dimanche 19 avril 2020

“Snowbell Lullaby” ♦ Chapitre 1


 Cinq mois étaient passés depuis. Et ce jour-là, il faisait beau.

 – Je ne comprends pas le rapport avec moi, s'énerva Liselotte en tapant son talon contre le pied du canapé.
 – C'est un événement important à Londres, enfin ! Tu dois t'y montrer, c'est normal. Tu te rends compte du nombre de personnes qui seront présentes ?
 – Mais je ne comprends pas le rapport avec moi, répéta-t-elle. Je ne suis pas réputée pour ma magie, que je sache !

 Agacée, elle se leva et fit quelques pas dans la pièce. Logée dans une petite auberge du chemin de Traverse depuis la veille, elle n'était pas très à l'aise. Depuis quelques temps, elle limitait au strict minimum ses apparitions publiques. Signer son nom dans des livres qu'elle n'avait même pas lu – les romances, ce n'était pas vraiment son truc – la rendait de plus en plus mal à l'aise. À chaque fois, elle devait garder auprès d'elle la véritable auteure des romans, une femme étrange et un peu perchée du nom de Cornelia Burnette, or sa présence lui était tout-à-fait désagréable. Liselotte était d'ailleurs persuadée qu'elle la haïssait profondément.
 Pourtant, cette fois-ci, impossible pour la jeune chanteuse d'éviter l'événement qui agitait tout Londres. Liselotte, elle, y était plutôt hermétique.

 – On se fiche de tes talents de sorcière, protesta Ludwig avec cette façon qui était la sienne de claquer la langue sur chaque syllabe. Ce qui compte, c'est qu'on te voit. Tu fais quelques photos, tu serres la main du gagnant et tu lui offres ton prochain livre en exclusivité ! Ce n'est pas difficile.

 Elle jeta un regard en biais à l'ouvrage posé sur sa table basse, « Un Animagus de trop », dont elle trouvait le titre particulièrement racoleur. Elle soupçonnait l'auteure de n'avoir commencé à écrire des histoires carrément érotiques – et si c'était le cas, elle préférait encore ne pas avoir à les lire.
Se rasseyant sur le canapé qu'elle venait juste de quitter, Liselotte se servit un thé du bout de sa baguette. Un froncement de sourcils vint marquer son visage d'une beauté quasi parfaite.

 – Il n'empêche que je n'ai rien à voir avec ce tournoi stupide de duels ! Qu'est-ce qu'ils ont, tous ces Anglais, à se faire la compétition constamment ?
 – Ne le prends pas comme ça. Cette année, c'est exceptionnel, même les élèves de Poudlard sont conviés à y participer. Le directeur Bumblebee ne vient pas mais il y aurait le sous-directeur Bradbury, il faut absolument que tu le rencontres.
 – Et pourquoi ça ? s'étonna-t-elle en goûtant le thé du bout des lèvres.
 – Imagine la publicité ! Tu as plein de fans parmi ses élèves, ils seront ravis de voir que tu t'intéresses à leur école.

 Liselotte soupira. Elle n'était pas allée à Poudlard, elle ne connaissait pas bien cet établissement et ne partageait pas du tout l'enthousiasme de son agent sur ce qui s'y passait. Fulbert était allé à Serpentard, et il s'en vantait constamment, sauf que la jeune femme ne comprenait toujours pas à quoi cette maison correspondait.

 – Et c'est tout ce que je dois faire ?
 – Quasiment ! Tu as juste une séance de dédicaces programmée demain, la veille du début du tournoi, et après tu n'auras presque rien à faire jusqu'à la fin ! Je n'ai pas été trop méchant avec toi, si ?

