mercredi 6 mai 2020

“The End of our World” ♦ Prologue


 À cette heure tardive de la nuit, il n'y avait presque plus personne dans la salle commune de Gryffondor. Quelques septièmes années révisaient sur une table bien trop petite pour l'amoncellement de livres et de notes qu'ils y avaient entreposés, un sixième année révisait également, seul, dans un des fauteuils près de la cheminée et, devant celle-ci, quatre premières années discutaient avec l'insouciance de ceux qui n'ont pas d'examens déterminant pour leur avenir dans les semaines à venir. Proserpine et Avril lisaient les livres sur l'entretien des chaudrons qu'elles avaient empruntés à la bibliothèque le jour même, le leur ayant explosé lors du dernier cours sans raison apparente – même si Avril soupçonnait un des Serpentards d'avoir mis quelque chose dedans. Romeo et Sandy, assis sur le tapis, dispersaient sur la table des dessins moldus, indifférents aux problèmes des jeunes filles.

 – Comment tu appelles ça ? demanda Sandy.
 – Des bandes-dessinés, répondit Romeo en ouvrant le dernier numéro de Spider-Man que ses parents lui avaient envoyés.

 Ses parents, moldus tous les deux, avaient eu des difficultés à comprendre le monde magique où évoluait leur fils dorénavant, si bien que pendant les premiers mois, Romeo n'avait reçu aucune lettre. « Ils ne comprennent pas comment fonctionnent les hiboux » avait-il expliqué à ses amis. Il avait ainsi décidé d'en adopter un pour ne plus avoir à utiliser ceux de l'école. Il avait passé toutes les vacances de Noël à leur montrer ce qu'il fallait faire et, depuis, il recevait au moins une bande dessinée par semaine.
 Sandy colla son nez sur la page, perplexe.

 – Mais pourquoi ça bouge pas ? geignit Sandy. C'est nul !
 – Chut ! Il y a des gens qui travaillent, ici, parle moins fort, ordonna Avril avant de s'enfoncer plus profondément dans les coussins du canapé.

 Proserpine tourna lentement la tête vers elle sans faire de commentaire. Avril avait tout d'une petite poupée : elle était minuscule, avait des cheveux blonds et bouclés et un nez retroussé qui lui donnait un air angélique devant les professeurs et boudeur le reste du temps. Proserpine n'avait rien à voir avec elle. Grande pour son âge, ses cheveux bruns et raides contrastaient avec une peau très blanche et des yeux noirs gigantesques. Elle avait dans le regard quelque chose qui, même à son âge, la rendait un peu intimidante.

 – Tu as trouvé quelque chose ? lui demanda Avril en tournant les pages de Manuel d'usage pour les chaudrons sans même le lire.

 Proserpine baissa les yeux sur son propre livre, Mille et une façon d'entretenir chaudrons et baguette, compilation des meilleurs articles de Sorcière Hebdo, où une page entière listait les objets capable d'abîmer les chaudrons, les cailloux en tête de liste.

 – Je n'ai rien de concluant, répondit-elle.

 Avril soupira et referma brutalement son livre, l'appel d'air faisant voler ses boucles blondes.

 – De toute façon, je suis sûre que c'est Amil qui a fait ça... tu sais. Amil Wood-Quelque-Chose, le Serpentard, là ! Il n'arrêtait pas de nous regarder en cours. Je suis sûre que c'est lui qui nous a fait un sale coup.
 – Ou alors peut-être que tu n'as pas pris soin de ton chaudron,dit Proserpine avec son flegme habituel. Là-dedans ils disent que certaines brosses pour récurer ne sont pas adaptées pour nettoyer du bronze.
 – C'est vrai ?

 Avril se pencha sur le livre et Proserpine s'écarta pour la laisser lire l'article à son tour.

 – Pourquoi est-ce qu'il porte un collant ? demanda Sandy, toujours aussi perplexe.
 – C'est pas un collant ! rétorqua Romeo. C'est son costume.
 – Pourquoi il porte un costume ?
 – Bah pour pas qu'on sache que c'est lui, Spider-Man ! C'est son secret, il faut pas qu'on voit son visage.
 – Et il a pas de chapeau ? Ni de cape ?

 Romeo réfléchit un instant.

 – Hum, non. Mais les araignées n'ont pas de cape et pas de chapeau non plus. C'est peut-être pour ça ?
 – Je ne comprends toujours pas l'intérêt de ton truc. Je suis sûr que le proviseur de Poudlard a plus de pouvoirs à lui tout seul que tous tes supers-héros réunis. Et en plus, tes dessins, eux, ils bougent pas.
 – Oui bah les bande-dessinées ça ne bouge pas, mais on comprend les gestes qu'ils font quand même. Regarde, dit Romeo en lui pointant une case, là on voit bien qu'il se balance dans les airs au bout de sa toile, y'a des petits traits pour montrer qu'il bouge.

