Liselotte n'avait presque pas dormi.
La nuit avait été bien trop courte pour le lui permettre. Assise à l'une des grandes tables du rez-de-chaussée, là où tout le monde pouvait manger ensemble, Liselotte lisait distraitement le numéro de la Gazette des sorciers du jour. Elle s'y vit, dans une des pages à l'intérieure, posant fièrement à côté d'un fan. Elle lançait de petits clins d'œil et repoussait sa longue chevelure brillante derrière son épaule toutes les dix secondes. Liselotte n'avait pourtant pas l'impression de ressembler à ça, encore moins ce matin-là avec la fatigue encadrant lourdement ses iris brunes. Sa nature de demi-vélane lui permettait bien souvent de n'avoir pas à faire attention à son physique, mais elle se demandait si ça ne rendait pas l'appareil photo un peu aigri, à ainsi la montrer en train de poser comme une mannequin prétentieuse. Puis dans cet article, elle paissait presque pour une starlette de vingt ans ! Le rédacteur avait même comparé le moment où elle avait demandé une nouvelle plume à un « caprice ». Ce n'était quand même pas de sa faute si cet idiot de libraire lui avait donné une plume qui faisait des fautes dans tous les prénoms qu'elle écrivait.
Liselotte soupira et, après avoir replié le journal, vit une tasse de café se poser devant elle.
– Je ne savais pas ce que vous preniez, dit Ruber d'une voix plus éveillée que ne l'était son visage. Mais vous aviez parlé d'un café, hier.
– Je vous remercie, c'est très aimable à vous.
Il s'assit sur une chaise à sa gauche, tous deux en bout de table. À cette heure si matinale, il n'y avait presque personne dans la pièce, à l'exception d'une serveuse aux jambes maladroites. S'il n'y avait dans le bâtiment que des étudiants et quelques professeurs, ce n'était pas très étonnant. Finalement, l'idée de Ludwig n'avait pas été si mauvaise. Elle aurait moins de chance de croiser du monde à une heure si matinale, surtout des adolescents en voyage.
– Ils parlent du tournoi dans la Gazette du Sorcier ?
– Oh, euh. Oui, répondit-elle, gênée, en poussant un peu la gazette.
Elle préférait encore qu'il ne tombât pas sur la photo. Peut-être que jusqu'à maintenant, il était passé à côté de cette information, mais elle doutât qu'il ne vît rien alors qu'elle était juste en face de lui.
– Je n'étais pas favorable à l'idée d'y emmener les élèves.
– Vraiment ? Pourquoi cela ?
– C'était une idée du directeur. Il a souvent des idées compliquées, comme ça. Et après il demande aux autres de s'en occuper.
– Oui je comprends très bien, s'amusa Liselotte en goûtant au café. Il vous a désigné comme professeur accompagnateur ?
– Je suis le vice-directeur, et aussi directeur de Gryffondor, je suis obligé de suivre ce qu'il décide.
– C'est vous le vice-directeur de Poudlard ? Je l'ignorais !
Ruber lui jeta un regard étrange, elle comprit après coup qu'il avait esquissé un sourire.
– Vous semblez surprise.
– Oui c'est parce que-
Je dois le rencontrer.
Liselotte se pinça l'intérieur de la joue.
– Quel âge avez-vous ?
Cette question la prit de court.
– La petite trentaine passée, répondit-elle, un peu gênée de révéler son âge.
– Ah, ainsi nous n'avons pas pu nous rencontrer à Poudlard, c'est pour cela que vous ignorez qui je suis.
Liselotte ne pouvait pas croire que, lui aussi, dans une certaine mesure, était connu également. Ludwig n'avait pas arrêté de lui vanter la renommé de la plus grande école de magie de Grande Bretagne, mais elle en prenait enfin toute la dimension.
– Je ne suis pas allée à Poudlard, précisa-t-elle seulement. J'étais à Beauxbâtons.
– Je l'apprends, dit-il.
– Mon école est-elle connue en Angleterre également ?
– Bien sûr.
La façon dont il avait dit cela la fit rougir, aussi se cacha-t-elle en buvant une autre gorgée de café. Passa un moment sans qu'elle n'osât plus rien dire.
– Dans quoi travaillez-vous ?