 Liselotte sourit, bien qu'agacée. Même si elle s'évertuait à critiquer toutes ses idées, elle ne pouvait pas lui refuser grand chose. Après des années passées dans la lumière, Ludwig, qui était plus jeune qu'elle d'une bonne dizaine d'années, était plus ou moins son unique ami. Il était en tout cas le seul et unique contact régulier qu'elle avait depuis le départ en Afrique de sa mère, l'année d'avant. Même en passant son temps à lui en faire voir des vertes et des pas mûres, il était toujours là à s'occuper d'elle. D'un père moldu, il en avait d'ailleurs hérité des capacités amusantes et souvent très utiles – comme de savoir cuisiner à la mains, par exemple, ce qui faisait que dîner chez lui était toujours un régal.
 Néanmoins, la convaincre de s'afficher publiquement dans une ville en pleine effervescence à l'idée d'accueillir les élèves d'une des écoles les plus célèbres au monde n'avait pas été une mince affaire. Liselotte comptait depuis toujours sur son charisme naturel de demi-vélane pour attirer la sympathie et l'attention de toute le monde, car sans cela ses apparitions publiques seraient certainement une catastrophe. D'ailleurs elle n'était pas naïve au point de croire qu'on lui avait accordé sa chance en Angleterre pour ses talents de chanteuse – ici, tout le monde s'en fichait. Liselotte n'aimait pas beaucoup parler en public, c'était d'ailleurs pour ça qu'elle faisait des concerts – sur scène, pas besoin de s'étaler, pas besoin de sourire aux photographes. Alors qu'aux séances de dédicaces, Liselotte ne savait jamais quoi dire.
 Après un énième soupir, la jeune femme croisa les jambes de manière théâtrale.

 – Très bien ! Je le ferai, si tu y tiens. De toute manière, je suis déjà là. Je ne vais quand même pas m'enfuir.
 – Tu es par-faite ! s'enthousiasma Ludwig en posant une bise bruyante sur sa main. Je viens te chercher demain à seize heures, donc porte ta plus belle robe. Des mois que tu n'es pas venue à Londres, tu dois donner la meilleure image de toi.
 – Oui je sais ! feignit de se vexer Liselotte en retirant vivement sa main. Maintenant ouste, il me faut du temps pour me préparer.
 – Plus d'une journée ? s'amusa Ludwig en haussant un sourcil. Tu m'impressionnes. J'ai hâte de voir le résultat.

 Liselotte lui envoya un baiser en plaisantant et il le saisit en vol en tournant les talons. Sa silhouette filiforme disparut derrière la porte et la jeune femme perdit son dernier sourire. Elle se leva et et posa à la fenêtre qui donnait sur la rue. Ludwig l'avait logé dans une taverne très modeste sur le chemin, sans qu'elle comprît la raison, lui qui d'ordinaire faisait des pieds et des mains pour la loger dans les plus beaux endroits. La nuit n'était pas encore tombée et le chemin de Traverse était plein de monde. Liselotte se demanda de quand datait la dernière fois qu'elle avait pu marcher au milieu de la foule avec insouciance, comme ils le faisaient tous. Elle repensa alors à ce jour pluvieux, à Pré-au-Lard, où il n'y avait certes pas eu de foule mais une seule personne qui avait retenue son attention.
 Puis, son cœur se serra.



 – J'adore Lucius ! s'exclama une petite femme enfermée dans une robe jaune poussin. Les gens le traitent de monstre mais Mary a su voir ce qui était beau en lui.

 Liselotte eut une légère hésitation puis, presque miraculeusement, se souvint de ce qu'elle devait dire dans ces cas-là.

 – Oui mais... Lucius a su voir la véritable beauté qui se cachait dans le cœur de Mary, aussi.
 – Oh oui, évidement ! Quel roman merveilleux vous avez écrit là, vous ne pouvez pas savoir tout ce que j'ai ressenti en le lisant. C'est une si belle histoire d'amour !

 Liselotte sourit, un peu maladroitement, mais cela sembla contenter la petite femme venue dédicacer son ouvrage. Même si le dernier en date était « J'ai soif de toi » – elle détestait vraiment les titres qui étaient choisis – le roman qu'on lui demandait le plus souvent de dédicacer était un autre qui s'appelait « La Vélane et le Loup-garou », son plus grand succès à ce jour. Véritable best-seller, c'était cet ouvrage qui avait fait décoller la carrière de Liselotte Granger en Angleterre. Pourtant, même si on le lui apportait au moins dix fois par séances de dédicaces, il lui avait fallu des mois pour retenir le nom de ses personnages principaux et du semblant d'intrigue qu'il y avait à l'intérieur. Liselotte s'étonnait toujours de faire illusion vu le peu d'entrain qu'elle y mettait.