 Proserpine les regardait se disputer amicalement avec une certaine nonchalance. Ses pieds se balançaient dans le vide, et Sandy ne réagit pas quand la pointe de sa chaussure vint taper le bas de son dos. Dans leur petit groupe, Proserpine et lui étaient certainement les moins proches de tous. Ils ne se parlaient jamais en l'absence des autres et étaient mal-à-l'aise lorsqu'ils se retrouvaient seuls tous les deux. Proserpine trouvait que Sandy n'était pas très malin, qu'il ne parlait pas toujours correctement aux filles et qu'il se vantait trop, comme à Noël où il avait crié sur tous les toits avoir reçu de ses parents un nouveau balais très cher, alors que les premières années n'avaient même pas le droit d'en avoir un. Quant à Sandy, il trouvait Proserpine hautaine et froide, et il jalousait également son amitié avec Romeo, comme si elle pouvait le lui voler.
 Les deux garçons entreprirent faire des dessins – un nouveau super-héros pour l'un et un joueur de Quidditch pour l'autre. Ils firent l'erreur de demander à Proserpine de les aider à les ensorceler avant d'avoir fini, ce qui fit que très vite des personnages à qui il manquait un bras ou des jambes refusèrent de continuer à être dessiné.

 – Mais arrête de bouger ! s'énerva Sandy. Comment tu veux attraper le Vif d'Or s'il te manque un bras...
 – Non, regarde Prosy, j'ai bien fait comme ils disent là-dedans. J'ai tout bien nettoyé comme il faut. C'est forcément ce Serpentard qui a mis un truc dans notre potion, il n'y a pas d'autre explication !
 – On utilisera mon chaudron la prochaine fois.
 – Oui... le mien est inutilisable maintenant de toute façon, soupira Avril.

 Puis, une silhouette se détacha dans l'obscurité, une silhouette d'adulte. Personne n'avait remarqué que quelqu'un était passé derrière le tableau qui donnait accès à la salle commune. Lorsqu'ils s'en aperçurent, un certain malaise prit possession des enfants. Même s'il était samedi soir, certains professeurs n'acceptaient pas que des élèves traînassent ainsi jusque tard dans la nuit.
 Le professeur qui était entré resta en retrait, s'étant arrêté dès qu'on l'eût remarqué. Romeo se pencha vers Sandy.

 – C'est le directeur ! murmura-t-il.
 – Mais non lui c'est le vice-directeur... je crois.
 – C'est quoi son nom ?

 Ils se turent instantanément lorsque l'homme posa les yeux sur eux.

 – Je dois parler à Proserpine en privé.

 La jeune fille ne répondit pas, calme, comme elle l'était toujours.

 – Vous autres, allez vous coucher.
 – Quoi ? Mais c'est le week-end ! s'exclama Avril, la seule qui osait jamais répondre aux adultes.

 Romeo et Sandy lui lancèrent un regard apeuré, l'incitant à ne pas en ajouter. Résignée, et sans cacher que cela l'agaçait, Avril rangea les livres et quitta le canapé, bientôt suivi par les deux garçons. Seul Romeo se tourna une dernière fois vers son amie, restée sur le canapé, avant de monter l'escalier.
 Ils comprendraient les jours suivants que Proserpine Bradbury était la fille de Ruber Bradbury, le professeur qui était entré. Elle ne leur dirait pas, ils l'apprendraient par les autres.
 Ruber invita sa fille à quitter la pièce en posant timidement sa main sur son dos. Elle ne posa pas de question, supposant qu'ils auraient plus de chance d'être écoutés s'ils parlaient dans la salle commune. Bizarrement, elle sentait que si son père avait quelque chose à lui dire, elle ne voulait pas qu'on les entendît. Et surtout pas ses amis.
 Une fois dans le couloir, ils s'arrêtèrent juste devant le tableau. Ruber se mit à la hauteur de sa fille, un genou à terre, et la regarda un moment. Ils se regardèrent tous les deux. Ils avaient exactement les mêmes yeux, mais pas seulement – ils partageaient le même caractère, les mêmes pouvoirs, la même aura particulière, un peu impressionnante, un peu froide, très charismatique. Ils partageaient la même maison, de vrais Gryffondors tous les deux. Finalement, la mère de Proserpine, elle n'avait jamais eu sa place, dans tout ça. Proserpine ne ressemblait pas à sa mère du tout.
 C'était peut-être pour ça que, ce matin-là, elle ne s'était pas réveillée. Seule, dans son quartier moldu, loin de son mari et sa fille qui lui avaient été enlevés par une école qu'elle n'aurait jamais pu voir de ses yeux. C'était peut-être pour cela qu'elle était partie, parce qu'elle se sentait trop à l'écart. Pourtant, c'était bien elle qui créait la vie dans leur famille. Elle était la seule à pouvoir parler à Ruber, la seule à savoir comment parler à Proserpine.
 Maintenant qu'elle n'était plus là, il devait apprendre à composer sans elle. Ruber, qui regardait sa fille dans le fond des yeux, ceux qui étaient parfaitement les siens, lui prit les épaules. Il lui annonça la terrible nouvelle d'une voix qui ne pouvait pas encore se permettre de flancher.
 Ils se prirent dans les bras, ce qu'ils ne faisaient jamais, et pleurèrent tous les deux, en silence. De longues minutes, de longues heures, ils pleurèrent la perte de la personne qu'ils aimaient tous les deux profondément. Le seul autre membre de leur famille.
 Ils le comprendraient, plus tard. Sans le ciment qui maintenait leur famille unie, ils ne tiendraient pas. Et, avec les années, ils ne cesseraient plus de s'éloigner. Bientôt, ils ne se parleraient même plus.
 Il sauraient dû se soutenir, se sauver l'un l'autre. À la place, ils se quittèrent et souffrirent, seuls, chacun de leur côté, pendant des années.

 Et, ce jour-là, ce fut toute la famille Bradbury qui s'en alla.
 Tout leur univers qui s'écroula.


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