Proserpine avait faim. Elle n'avait rien mangé depuis vingt-quatre heures.
L'été commençait à se faire sentir. Aujourd'hui, c'était le premier juillet. Son année scolaire était officiellement terminée ; elle avait onze ans. Elle en aurait douze dans trois jours. Proserpine n'avait pas assisté aux dernières semaines de cours. Après que son père lui eut annoncé le décès de sa mère à l'école, ils étaient rentrés tous les deux. Tous les jours un hiboux venait lui apporter du courrier de l'école : de la part d'Avril principalement, mais aussi de Romeo. Mais il y avait également des lettres pour son père, de la part d'autres professeurs, lettres qu'il ne lisait pas plus qu'elle lisait les siennes.
Il était dix heures du matin mais elle aurait pu manger un bœuf tout entier. Affalée sur son lit, elle ne s'était même pas changé pour dormir. N'y tenant plus, elle sortit de sa chambre et traversa le salon d'un pas pressé. La chambre de son père était la première pièce à côté de la cuisine, tout juste séparée par un couloir. Ça ne devait pas être si difficile pour lui de se lever et de faire à manger, non ? Proserpine frappa timidement à sa porte.
– Papa ?
Il ne répondit pas, mais elle savait bien qu'il était là.
– Papa ! Papa j'ai faim. Pourquoi tu viens pas faire à manger ? J'en ai marre de téléphoner pour commander du chinois. J'aime pas la nourriture chinoise.
Proserpine soupira et se mordit la lèvre pour ne pas pleurer, comme si le fait de commander à manger une fois encore lui était insupportable. Énervée, elle donna un coup de pied dans la porte et retourna dans la cuisine. Elle ne savait pas cuisiner du tout, sa mère ne lui avait pas appris et Proserpine ne l'avait jamais vu faire. C'était stupide : pourquoi ne pas en avoir profité pendant qu'elle était encore là ? Elle aurait pu la regarder, lui poser des questions, lui demander des conseils. Elle aurait pu en profiter simplement pour passer du temps avec elle.
C'était incroyable le nombre de choses insignifiantes qui lui revenaient en mémoire, maintenant que sa mère n'était plus là. La cuisine, au début, elle n'y avait même pas pensé. C'était surtout sa présence, sa gentillesse, sa mauvaise humeur aussi. Puis ses cheveux qui sentaient le shampoing, ses vêtements toujours noirs. Le fait qu'elle lui rapportait toujours un cadeau quand elle faisait des courses. La dernière fois qu'elle l'avait vue, c'était pendant les vacances de Noël. Elle lui avait offert un joli pull que Proserpine n'avait pas quitté depuis son retour, même pas pour le laver.
Elle réfléchit sur ce qu'elle pourrait bien faire. Elle était grande mais pas au point d'atteindre les étagères du haut où il y avait les assiettes, mais dans les tiroirs du bas il y avait les casseroles et les poêles. Utiliser la magie aurait pu tout arranger mais c'était interdit en dehors de l'école – puis, de toute façon, son frigo était vide. Un soupire lui échappa. Elle savait que sa mère gardait des bocaux de haricots en haut de l'étagère.
Proserpine tira une chaise et la colla au comptoir. Mais, encore trop basse, seuls le bout de son doigt toucha le bocal qui était loin au fond. Elle se mit sur la pointe des pieds et étira ses bras mais, alors qu'elle avait enfin réussi à le prendre, elle perdit son équilibre et la chaise tomba en arrière. Proserpine ouvrit un tiroir en essayant de s'y retenir et chuta sur le sol, s'ouvrant le coude sur le bord du comptoir. Le bocal se fracassa par terre en mille morceaux et les haricots s'éparpillèrent tout autour d'elle. Tombée sur les fesses, une violente douleur envahit son coccyx et son dos. Elle prit un moment à réaliser ce qui s'était passé. Du sang coulait le long de son avant-bras et la blessure dans son coude lui laissait une impression piquante de brûlure.
Proserpine regarda autour d'elle : la chaise renversée, les haricots par terre –peut-être devenus immangeables, ses propres bras ballants et douloureux.
– Papa ! hurla-t-elle.
Elle l'appela encore une fois et des sanglots envahirent sa bouche. Ses membres commencèrent à trembler et Proserpine prit ses jambes dans ses bras.
– Papa ! Papa, viens !
Des pleurs dévalèrent ses joues blanches et abîmées. Incapable de les arrêter, Proserpine hurla encore.
– Papa ! Pourquoi est-ce que tu viens pas m'aider ?!
Son cri avait résonné dans toute la maison, il ne fut même pas étouffé par ses sanglots devenus incontrôlables. C'était la première fois qu'elle pleurait depuis ce jour-là, à Poudlard. La première fois qu'elle se sentait aussi seule en sachant que quelqu'un était juste à côté.
– Papa...
Mais elle ne réussit plus à parler. Elle ne réussit pas à lui demander encore pourquoi il ne venait pas alors qu'elle avait besoin de lui. Elle continua à pleurer, assise au milieu des débris de verres, pendant des heures, sans s'arrêter.
Puis, dans l'après-midi, Proserpine se leva, passa le balais et commanda à manger – elle apporta une assiette dans la chambre de son père, comme à chaque fois. Elle se promit alors, pour le lendemain, d'apprendre à cuisiner. S'il ne pouvait pas le faire, elle le ferait à sa place.
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