 – Carole et le monstre du lac reste quand même mon préféré, dit un homme si immense qu'il éclipsait toute la queue derrière lui. Mais J'ai soif de toi n'était pas mal non plus.

 La jeune femme sourit et offrit sa plus belle signature.

 – Juliette était vraiment sympathique, ajouta-t-il d'une voix étrangement froide.

 Cornelia Burnette, qui était restée dans son ombre depuis le début, se pencha vers elle.

 – C'est la meilleure amie de l'héroïne, lui précisa-t-elle dans un murmure.
 – Oui je sais, répondit-t-elle sèchement.

 Depuis que Ludwig l'avait menacé de la renvoyer, après qu'elle eut confondu les personnages de deux des romans pendant toute une discussion avec une lectrice, elle avait décidé de faire des efforts et d'apprendre le nom des héros par cœur. Cette Juliette était peut-être la meilleure amie de l'héroïne, mais c'était surtout la fille dont elle était amoureuse, alors Liselotte n'allait certainement pas l'oublier aussi bêtement ! Plus maintenant, en tout cas.
 Elle rendit le livre à l'homme grand comme une armoire et continua d'échanger quelques mots avec tous ceux qui étaient venus la voir. Ils étaient tous d'une grande gentillesse mais son manque évident de légitimité l'empêcha d'en profiter. Les lecteurs cessèrent d'affluer une fois la nuit bien entamée. Ludwig avait insisté pour qu'elle restât le plus longtemps possible, vu les rares apparitions publiques qu'elle s'autorisait depuis quelques mois, mais la fatigue commençait à se faire sentir. Lorsque Liselotte était arrivée à Fleury et Bott elle avait été surprise d'y trouver autant de monde : ils étaient si nombreux que le propriétaire des lieux n'avaient pas arrêté de s'en plaindre, prétextant qu'ainsi collés aux étagères ils abîmaient les livres et qu'en plus, ils empêchaient aux « vrais » clients de circuler. Celui-ci, d'ailleurs, ne semblait absolument pas apprécier d'inviter chez lui une auteure aussi sulfureuse avec la tournure romantico-érotique que prenaient ses romans. Passé vingt-et-une heures, il avait même demandé à Ludwig que son équipe décampât d'ici au plus tôt.
 Liselotte avait serré la main d'une adolescente à la cravate rouge et dorée et s'était excusé de devoir partir. Après de longues minutes passées à regretter le fait de devoir s'en aller, elle sortit de la librairie au bras de Ludwig.

 – Je suis content de toi, la remercia-t-il. Le public londonien t'adore ! Je n'aurais pas pu espérer mieux.

 À sa gauche, Cornelia Burnette sortit son éventail avec un grand geste théâtral. Elle réagissait toujours de manière démesurée lorsque Ludwig complimentait sa grande « star », mais en vérité Liselotte ne pouvait pas lui en vouloir. Elle n'osait imaginer comment elle aurait réagi si elle avait été dans son cas, à prêter son talent à une femme naturellement plus belle.
 Cornelia n'était pas laide, au contraire. Elle avait seulement une beauté atypique – elle portait de grandes robes un peu datées, aussi imposantes qu'une tenue de mariée, et portait haut sur sa tête des cheveux blonds délavés dans un chignon légèrement vieillot. C'était une femme très maniérée, venue d'une autre temps, dont l'âge restait un mystère aux yeux de tous. Il était amer d'être détestée par une femme comme celle-là, mais Liselotte n'aurait pas su sympathiser avec elle.

 – Où veux-tu aller fêter ça ? demanda Ludwig avec enthousiasme. Tout le monde parle de ce Chaudron Baveur, tu ne voudrais pas tester ? Il y aura le peuple là-bas.