Bizarrement, l'idée de dire simplement la vérité ne lui traversa pas l'esprit. Il aurait fallu lui expliquer, lui montrer l'article et lui dire qu'il ne montrait qu'une infime partie de ce qu'elle était réellement.
– Dans l'édition.
– Je vois.
– Votre fille est-elle ici avec vous ? demanda-t-elle, espérant changer de sujet.
– Oui évidemment.
Une soudaine froideur s'était installée dans sa voix, jusqu'ici très calme. Sa mâchoire se contracta et Liselotte hésita – il s'agissait peut-être là d'un sujet trop sensible pour être évoqué au petit matin.
– Est-ce que tous les élèves participent au tournoi ?
– Tous ceux présents, ainsi que les professeurs.
– Vous allez y participer vous aussi ? s'amusa-t-elle, oubliant cette petite gêne venue s'installer précédemment.
– Malheureusement, je suis plus ou moins obligé.
– Je vous plains ! Moi non plus, ce tournoi ne m'intéresse pas, avoua-t-elle pour la première fois à quelqu'un d'autre que son agent. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde semble si emballé !
Dans son regard passa une lueur nouvelle.
– Moi non plus je ne comprends pas.
Liselotte aimait discuter avec lui – il l'apaisait, il taisait sa solitude pour un temps. Elle aurait voulu penser que Ruber aimait également discuter avec elle, mais ne pouvait en être certaine.
– Je vais devoir vous laisser, je vais aller réveiller les élèves de ma maison.
– D'accord, sourit-elle avec douceur. Je suis contente d'avoir pu discuter avec vous.
– Moi aussi.
Sa réponse surprit grandement Liselotte qui n'aurait jamais cru qu'il pût lui dire cela.
– Ça change, de discuter avec quelqu'un qui ne travaille pas avec moi, ajouta-t-il naturellement.
Elle sourit.
– Oui, pour moi aussi, ça change.
Liselotte prit de nouveau un café avec le professeur Bradbury le lendemain, et le surlendemain, et le jour d'après. Elle appréciait ces quelques instants où ils pouvaient prendre le temps de discuter, de tout et de rien – parfois même ils ne se parlaient pas, sans que devînt problématique. Liselotte avait vite comprit que Ruber était un homme silencieux, qui ne parlait pas beaucoup de lui – et certainement pas de sa famille. Elle avait également remarqué que beaucoup de personnes autour de lui semblaient intimidé par sa présence, comme s'ils étaient écrasé par sa prestance. Si bien que lorsqu'on venait le déranger pendant leur petite discussion, beaucoup ne remarquaient même pas Liselotte, comme liquéfiés sur place par le regard du professeur. La jeune chanteuse n'avait, elle, jamais ressenti cela devant lui, mais peut-être était-ce dû au fait qu'ils ne travaillaient pas ensemble. Elle ignorait quelle pouvait bien être sa vie, mais elle la supposa très remplie et pleine de contraintes. Chaque jour, il lui racontait un nouveau problème. L'élève qui avait fait un malaise pendant son premier duel, celui qui avait ensorcelé les bottes de son camarades pour qu'elles ne cessassent jamais de danser, le dernier qui était tombé malade car il ne se nourrissait plus que de dragées depuis trois jours.
– Vous êtes un peur leur père à tous, avait-elle dit.
– Les professeurs le sont tous pour leurs élèves.
Mais pendant tout ce temps, elle n'avait jamais croisé sa fille elle devait se mêler aux autres élèves avec une grande discrétion pour que même, par hasard, elle ne l'eût jamais vue. La seule description que Ruber n'en eût jamais fait était :
– Elle est incroyable.
Mais, bizarrement, de sa bouche cela ne ressemblait pas à un compliment. Plutôt à une malédiction, comme s'il ne s'en sentait pas à la hauteur, qu'il était obligé d'admettre cela d'elle alors que lui ne l'était pas, incroyable. Liselotte aurait aimé en savoir plus mais elle comprenait bien que ce sujet-là était sensible. Elle ne souhaitait pas l'embarrasser ou, pire, le fâcher.
Liselotte elle-même avait révélé quelques informations sur sa vie. Elle avait décrit son quotidien, dans la ville de Lyon en France, à l'époque où elle y vivait encore. Elle avait révélé aimer chanter, mais ne plus le faire depuis qu'elle était ici. Elle avait aussi dit ne pas aimer son travail et espérer bientôt en changer.
