue de cheval derrière son épaule en soupirant. Proserpine l'observa un instant et, juste en voyant la tranche, reconnut les ouvrages qu'elle avait sous le bras.

 – Ce n'est pas avec ça tu passeras tes ASPICS, tu sais.

 Piquée au vif, la jeune joueuse de Quidditch donna un coup de menton sur le côté.

 – De quoi tu parles ?
 – Les livres que tu as pris.C'est la collection des fiches de lectures pour passer ses ASPICS.
 – Ah... he bien...balbutia-t-elle, un peu gênée. Tu as l'air de bien t'y connaître !
 – Tout le monde sait ça. Mais moi je n'en ai pas besoin pour réussir aux examens.
 – Arrête un peu de te la péter !

 Puis, Julie fit quelques pas dans sa direction, baissant un peu la voix.

 – T'es pas si bonne que ça !
 – Je n'ai presque eu que des O aux BUSES, dit-elle sans sortir le nez de son livre. Et trois Efforts Exceptionnels.

 Le corps de Julie se figea – apparemment, elle l'ignorait sincèrement. Proserpine ne voyait pas en quoi cela pouvait l'intéresser, ni en quoi cela la regardait, mais elle n'avait aucune raison de cacher ses résultats. Elle continua à lire les exercices proposés pour entraîner les attrapeurs mais Julie, pas encore décidée à partir, se rapprocha de nouveau.

 – Tu les as vraiment jamais utilisés ces livres ? demanda-t-elle en les lui tendant.

 La couverture bleue des deux volumes qu'elle avait pris attirèrent son regard. Un pour les potions et l'autre pour la métamorphose.
 Sur le ton de la confidence, Julie ajouta, agacée :

 – J'ai pas assez d'argent pour m'en prendre plus de deux.
 – Non je ne les ai jamais utilisés.
 – Bah comment tu sais qu'ils sont nuls, alors ?
 – Ce n'est pas difficile à deviner.

 Julie la regardait avec une moue énervée. Probablement n'oubliait-elle pas l'aversion qu'elle ressentait pour elle mais se sentait tout de même obligée de l'écouter, compte tenu ses bons résultats. Proserpine soupira, son livre toujours ouvert à la même page.

 – Ils ne tiennent pas compte des professeurs actuels et de leur programme. Sur toutes les choses que l'on doit apprendre, il ne doit n'y avoir qu'une petite moitié représentée. Et même avec ça, sans pratique, leurs conseils sont inutiles.
 – Mais ils mettent des conseils pratiques dedans, je l'ai vu.
 – Encore faut-il savoir les appliquer.

 Julie se redressa comme un pic, un peu vexée. Proserpine ne savait pas si elle se débrouillait en cours, mais ce n'était probablement pas le cas. Elle se décida à se mettre complètement face à elle et la regarda droit dans les yeux.

 – Les manuels de l'école sont suffisants pour la théorie. Pour avoir une bonne pratique, il faut s'entraîner, pas l'étudier.
 – Qu'est-ce que ça veut dire,ça ? soupira-t-elle.
 – Ça veut dire que tu ferais mieux de garder ton argent.

 Proserpine, qui s'était décidée à acheter son livre d'exercices pour les joueurs de Quidditch, la dépassa pour accéder à la caisse. Julie la suivit.

 – Et comment je fais, moi ?
 – Je ne sais pas.
 – Je ne pourrai pas jouer au Quidditch toute ma vie ! Il me faut une solution de secours. J'ai besoin de réussir mes examens.
 – Dans ce cas, travaille.
 – Attends, Bradbury !

 Julie McFly se mit face à elle, l'empêchant de faire un pas supplémentaire. Elle la dépassait de quelques centimètres, ce qui était plutôt rare, et elle avait un visage d'adulte, aux traits un peu durs, qui contrastait beaucoup avec son comportement d'adolescente immature.

 – Tu voudrais pas m'aider ?

 Proserpine dissimula au mieux sa surprise et fronça les sourcils.

 – À faire quoi ?
 – Bah à travailler.

 Elle eut un léger soupire.

 – Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
 – Allez, quoi ! C'est vrai que j'ai pas été très sympa avec toi. Mais c'est Sandy aussi, c'est lui qui en après toi.
 – Je doute qu'il s'agisse seulement de lui, répondit-elle simplement. Je n'aurai pas le temps, désolée.
 – Mais allez ! Sois cool.
 – Trouve quelqu'un d'autre.
 – Mais je peux pas demander à quelqu'un d'autre !
 – Et pourquoi ? soupira-t-elle, définitivement agacée.

 Julie sembla hésiter puis, finalement, croisa les bras sur son écharpe imposante.

 – Les autres ils m'aideront pas.

 À la façon dont elle l'avait dit, Proserpine comprit qu'elle ne mentait pas, et qu'elle n'exagérait pas non plus. Elle ignorait ce qui lui faisait affirmer que ses propres amis ne lui viendraient pas en aide, surtout qu'elle avait entendu dire que certains membres de l'équipe avaient de bons résultats, voir de très bons dans le cas de Sandy.
 Bien qu'elle n'eût absolument pas envie de répondre positivement, Proserpine leva les yeux vers elle et lui dit laconiquement :

 – Très bien. C'est d'accord.
 – C'est vrai ? s'enthousiasma sincèrement Julie. C'est super !

 Elle reposa les livres sur une table quelconque et lui fit un grand sourire, comme elle ne lui avait jamais fait.

 – Et promis, ajouta-t-elle enlevant les mains pour prouver son innocence. La prochaine fois que Sandy me le demande, je t'enverrai pas de Cognard. C'était pas cool.
 – Peu m'importe, dit-elle. Je dois aller payer maintenant.
 – Oui, OK, je te laisse.

 Puis, alors que Proserpine disparaissait derrière une autre allée, elle cria presque :

 – Et encore merci !


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