 Du haut de ses vingt-deux ans, il avait toujours eu un côté au-dessus des autres, un peu prétentieux. Mais, finalement, elle l'appréciait aussi pour ce trait de sa personnalité.

 – Si, peut-être, répondit-elle rêveusement.

 Puis, elle s'arrêta, forçant son agent à s'arrêter aussi.

 – Voulez-vous vous joindre à nous, Miss Burnette ?
 – Non merci ! dit-elle sèchement, sans même prendre le temps de réfléchir. J'ai bien mieux à faire, vous savez. Si vous n'avez plus besoin de moi pour vous éviter la catastrophe, alors je préfère encore passer ma soirée avec des gens bien plus fréquentables.

 Liselotte avait bien du mal à ne jamais se vexer mais Ludwig, étrangement, le prenait toujours très bien.

 – Si vous avez mieux à faire, alors, on ne va pas vous retenir plus longtemps. Passez une bonne soirée, Miss Burnette. Et n'oubliez pas le dernier manuscrit, je l'attends pour dans un mois ! Vous devez me l'envoyer avant pour que je puisse le montrer aux éditeurs, s'exclama-t-il alors qu'elle tournait les talons.

 Liselotte songea que c'était peut-être pour cela qu'il ne se vexait jamais. De toute évidence, il avait un bien grand pouvoir sur elle – un pas de travers et elle se retrouverait bien vite au chômage. Cornelia pourrait faire pression et menacer de tout révéler à la Gazette du Sorcier, mais Liselotte savait qu'elle ne ferait jamais ça. Du peu qu'elle avait vu, cela lui avait suffit pour comprendre que c'était une femme bien, blessée par ce contrat qu'elle avait signé, mais très loin d'être mauvaise. De plus, elle avait toujours semblé un peu impressionnée par Ludwig.
 Liselotte et son agent s'en allèrent donc seul sur le chemin pour rejoindre ce pub si célèbre à Londres. Il était si populaire d'ailleurs qu'ils purent, finalement, trouver un endroit pour boire une boisson chaude sans grandement attirer l'attention. Ludwig lui parla de son ex-femme, et de comment il l'avait revu la nuit dernière pour leur plus grand plaisir à tous deux – Liselotte, compte tenu l'attitude maniérée de son agent, avait longtemps cru qu'il préférait les hommes, avant de comprendre que Ludwig Fulbert était quelqu'un de bien plus complexe que cela. Le simple fait qu'il se fût marié à seulement dix-neuf ans avait toujours fasciné Liselotte, elle qui depuis le début de sa célébrité avait été incapable d'entretenir une relation plus de trois semaines. Le dernier en date était Thomas, le bassiste de son groupe de musique dont elle avait longtemps été follement amoureuse en secret. Celui-ci l'avait quittée si abruptement qu'elle avait ressenti le besoin irrationnel de quitter définitivement le pays qui l'avait vu grandir. C'était aussi cela qui l'avait poussée à accepter la première proposition venue, même si aujourd'hui elle le regrettait un peu.

 – Déjà trois heures ? s'étonna Ludwig en consultant sa montre. Les gens commencent déjà à partir à ce que je vois.

 En effet, le pub s'était vidé de moitié, même si l'ambiance festive ne s'était pas estompée pour autant. Les hommes, un peu éméchés, repartaient en mettant leurs chapeaux pointus de travers. Ludwig lui-même tendit le sien à Liselotte. Sur les carreaux se déposaient une pluie fine qui fit naître en elle une légère mélancolie. Elle n'était pas vraiment fatiguée.
 Malgré tout, elle se décida à le suivre.

 – Tu ne voudrais pas abîmer tes beaux cheveux, dit-il en l'aidant à enfiler sa cape de manière à les protéger en dessous.

 Ils marchèrent quelques minutes dans les rues désertes. Cavalier, il l'accompagna jusqu'à son auberge. Liselotte ne savait jamais où est-ce que, lui, dormait – mais elle ne doutait pas que c'était dans un endroit extravagant ou extraordinaire, ou que du moins il s'évertuait à donner cette impression.
 Il lui fit une bise devant la porte et elle y entra seule, enlevant aussitôt la pluie de son chapeau avec sa baguette. L'accueil était presque désert à une heure aussi tardive, les bougies étaient presque toutes éteintes. Liselotte s'annonça et se dirigea vers les escaliers.