Ruber lui donnait cette impression de pouvoir lire en elle avec une facilité étourdissante. Il faisait partie de ces quelques personnes – comprenant Ludwig, par ailleurs – à ne pas être influencé par son charme de demi-vélane. Quand elle lui avait dit en être une, il avait seulement répondu :
– Je sais.
C'était un homme très intelligent, de toute évidence, très doué en magie également. Elle ne pouvait pas croire que quelqu'un d'aussi brillant n'enseignât que l'étude des runes – à Beauxbâtons, cette matière n'existait même pas.
– Les élèves de Gryffondor qui ne prennent pas étude des runes ne savent pas toujours que je suis le directeur de leur maison, avait-il révélé également.
C'était quelque chose de bien cocasse, mais dit par Ruber, tout prenait une proportion terrible. Son sérieux avait quelque chose de déstabilisant parfois, mais ce n'était pas cela qui troublait le plus Liselotte.
Elle s'était entichée de cet homme si rapidement qu'il lui sembla improbable de revenir en arrière. Elle aimait cette façon qu'il avait de la regarder – d'une manière tout-à-fait égale de quand il regardait d'autres personnes, d'une manière qui ne changeait pas simplement parce qu'il posait les yeux sur une demi-vélane. Elle aimait son visage marqué par les années, elle aimait le fait que malgré les cernes qui témoignaient d'une réelle fatigue il se levait toujours tôt le matin pour passer quelques minutes avec elle. Elle aimait le fait qu'il parût sévère, voir inquiétant, alors qu'il était toujours si attentif aux gens autour de lui. Il le fallait, pour s'investir autant auprès d'enfants et de jeunes adultes dont il se plaignait des bêtises chaque jour.
Elle se trompait peut-être sur lui – mais elle était certaine que ce n'était pas le cas.
Le matin du cinquième jour, Ruber fut légèrement plus expéditif que d'habitude.
– Encore un conflit avec un élève de septième année, dit-il. Mais avec un adulte cette fois. Il a fallu qu'il soit majeur, évidemment.
Son soupir fendit le cœur de Liselotte. Il paraissait épuisé, accablé par la fatigue même.
– Que s'est-il passé ? demanda-t-elle malgré le fait qu'il ne se fût pas assis comme il le faisait pourtant d'habitude.
– Un élève de Gryffondor est allé provoquer l'homme contre qui il avait perdu au Chaudron Baveur, mais ça n'a pas fait rire le concerné. Il n'a pas supporté sa défaite, il faut dire qu'il était arrivé loin.
– La finale va bientôt avoir lieu, n'est-ce pas ?
– Dans deux jours, souffla-t-il, visiblement soulagé à l'idée de pouvoir repartir après cela. Je ne sais pas comment il a pu échapper à ma vigilance et sortir cette nuit... il a été arrêté, je dois aller régler ça.
– C'est terrible, murmura Liselotte.
– Je suis désolé, je ne peux pas rester. Je préfère m'y rendre tout de suite.
– C'est normal, dit-elle, bien que fortement déçue. Je vous dis à demain.
Ruber resta immobile un instant, comme hésitant sur quoi faire, puis se dirigea finalement vers la porte de l'auberge. Liselotte croisa les jambes et, en souriant, se dit qu'il aurait au moins pu lui apporter un café.
Ludwig vint la voir dans l'après-midi, entrant dans sa chambre sans même frapper ou s'annoncer. Qu'il n'eût pas pris la peine d'enlever la neige de son chapeau lui fit penser qu'il avait une grande nouvelle à lui annoncer.
– Les ventes ont décollé, comme une flèche ! s'enthousiasma-t-il en enlevant ses gants. Je t'avais dit que profiter du tournoi de duels pour venir à Londres était une idée géniale.
– Je veux bien te croire, dit-elle sans grand entrain en enlevant elle-même du bout de sa baguette les traces de boue que ses chaussures avaient laissé derrière lui.
– Mais ce n'est pas la seule chose que je suis venu te dire. Tiens, regarde !
Il envoya sur sa table basse le dernier numéro de la Gazette du Sorcier. Elle l'avait lu le matin-même.
– Oui, et alors ? J'aurais raté un article sur moi ?
– Mais arrête de ne penser qu'à toi, sale petite égocentrique, tu as lu la Une au moins ?