 – Le tournoi n'a même pas encore commencé, tonna une voix forte, bien qu'un peu sourde, depuis le petit salon.

 Piquée par la curiosité, elle ne monta pas sur la première marche.

 – Mais c'est lui, là ! s'énerva une femme. Cet abruti de Serdaigle a rien à faire chez les Serpentards ! Il a essayé de nous intimider avec ses bombabouses débiles ! À cause de lui ça pue le troll des montagnes dans tout le couloir !

 – Miss Rosenbach... dit une autre voix, presque timide. Calmez-vous...
 – J'ai rien fait ! répondit un jeune homme. Elle ment, cette folle !

 Liselotte s'étonna qu'ils n'eussent pas encore réveillé tout le bâtiment avec leurs hurlements. La femme de l'accueil avait simplement l'air endormie. Sa cape sous le bras, elle se dirigea vers l'origine des voix, en voulant à ses hauts talons de rendre l'exercice si bruyant. Elle ne voulait pas donner l'impression d'espionner tout le monde.

 – Vous allez arrêter de hausser le ton tout de suite. À peine arrivés et vous vous faites déjà remarquer, c'est inadmissible.
 – Mais c'est lui !
 – Mais non c'est elle !
 – Ça suffit !

 Un sort de bloclang fendit l'air et les cris cessèrent.
 Liselotte, cachée derrière la porte, faillit lâcher une exclamation de surprise. C'était lui. Avec son dos légèrement voûté, ses cheveux bouclés et cette aura particulière qu'il dégageait. Même sans voir son visage, elle devina toute la crispation dans sa nuque.

 – Vous êtes sûr de vous, Professeur ? Enfin... hésita un jeune homme roux dont elle ne vit que le dos également.
 – J'aurais dû le faire bien avant. Pas la peine de vous énerver, Miss Rosenbach, dès demain vous rentrez à Poudlard. Vous êtes privée de tournoi.

 L'adolescente aux longs cheveux clairs fit un son que tout le monde comprit très bien comme étant « Quoi ?! ».

 – Vous aussi Keller, ajouta-t-il en voyant le sourire du deuxième adolescent face au désarroi de la jeune fille.

 Il fit alors également un son qui signifiait très certainement « Quoi ?! ».

 – Le professeur Carthaigh vous raccompagnera. Vous y resterez avec les élèves et les professeurs qui n'ont pas pu venir, y compris le professeur Emerald, Miss Rosenbach. Je le laisserai décider de votre punition lui-même.

 L'homme roux, certainement un professeur lui aussi, paraissait un peu gêné.
 L'adolescente partit dans une tirade incompréhensible, les sourcils froncés et les poings serrés. Même en pyjama, Liselotte la trouvait légèrement inquiétante. Avec ou sans baguette, elle semblait capable de tuer n'importe qui avec les Avada Kedavra présents dans son regard. L'autre garçon, lui aussi en pyjama, bien que plus calme, paraissait absolument outré. Il pointait sa camarade du doigt comme il le ferait pour désigner l'injustice de ce monde.

 – J'ai pris ma décision. Le débat est clos, dit le professeur.

 Puis, il se tourna vers son collègue en soupirant.

 – Caesius ramène les dans leurs chambres.

 Le jeune homme acquiesça sans protester, ce qui ne fut pas le cas des deux adolescents qui, même murés dans le silence, partirent dans ses sons pleins de colère et d'insultes silencieuses. Liselotte, en les voyant arriver vers elle, paniqua et s'écarta pour qu'on ne la surprît pas en train d'écouter aux portes.
 En passant, le professeur, seul avec les élèves, lui lança un regard étonné – le même regard qu'on lui lançait toujours lorsque, par hasard dans la rue, quelqu'un la reconnaissait. Mais il partit sans rien dire, ayant derrière lui deux jeunes gens plein de fougues qui demanderaient certainement plusieurs heures avant d'être calmés. Liselotte en oublia de bouger si bien qu'elle sursauta quand, de l'autre côté de la porte, elle entendit.

 – Je vous reconnais.

 Il lui avait dit cela avec une certaine neutralité, comme s'il s'excusait de l'avoir bousculée.

 – Nous nous sommes parlés, une fois.
 – Oui en effet... vous vous en souvenez ?

 Il n'eut pas de réaction particulière et fit seulement un pas en avant de manière à avoir vue sur l'escalier lorsque des éclats de voix se firent entendre.

 – Il n'a pas résisté à l'envie de lever le sortilège, bougonna-t-il.
 – Vous avez des problèmes avec ces jeunes gens ?
 – Ce sont mes élèves, dit-il sans quitter l'escalier des yeux. À peine arrivés et ils nous posent déjà des problèmes, en effet.
 – Vous êtes professeur à Poudlard, c'est ça ?
 – Oui, répondit-il en se tournant enfin vers elle. J'enseigne l'étude des runes.

 Ils laissèrent passer un moment. La fatigue se lisait sur leur visage à tous les deux.

 – Vous êtes venue assister au tournoi de duels ? demanda-t-il en retournant dans le petit salon.

 Il y chercha un livre parmi de nombreux autres sur une table basse avant de revenir vers elle.

 – Non... pas vraiment. Je suis ici pour le travail.
 – Je vois. C'est curieux que nous nous retrouvions dans le même hôtel, dit-il. Je pensais qu'il serait réservé aux élèves mais apparemment, il y a aussi d'autres personnes.
 – On vous a dit que ce serait réservé aux élèves de Poudlard ?
 – Je le pensais, rectifia-t-il.

 Liselotte comprit alors ce qu'il s'était passé : Ludwig l'avait fait exprès, c'était certain ! Il espérait probablement que cette information fût ébruitée et qu'ainsi tout le monde sût que Liselotte Granger partageaient le même logement que l'école. Et dire qu'il lui avait dit qu'elle n'aurait rien de particulier à faire, il lui avait menti ! Dès le lendemain, elle trouverait des journalistes lors de son déjeuner, elle en était certaine.

 – Vous allez bien ?
 – Oh, oui, pardon. Je pensais à quelque chose.

 Elle releva la tête vers lui et le surprit à l'observer avec une étonnante concentration. Liselotte, depuis ce jour-là, n'avait au fond jamais cessé d'attendre de le revoir, mais maintenant qu'elle y était elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait lui dire. Elle ne savait pas non plus pourquoi elle l'avait tant voulu. Même s'ils logeraient quelques temps dans le même bâtiment, rien ne prouvait qu'ils seraient amenés à se revoir. Rien ne prouvait qu'ils auraient la moindre raison de se parler encore.
 Il parut hésiter puis, sans changer de ton, il lui dit.

 – La journée de demain sera longue, je pense que je vais vous laisser.
 – Demain c'est le début du tournoi, c'est ça ?

 Il acquiesça.

 – Je vous souhaite une bonne nuit.

 Il commença à partir et le cœur de Liselotte manqua un battement. Il ne pouvait pas partir – pas alors qu'elle n'avait aucune certitude de le voir de nouveau.

 – Attendez !

 L'homme se retourna.

 – Vous savez... je prends mon petit-déjeuner très tôt. Peut-être que si vous le prenez tôt, vous aussi, nous pourrions boire un café ensemble.
 – Tôt, à quelle heure ?
 – Vers sept heures ?

 Il hésita quelques secondes.

 – Plutôt six heures et demi.

 Liselotte ne put s'empêcher de sourire. Son cœur devint plus léger.

 – D'accord, six heures et demi.
 – Très bien.
 – Je m'appelle Liselotte, dit-elle alors.
 – Moi c'est Ruber.

 Elle se promit de ne jamais oublier ce nom.
 Et, pour la première de sa vie, elle espéra que quelqu'un n'oubliât jamais le sien.


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