Liselotte le prit, un peu honteuse – elle qui passait des heures à lire les journaux pour vérifier qu'on ne disait rien de méchant sur elle en oubliait presque de lire les véritables informations.
– Une rencontre au sommet, commença-t-elle à lire, entre les deux principaux aspirants au poste de Ministre de la Magie. Les frères Bumblebee en demi finale du tournoi de duels.
Liselotte soutenait officiellement le Ministre actuel qui prônait l'ouverture du monde magique aux moldus. Compte tenu ses positions favorables concernant l'acceptation des créatures magiques – les moldus étant également vus comme des créatures par beaucoup de sorciers – son agent ne lui avait pas laissé le choix. À gauche de la photo, un homme grand et mince au regard sévère et aux cheveux noirs, à droite un homme plus petit aux cheveux clairs et à l'œil vif.
– Tu comprends ce que ça veut dire ?
– Pas vraiment, répondit-elle, n'aimant pas les devinettes de Ludwig.
– Le directeur de Poudlard est à Londres ! C'est lui, là, dit-il en désignant l'homme aux cheveux clairs qui serrait fermement la main de son frère. Sa participation a surpris tout le monde le premier jour du tournoi.
Liselotte n'y accordait aucune importance.
– Et alors ?
– Plus la peine de rencontrer le vice-directeur de Poudlard. Tu as le vrai directeur, maintenant !
Son corps se raidit. Le vrai directeur, vraiment ? Celui qui ne s'amusait qu'à participer à un tournoi idiot et à poser dans la presse pour gagner des voix plutôt que de s'occuper de son école ? Celui qui laissait son vice-directeur ne pas dormir pendant des jours pour gérer tous ses élèves ?
– Et alors ? s'agaça-t-elle. C'est l'opposant direct du candidat que je soutiens, je te rappelle. Que vont penser mes lecteurs ?
– Non, l'opposant direct de Candidus Bumblebee c'est Alter Bumblebee. Il hait les créatures magiques je te rappelle ! Et si tu dois rencontrer Heatus, ce sera uniquement en sa qualité de directeur de Poudlard de toute façon. S'il-te-plaît, Liselotte, ne rends pas les choses plus compliquées qu'elles le sont déjà...
Puis, voyant qu'elle n'en démordait pas, il ajouta :
– Je te rappelle que c'est grâce à lui que les créatures sont acceptées à Poudlard ! Tu pourrais le rencontrer pour le féliciter de cette initiative qui a permis à de très nombreux élèves d'obtenir leur diplôme et de travailler normalement après ça...
Elle devait admettre qu'il avait raison. Certains de ses jeunes lecteurs, encore à l'école, lui en avaient d'ailleurs parlé. Elle se souvenait de cette jeune fille demi-harpie qui lui avait partagé son bonheur d'avoir été acceptée à Poufsouffle. Même si Liselotte ne connaissait pas les qualités des différentes maisons, elle était toujours touchée par ce genre de discours.
– Très bien ! abdiqua-t-elle. Mais uniquement pour lui parler de ça.
– Aucun problème ! Mais j'ai déjà prévenu que tu le rencontrerais le jour de la finale.
– De quoi ?
– J'aime te donner l'impression que tu as le choix, dit-il en lui envoyant un baiser, mais tu sais pertinemment que tu ne l'as pas !
Liselotte sourit, acceptant sa défaite. Parler du jour de la finale lui rappela que, bientôt, ses matinées passées avec Ruber allaient bientôt s'arrêter. Ne serait-ce pas le moment de savoir si cette histoire allait la mener quelque part ?
Ludwig remit ses gants pour partir et, juste avant d'ouvrir la porte, il dit :
– Ah au fait, j'ai pu lire une partie du nouveau livre de Burnette. Une histoire entre une cracmol et un moldu. Je ne te dis pas : je n'aime pas, j'adore !
Liselotte tomba, un peu par hasard, sur un visage familier.
Ce professeur roux qui paraissait bien trop jeune, d'ailleurs, pour en être un. C'était bien ce jeune homme qu'elle avait vu aux côtés de Ruber, le premier soir, à disputer deux élèves – même si, à l'inverse du professeur Bradbury, il avait semblé très calme. Parti raccompagné les élèves à l'école, elle était heureuse de savoir qu'il était revenu. En le trouvant dans un hall du deuxième étage, une idée germa dans son esprit – il devait probablement bien connaître Ruber. Liselotte aurait pu interroger n'importe qui d'autre, puisque que le vice-directeur de Poudlard semblait plus ou moins connu et qu'il logeait à Londres avec nombre de collègues, mais ce jeune homme lui inspirait confiance. Il avait dans le regard quelque chose qui lui inspirait une grande sympathie. D'ailleurs, il semblait respecter le professeur Bradbury.
À pas de loups, elle rasa les murs pour s'approcher de lui. Il fermait à l'instant une porte, probablement celle de sa chambre, et eut un léger mouvement de recul en surprenant Liselotte à côté de lui. Elle avait su se faire discrète, ne voulant pas lui donner l'occasion de fuir en la voyant.
– Bonsoir, dit-elle avec un grand sourire.
– B-Bonsoir, répondit-il poliment malgré un léger bégaiement.
Il semblait gêné, presque mal-à-l'aise. Liselotte se demanda si c'était à cause de sa condition de demi-vélane. Certains y étaient plus sensibles que d'autres.
– Je suis une amie du professeur Bradbury. Je m'appelle Liselotte, se présenta-t-elle en oubliant presque cela n'était probablement pas nécessaire.
– Ah... c'est pour ça que j'ai l'impression de vous avoir déjà vue.
– Oui... dit-elle en détournant les yeux. C'est sûrement pour ça.
Elle se racla la gorge. Le jeune professeur avait encore la main sur la poignée et du rouge jusqu'aux oreilles. Elle se recula légèrement pour espérer atténuer l'effet de son attrait. Ce n'était pas le moment.
– Je voulais vous demander quelque chose... sur le professeur Bradbury. Il est un peu secret sur sa vie, n'est-ce pas ? Et moi je n'ose pas lui poser une question en particulier, il risquerait de se méprendre sur mes attentions vous comprenez...
N'attendant aucune intervention de sa part, elle se racla discrètement la gorge.
– Est-ce que vous savez s'il est marié ?
Son visage perdit toutes ses couleurs.
– Quoi ?
Liselotte eut la désagréable impression de l'avoir choqué. Il s'agissait certes d'une question indiscrète mais elle n'aurait pas cru le surprendre à ce point.
– Est-ce que vous savez s'il est marié ? répéta-t-elle.
– Pourquoi... pourquoi est-ce que vous posez la question ?
Elle ne sut quoi dire. Gênée, ce fut à son tour de sentir le rouge envahir ses joues. Elle devait paraître bien idiote à ainsi essayer de grappiller des informations personnelles sur l'homme dont elle était entichée auprès d'un inconnu. Et s'il était marié ? Elle donnerait l'impression de vouloir briser un couple. Peut-être même que ça donnerait une mauvaise image du professeur Bradbury si ça se savait, comme quoi il serait volage.
Soudainement honteuse, elle remit ses cheveux derrières ses oreilles. Presque prête à lui dire de laisser tomber, elle releva la tête vers lui.
– Vous me rappelez une élève, dit-il soudainement.
– Ah, vraiment ? sourit-elle, renforçant inconsciemment son pouvoir d'attraction sur lui.
Il avait sur le visage une étrange grimace, quelque chose qui ressemblait à un sourire mais qui ne parvenait pas à se fixer. Sa remarque avait un peu brisé la glace entre eux et Liselotte retrouva sa motivation à connaître la réponse. Quel dommage d'abandonner si proche du but. Elle joignit ses mains comme un air de prière.
– S'il-vous-plaît, dites-moi. J'aimerais seulement savoir et ne pas...
Une certaine mélancolie traversa son regard.
– Ne pas me faire de fausses idées.
Le professeur hésita. Il semblait lutter intérieurement pour ne pas succomber au charme irréel de la demi-vélane. Passé un moment, il se raidit et lâcha enfin la poignée de la porte.
L'atmosphère autour d'eux changea tout à coup. L'expression teinte de gravité qui passa sur le visage du jeune homme fit tressaillir Liselotte. Il avait dans les yeux quelque chose qui lui fit comprendre qu'il s'apprêtait à lui dire quelque chose de terrible.
D'une voix basse, de celle des gens qui ne veulent pas se faire entendre, il lui répondit avec une simplicité déconcertante.
– Il était marié, Madame.
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Chapitre 1 ←
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